dimanche 30 juin 2019

Ces films français ayant crevé l’écran et marqué les esprits en Russie





Ces films français ayant crevé l’écran et marqué les esprits en Russie


Fruit de l’exception culturelle prônée par le pays, le cinéma français est parvenu à rayonner bien au-delà des frontières hexagonales. Aussi, la Russie n’a elle non plus pas échappé à cette vague, et ce, même durant la période soviétique. Chaque citoyen s’y révèle ainsi à même de citer le nom d’œuvres, d’acteurs ou de réalisateurs venus de cette contrée de l’Ouest.

Claude Lelouch, Luc Besson, mais aussi Louis de Funès, Pierre Richard, Belmondo ou encore Jean Gabin... Demandez à n'importe quel Russe ce qu’il sait du cinéma français, il est fort probable qu’il vous énumérera, promptement et le sourire aux lèvres, les noms de toutes une série d’œuvres cinématographiques de différentes époques, mais aussi ceux d’acteurs et de réalisateurs. À cela rien d’étonnant, les productions françaises ont en réalité connu un retentissement inouï en URSS au cours de la seconde moitié du siècle dernier.
Comme l’explique le site Kino-teatr.ru, sur les 200 nouveaux films qui étaient en moyenne projetés chaque année dans les salles obscure d’Union soviétique, une centaine provenait de l’étranger. Parmi eux, la moitié était originaire des pays socialistes alliés, ne laissant qu’une faible part aux réalisations des membres du bloc capitaliste, soumis à des quotas. Cependant, à cet égard, ce sont les œuvres françaises et italiennes qui semblaient profiter le plus des faveurs des autorités. Cela n’était toutefois pas un hasard – ces deux nations disposaient alors d’un parti communiste à l’influence non négligeable. L’essor du cinéma français en Russie a par ailleurs débuté dans les années 60, événement coïncidant en réalité avec le retrait de l’Hexagone du commandement intégré de l'Otan.
Mais l’intérêt pour le cinéma français se manifeste également chez la jeunesse, née bien après l’effondrement de l’Union soviétique. Qu’est-ce que les Russes apprécient le plus dans les œuvres cinématographiques venues de l’Hexagone ? Comme l’ont révélé au micro de Russia Beyond des passants moscovites de différentes générations, c’est la « légèreté et la subtilité dans la perception », un charme inimitable ou encore son métaphorise.   
Aussi, nous proposons-vous aujourd’hui une sélection de longs métrages ayant séduit ce public particulièrement friand de la légèreté et de l’humour à la française. Mais avant d’en dresser la liste, nous sommes allés à la rencontre des Moscovites pour en savoir plus sur leurs connaissances en la matière.

Fantômas, 1964


Du haut de ses 45,5 millions de spectateurs soviétiques à sa sortie, ce film d’André Hunebelle est indéniablement l’un des plus grands succès du cinéma français en URSS. En réalité néanmoins, la diffusion des enquêtes de l’inspecteur Juve concernant ce mystérieux individu masqué a eu une incidence aussi inattendue que désastreuse dans le pays.
En effet, les affiches n’indiquant pas qu’il s’agissait d’une comédie parodique, une partie significative du public, principalement constitué d’adolescents, l’a accueillie avec le plus grand sérieux, pensant que l’œuvre relatait de véritables faits. Suite à cela, dans les villes d’URSS ont été recensés une multitude de délits, allant de vols en magasins à l’incendie de bâtiments résidentiels, faisant même plusieurs victimes, et lors desquels était laissée l’inscription « Ceci est l’œuvre de Fantômas ». Les appels téléphoniques menaçants effectués au nom de cet énigmatique individu ont également été légion.
En réaction, le ministère de l’Intérieur a alors décrété le retrait de la trilogie des salles soviétiques ; une interdiction levée quelques années plus tard, pour le plus grand bonheur du public, puisque les deux épisodes suivants seront respectivement visionnés par quelque 44,7 et 34,3 millions de personnes. Un succès tel que le tournage d’une suite intitulée Fantômas à Moscou avait été envisagé par les producteurs, un projet finalement abandonné en raison du cachet faramineux réclamé par les acteurs.

Les Quatre Charlots mousquetaires, 1974


Autre chef-d’œuvre d’Hunebelle, il peut se targuer d’apparaître comme le premier film français et le dixième long métrage étranger le plus populaire en URSS, avec un total de 56,6 millions de spectateurs. Cela n’est toutefois pas surprenant – le goût des Soviétiques pour les comédies n’étant un secret pour personne, tout comme leur amour pour les œuvres d’Alexandre Dumas, la combinaison des deux ne pouvait qu’être triomphale. D’ailleurs, bien que le pays ait réalisé sa propre adaptation du roman, cette version française reste indubitablement la favorite du public russe.

Angélique, marquise des anges, 1964


Vu, tout comme ses suites, par plus de 40 millions de citoyens de l’Union soviétique, Angélique, marquise des anges a eu une incroyable résonnance dans la nation, si bien que cette dernière a rapidement été le théâtre de la naissance d’une monumentale vague d’Angelikas, Angelinas et Angelas, tandis que bien des femmes ont sans tarder adopté la coiffure de l’héroïne.
Cette saga n’y a toutefois pas été au goût de tous, et nombreux ont été ceux à réclamer son interdiction, la jugeant trop indécente, et ce, même si les scènes d’amour avaient d’ores et déjà été les victimes de l’impitoyable appareil censeur soviétique. Dans ce premier épisode, avaient en effet par exemple été coupées près de 30 minutes de l’œuvre initiale.

La Grande Vadrouille, 1966


En soit, l’on pourrait ici citer n’importe quel film comptant dans son casting l’illustre Louis de Funès. Cet acteur est, il est vrai, sans le moindre doute l’une des personnalités françaises les plus chères aux yeux des Russes. D’ailleurs, nombreux sont ceux à croire encore que la statue du général de Gaulle, se dressant devant le pharaonique hôtel Cosmos, à Moscou, est en réalité celle du gendarme de Saint-Tropez. À sa sortie dans les cinémas d’URSS en 1971, La Grande Vadrouille a rassemblé un public de quelque 37,8 millions de têtes.

Le Grand Blond avec une chaussure noire, 1975


Cette comédie d’Yves Robert a pour vedette Pierre Richard, autre acteur adulé par le public russo-soviétique. Si ce film est aujourd’hui le plus souvent cité à son sujet par les Russes, c’est en réalité La Course à l’échalote qui a ici été son plus grand succès, 28,9 millions de personnes ayant assisté à sa projection suite à sa sortie, soit la plus grande réussite cinématographique d’URSS en 1979. Mais au final, quelle que soit l’œuvre tournée en la participation de Richard passant à la télévision soviétique, c’est toute la famille qui se rassemblait immanquablement autour du poste.
Dans son autobiographie Je sais rien, mais je dirai tout, rédigée sous forme d’interview, le comédien consacre d’ailleurs un chapitre entier à son incroyable popularité en Russie.
« C’était à Khanty-Mansiïsk en Sibérie. Je suis arrivé vers une heure du matin de Moscou par avion. Il faisait – 30 °C, la route qui menait à la ville était blanche. D’ailleurs, tout était blanc, les toits, les arbres, tout étincelait d’une blancheur glaciale. Et que vois-je en traversant une place illuminée ? Trois énormes statues de glace qui scintillaient sous les projecteurs : Charlie Chaplin, Marilyn Monroe et moi-même qui joue du violon. Je n’aurais jamais imaginé un tel compagnonnage. Charlot, mon Dieu, Marilyn, ma déesse, et moi, qui passions la nuit ensemble dans cet univers givré », y relate-t-il, décrivant l’un des moments les plus marquants de ses voyages dans le pays.

Intouchables, 2011


Bien qu’il soit moins visible de nos jours, le cinéma français parvient encore à effectuer quelques percées en Russie. Intouchables, véritable phénomène dans l’Hexagone, est un bon exemple de ses récentes réussites au pays des tsars. En effet, son modeste nombre de billets vendus (214 000) ne reflète que peu sa véritable popularité en ces terres, les Russes étant aujourd’hui eux aussi familiers des sites de visionnage en ligne et de téléchargement.


Parmi les autres succès de l’industrie cinématographique française dans cette contrée, l’on pourrait également mentionner Amélie Poulain ou encore l’incontournable saga Taxi, dont l’acteur principal, Samy Naceri, réside d’ailleurs actuellement en Russie.



RUSSIA BEYOND




samedi 29 juin 2019

vendredi 28 juin 2019

George Balanchine / Une étoile filante russe de Paris à New-York




George Balanchine et Suzanne Farrell, danseuse étoile du New York city Ballet, parée des plus belles pieces de Van Cleef and Arpels (2 à 3 milliards de dollars) pour le ballet "Joyaux" de Balanchine le 24 septembre 1976 à Paris.

George Balanchine : une étoile filante russe de Paris à New-York

Un monument au chorégraphe George Balanchine a été inauguré en septembre dernier à l’Académie de danse Boris Eifman à Saint-Pétersbourg. Ce grand chorégraphe et danseur du XXe siècle est né à Saint-Pétersbourg et a entamé sa brillante carrière en France. Ayant quitté la Russie alors qu’il avait 20 ans, il devient à 44 ans l’un des fondateurs du New York City Ballet.

George Balanchine avait horreur de raconter le sujet de ses ballets. Il qualifiait ses collègues et lui-même de « minorité silencieuse » qui danse. Aux questions des danseuses ce que signifie tel ou tel geste, il répondait : « Ne pense pas pourquoi tu le fais. Exécute simplement le mouvement ». On a l’impression que les spectacles de Balanchine ont été réalisés pour un spectateur qui n’a jamais vu de ballet, mais qui souhaite ardemment l’aimer.
George Balanchine est né en 1904 à Saint-Pétersbourg et a traversé toutes les épreuves endurées par sa génération. Toutefois, comme nombre de gens de son âge – des émigrants russes misérables métamorphosés en génies en Occident – il a vécu pour goûter aux plaisirs de la vie comme si les souffrances ne l’avaient pas touché. Pour transformer sa vie en activité créatrice.
Aujourd’hui, des décennies plus tard, le chemin de « Mr. B. », comme l’appellent les Américains avec respect et adoration, semble être une ascension régulière et rectiligne vers la gloire. Cependant, le « gros lot », il ne l’a gagné qu’une fois, quand il a rencontré l’Américain Lincoln Kirstein, au début des années 1930.
« Je suis prêt à miser ma vie sur son talent… Il est capable d’accomplir un miracle et ce, sous nos yeux », a écrit celui-ci, en annonçant l’arrivée du chorégraphe en Amérique. Avant sa rencontre avec Lincoln Kirstein, la vie de Balanchine semble être celle d’un raté. En effet, il s’était retrouvé à l’école de ballet auprès du théâtre Marinski uniquement parce que ses parents, qui le voyaient officier de Marine, avaient appris trop tard les dates des examens à l’Ecole maritime.Il obtient son diplôme avec mention « très bien », mais ne peut pas compter sur les rôles de princes dans les ballets classiques en raison de sa petite taille. Cependant, les critiques l’admirent même dans les plus petits rôles et ses collègues artistes voient en lui le leader du groupe Jeune ballet, pour lequel il réalise ses premières mises en scène au début des années 1920.
Au cours d'une tournée en Allemagne, en 1924, Balanchine décide avec plusieurs autres danseurs soviétiques de rester en Europe. Il s’enfuit à Paris, où Serge Diaghilev l’invite comme chorégraphe aux Ballets russes.
C’est précisément Diaghilev qui transforme Gueorgui Balantchivadze en George Balanchine. Pour faciliter la prononciation, le plus simple est de supprimer la partie du nom renvoyant aux origines géorgiennes de l’artiste. Diaghilev voit dans le jeune homme un talentueux chorégraphe et se charge de former ses goûts, depuis des conseils sur le choix de la garde-robe jusqu’à la démonstration des trésors des musées de l’Europe. Il n’a pas tort, car les derniers triomphes des Ballets russes sont liés aux mises en scènes de Balanchine : Apollon musagète (en 1928) et Le Fils prodigue (en 1929).
La mort prématurée de Diaghilev, en 1929, interrompt le développement impétueux de la carrière de George Balanchine. Habitué à collaborer avec de grands maîtres, comme Stravinsky et Prokofiev, il est obligé d’accepter n’importe quelle proposition. C’est alors qu’il fait la connaissance du mécène des jeunes arts Lincoln Kirstein et qu’il déménage, en octobre 1933, aux Etats-Unis, ne connaissant pas un mot d’anglais.
La poursuite de la carrière aux Etats-Unis n’est pas facile, même avec le soutien de Lincoln Kirstein : le pays préfère nettement la gymnastique au ballet classique. Cela étant, avant de mettre en scène des spectacles, Balanchine doit fonder en janvier 1934 la School of American Ballet. Un an plus tard, il met en scène, pour le premier concert public de ses élèves, Sérénade sur la musique de la sérénade pour cordes de Tchaïkovski. Les professionnels ne peuvent toujours pas expliquer comment le chorégraphe a réussi à réaliser un chef-d’œuvre pour des fillettes ayant à peine fait leurs premiers pas dans la danse.
« Qu’est-ce que c’est que l’inspiration ? Elle n’existe pas. Elle est irréelle, comme l’âme. Elle existe et n’existe pas. Mais la nécessité, elle, elle est réelle » : ces paroles peuvent être considérées comme le mot d’ordre de l’œuvre du grand chorégraphe. Sérénade est l’emblème de son œuvre empreinte d’admiration envers les Américaines, pétulantes, sportives, modernes mais en même temps romantiques.
Dans les premières décennies de sa vie en Amérique, Balanchine doit accepter toutes les propositions qui s’offrent à lui : il fait des mises en scène à Hollywood, travaille sur Broadway et coopère avec le Metropolitan Opera. Par nécessité, il crée 425 opus. Il savait travailler à une vitesse frénétique, il n’avait pas peur de reprendre ses propres citations et il créait des chefs-d’œuvre qui, en dépit de ses prévisions, sont toujours présentés par les troupes du monde entier.
Il a réalisé des mises en scène jusqu’aux derniers jours de sa vie, mais il n’est jamais revenu dans son pays natal, ses ballets étant frappés d’un veto dans le répertoire des troupes soviétiques. Ce n’est qu’actuellement que la Russie vit un véritable Balanchine-boom : les théâtres rivalisent pour le nombre de spectacles de Mr. B., et rien n’empêche désormais d’y entendre un appel d’une beauté raffinée.


mercredi 26 juin 2019

Les sept meilleurs films consacrés à la réalité russe



Les sept meilleurs films consacrés à la réalité russe


Nostalgie, souffrance, conflits existentiels et destins humains brisés - le cinéma russe, comme la littérature, est particulièrement intéressé par ces sujets. Revenons sur les films les plus populaires de ces dernières années, basés sur des drames sociaux.

Arythmie de Boris Khlebnikov (2017)

À quoi s'attendre : un drame sur les employés de l'une des professions les plus difficiles de la Russie moderne.
Katia et Oleg sont un couple de médecins mariés, ils ont la trentaine. Oleg travaille dans une ambulance et boit pendant son temps libre. Katia sauve la vie de ceux que son mari apporte en ambulance et, chez elle, elle rumine sur sa profonde fatigue d'une telle vie - elle veut divorcer.
Le film est un double portrait complexe de personnes proches, dont la vie est déchirée sous le poids de la fatigue accumulée l’une pour l’autre au cours des années et du sacrifice de soi afin de sauver d’autres vies.
Parmi les travailleurs médicaux, Arythmie a connu un immense succès : personne n’avait auparavant décrit leur monde avec une telle précision dans le langage cinématographique. Cependant, le grand public était lui aussi présent – on a raconté que dans certaines salles, le public éclatait en sanglots à l’unisson.

Combinat Espoir de Natalia Mechtchaninova (2014)

À quoi s'attendre : l'atmosphère de la ville la plus septentrionale du monde, où l'espoir est aussi rare que le soleil.
Norilsk est une ville du cercle arctique où presque toute la population adulte travaille dans un complexe industriel local. Les jeunes gens tuent leur temps libre en buvant de la vodka au bord d'un lac « technique » toxique. Il n'y a plus rien à faire ici. La jeune médecin Nadia et sa vie, articulée autour du dilemme « fuir ou rester » sont au centre du drame. Mais il n’y a pas d’argent pour un billet, et les parents et amis qui l'entourent se contentent de dire : « Personne n’a besoin de toi ailleurs ! ».
Le film de Mechtchaninova a été présenté au festival de Rotterdam. En Russie, il a proclamé une nouvelle étape dans le cinéma - lorsque les acteurs à l'écran ont finalement parlé comme dans la vraie vie. Pas de littérature, seulement du folk hardcore.

Vivre de Vassili Sigarev (2012)

À quoi s'attendre : le voyage des morts dans le monde des vivants.
Chacun des dix personnages du film est au bord du bonheur, mais ce dernier restera inaccessible. Tout le monde devra faire face à la mort à cause d'un tragique accident. Certains doivent accepter la mort, d’autres devront rester face à face avec leur chagrin.
Les questions principales du film sont « Y a-t-il une vie après la mort d’êtres chers ? Et si oui, comment y revenir ? ». Sigarev évoque toutes les options possibles et l'actrice Yana Troïanova, qui interprète l'héroïne dont le fiancé est décédé, le fait avec une telle franchise qu'il est physiquement douloureux de la regarder.
La parabole cinématographique de Sigarev a remporté le prestigieux prix FIPRESSI de la fédération des critiques cinématographiques de Wiesbaden. Les critiques comparent le visionnage à la pratique de sports extrêmes. À bien des égards, parce que tout en regardant, notre corps produit une bonne dose d’adrénaline.

Le chasseur de Bakour Bakouradze (2011)

À quoi s'attendre : la magie du film « lent ».
Un fermier vit dans le désert russe avec sa femme et leur fils handicapé. Leur vie est très lente et monotone. À un moment donné, il engage deux femmes de la colonie locale pour travailler et tombe amoureux de l'une d'entre elles...
Bien que le film ait un début très romantique, il est aussi loin que possible des intrigues amoureuses et d’un sujet acerbe. La véritable histoire ne commencera que quarante minutes avant la fin de l’histoire de deux heures, mais laissera un puissant « arrière-goût ». Selon le critique Evgeni Goussiatinsky, Bakouradze est le seul réalisateur capable de filmer les grands espaces russes sans clichés.

Conte de l’obscurité de Nikolaï Khomeriki (2009)

À quoi s'attendre : l’histoire d’une Cendrillon moderne, qui ira dans les ténèbres pour y trouver la lumière.
Guelia est sous-lieutenant dans la police. Chaque jour au travail, elle voit comment les gens restent aveugles aux problèmes des autres et vivent (métaphoriquement) dans le noir. Il n'y a pas de bonheur dans sa vie personnelle non plus - elle est seule et rêve du grand amour.
Cependant, dans cette histoire, le bon prince, sur qui Guelia compte tant, ne viendra pas. La version moderne de l'histoire de conte de fées a une morale différente : dans la vie de chacun de nous, nous avons tout ce qu’il faut pour sortir de l'obscurité la plus impénétrable, même dans la solitude. Vous devez juste être inflexible dans votre désir de trouver la lumière.

L’Usine d’Iouri Bykov (2018)

À quoi s'attendre : un drame social fort.
La crise couve dans une usine qui produit des dalles de béton. Une crise des relations humaines. L'oligarque local ferme son usine, où il n'a pas payé de salaire depuis trois mois. Trois cents personnes restent à la rue, mais seulement six décident qu'elles ne peuvent pas être traitées ainsi.
Ainsi commence, selon Bykov lui-même, son « film de guerre philosophique musclé sur des paysans collectifs sapés en cuir et avec des mitraillettes ». La question de l'inégalité sociale résonne tout au long du film et passe bien entendu sur le plan de la métaphore applicable à l'ensemble de la Russie d’aujourd'hui.

Faute d’amour d'Andreï Zviaguintsev (2017)

À quoi s'attendre : les souffrances de l'amour perdu.Un jeune couple en instance de divorce menace de temps à autre d'envoyer leur enfant commun dans une famille d’accueil. Ils sont tellement occupés par leurs querelles, leurs vexations et leurs relations extraconjugales qu'ils ne remarquent pas immédiatement que leur fils Aliocha a disparu. C'est ainsi que commence l'histoire d'une apocalypse familiale, où chacun est habitué à blâmer quelqu'un d'autre pour ses malheurs, et jamais lui-même.
Comme les précédents films de Zviaguintsev, Faute d’amour a constitué un film événement : il a reçu le prix du jury au Festival de Cannes, le César du meilleur film en langue étrangère a été nominé pour un Oscar et un Golden Globus. Les critiques disent qu’il s’agit aujourd’hui du film le plus « irréprochable » de l’éminent réalisateur, qui a réuni de la meilleure façon possible toute la palette de Zviaguintsev : une caméra impassible, des détails réglés au millimètre près, une histoire déchirante, et des allusions sans nombre.





lundi 24 juin 2019

Six Russes célèbres qui ont été envoyés au Goulag

Alexandre Soljenitsyne

Six Russes célèbres qui ont été envoyés au Goulag

Comme le fait remarquer l’historien Viktor Zemskov, 5,4 millions de personnes étaient emprisonnées au cours de la seule année de 1953 (année de la mort de Staline), de sorte que le nombre total de personnes qui y ont été envoyées au Goulag sous l’ensemble du règne de Staline (1924-1953) est bien plus élevé. Parmi les centaines de milliers de victimes, nous avons choisi six personnes connues non seulement pour leur destin sinistre, mais aussi en raison de leur carrière exceptionnelle.

1. Alexandre Soljenitsyne (1918 - 2008)


Le capitaine Soljenitsyne a été arrêté pour avoir critiqué Staline dans des lettres privées en 1945, alors qu'il servait dans l'Armée rouge. Au départ mathématicien, il travaillait dans les charachkas, des laboratoires secrets où les conditions étaient relativement supportables. Cependant, il été rapidement envoyé dans les camps de travail du Kazakhstan, où il a été témoin d'injustices et de violences hors-norme.
Après que le successeur de Staline, Nikita Khrouchtchev, a dénoncé le culte de la personnalité de Staline en 1956 et divulgué la vérité sur la répression, Soljenitsyne a été réhabilité. En 1962, il a réussi à publier la toute première histoire d'un prisonnier d’un camp en URSS : Une journée d'Ivan Denissovitch qui a choqué le monde et a fini par rapporter le prix Nobel de littérature à Soljenitsyne en 1970.
L’auteur a poursuivi ses efforts visant à révéler la vérité en préparant un ouvrage géant sur les récits et la réalité des camps, L’Archipel du Goulag. Après des années d'oppression, les autorités l'ont forcé à quitter l'URSS en 1974. Il n'est revenu que vingt ans plus tard.

2. Varlam Chalamov (1907 - 1982)


Un autre écrivain survivant des camps, qui a décrit la nature inhumaine du Goulag. Chalamov a dépeint des mondes encore plus sombres que Soljenitsyne. Il a passé 14 ans dans le système du Goulag, ayant été condamné à trois reprises pour appartenance à une organisation trotskiste. Il a purgé la majeure partie de sa peine dans la Kolyma, une région reculée de l'Extrême-Orient, réputée pour ses camps aux conditions terribles où les prisonniers devaient extraire de l'or et d'autres métaux dans un climat très rude avec des hivers où le mercure chute à -40°C.
Les Récits de la Kolyma, son recueil de nouvelles sur la vie dans les camps, reste l’un des ouvrages les plus terrifiants de la littérature russe, montrant la vie réduite à la survie à tout prix, la dégradation de toute moralité, les hommes transformés en animaux à cause du froid, de la faim et d’un travail d'esclave. « Les camps sont à tous égards des écoles du négatif. Personne ne recevra jamais rien d’utile ou de nécessaire de leur part », conclut Chalamov.

3. Ossip Mandelstam (1891 - 1938)


Lorsque Mandelstam, l’un des plus célèbres poètes du début du XXe siècle, a écrit L’Epigramme de Staline en 1933, son compatriote poète Boris Pasternak a qualifié cette démarche d’« acte suicidaire ». En effet, écrire tels vers dans les années 1930, alors que Staline est devenu tout-puissant, semblaient pour le moins suicidaire :
Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,
Et là où s’engage un début d’entretien, —
Là on se rappelle le montagnard du Kremlin …
Or, de décret en décret, comme des fers, il forge —
À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.
Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète.
(Traduction d'Élisabeth Mouradian et Serge Venturini)
Le « montagnard du Kremlin » a bien reçu le message. De 1934 à 1937, Mandelstam a été exilé à Voronej (500 km au sud de Moscou), puis est rentré à Moscou mais a été à nouveau arrêté. Il a été condamné à cinq ans d'emprisonnement dans des camps de travail en Extrême-Orient pour « propagande antisoviétique » et est mort du typhus sur le chemin, complètement épuisé.

4. Sergueï Korolev (1907 - 1966)


Le scientifique Korolev est une icône pour tous les Russes travaillant dans l’industrie spatiale. C'était lui qui était responsable du programme spatial soviétique, qui a fait de l'URSS une superpuissance spatiale, lançant le premier satellite artificiel en orbite puis envoyant le premier humain dans l'espace en 1961. Tout cela ne serait pas arrivé si Korolev était mort au Goulag, où il avait été envoyé plusieurs années auparavant.
En 1938, les autorités ont arrêté Korolev et l'ont condamné à dix ans (plus tard, à huit ans) dans les camps pour « sabotage ». Il a passé un an dans la Kolyma, où il a survécu à la torture et où seul le pur hasard l’a sauvé de la mort. En 1940, il a été transféré dans un laboratoire secret avec d’autres scientifiques privés de leurs droits. Korolev a travaillé sur des projets de missiles et spatiaux au cours des années 1950, mais ce n’est qu’en 1957 qu’il a été complètement réhabilité.

5. Nikolaï Vavilov (1887 - 1943)


Généticien et botaniste ayant parcouru le monde entier (à l’exception de l’Australie et de l’Antarctique), Vavilov a étudié les plantes et leurs caractéristiques, puis a travaillé à l’Institut d’industrie des plantes pour améliorer les cultures - blé, maïs et autres - et se consacrer à la science et à la technologie pour la gloire de l’URSS. Néanmoins, cela ne l’a pas sauvé de la Grande terreur des années 1930. La génétique qu’il défendait était considérée par Staline comme une « pseudoscience », aussi la punition n’était-elle pas loin.
Vavilov a été arrêté en 1940 et une longue série d’interrogatoires et de tortures a commencé. Il a été forcé de s’avouer non seulement coupable de sabotage, mais également de la création d’un Parti paysan travailliste secret (qui n’existait pas). Condamné à mort, Vavilov a par la suite bénéficié d’une certaine « miséricorde » en 1942 : le Présidium du Soviet suprême de l’URSS a commué la peine de mort en peine de 20 ans dans des camps de travail. L’année suivante, Vavilov  est mort en prison - il a été complètement « réhabilité » à titre posthume en 1954. Ses recherches « anti-scientifiques » ont finalement grandement contribué aux progrès de la génétique.

6. Gueorgui Jjonov (1915 - 2005)


Avant de devenir un acteur soviétique célèbre, Jjonov a passé 14 ans dans les prisons, les camps et en exil, dont six dans la tristement célèbre Kolyma, où il a failli perdre la vie. « Je n'avais aucune illusion, aucune foi en la justice ou en la loi… c'était une lutte de chaque heure pour la survie, la survie physique », s’est-il souvenu lors d'entretiens. Quel était son « crime »? Lors d'un voyage de travail, Jjonov, âgé de 23 ans, avait rencontré un diplomate américain et lui avait parlé pendant une demi-heure.
Étant donné que son frère aîné, Boris, avait été arrêté pour « activités antisoviétiques », Jjonov avait peu de chance de bénéficier d’un procès équitable. Il a été condamné pour « espionnage » et envoyé au Goulag. Il a réussi à y survivre et a construit une carrière réussie dans le cinéma après sa réhabilitation. Mais il n'a jamais pardonné à Staline et à son régime cruel.



dimanche 23 juin 2019

Les sept livres les plus importants de la littérature russe

Leon Tolstöi
Pablo García


Les sept livres les plus importants de la littérature russe

La littérature russe est acclamée dans le monde entier, à juste titre. Riche d'une multitude de monuments, elle a su saisir les profondeurs de l'âme nationale et en retranscrire les traits pour la rendre perceptible par le reste du monde. Voici donc la sélection des classiques les plus cultes des Belles-lettres du pays.

Guerre et paix, Léon Tolstoï (1869)

Oui, pas moyen d’échapper à cet ouvrage épique en quatre volumes que tous les enfants russes doivent lire à l’école. Et vous devrez le faire aussi, si vous voulez comprendre ce qu’est vraiment la Russie.
L’amour, la mort, la foi et son absence - il n’y a rien que Tolstoï ne laisse de côté dans son roman. Ses héros emblématiques - le prince mélancolique Andreï Bolkonski, l'impétueux Pierre Bezoukhov, la sincère et aimante Natacha Rostova (et une trentaine d'autres personnages importants) - donnent une représentation maximale à la société russe, avec tous ses vices et ses vertus.

Les frères Karamazov, Fiodor Dostoïevski (1879)

Dans son dernier roman, Dostoïevski plonge dans les tréfonds de l'âme humaine. Racontant l'histoire de l'hideux Fiodor Karamazov, assassiné par l'un de ses enfants, l'auteur parle métaphoriquement de la Russie, du christianisme et des problèmes existentiels auxquels tout le monde est confronté.
Devrions-nous vivre en nous fiant à nos émotions, à notre logique et à notre sagesse ? Dieu peut-il exister dans un monde aussi imparfait ? Y a-t-il quelque chose de vrai dans l'univers ? En lisant Les Frères Karamazov, vous ne trouverez peut-être pas de réponse, mais vous aurez une meilleure idée de ces questions.

Eugène Onéguine, Alexandre Pouchkine (1833)

Un roman en vers raconte l’histoire d’un dandy bon à rien du XIXe siècle - cela semble ennuyeux, n’est-ce pas ? En fait, c’est l’un des livres les plus spirituels de tous les temps, dans lequel le poète russe Alexandre Pouckine montre toute l’étendue de sa virtuosité.
Le protagoniste Onéguine, un être sans cœur et vide, détruit accidentellement la vie des autres et finit par se retrouver sans rien. Aussi sombre que cela puisse paraître, ses aventures sont non seulement amusantes, mais aussi enrichissantes. L’auteur présente tout cela avec tellement d’humour et d’ironie que vous ne pourrez pas vous empêcher de rire en le lisant.

La Cerisaie, Anton Tchekhov (1904)

Tchekhov était l'un des écrivains les plus mélancoliques et les plus drôles (en Russie, ce n’est pas aussi contradictoire que cela puisse paraître). Ses héros sont généralement mesquins et parfois pathétiques, mais c’est ce qui les rend attrayants ; l’auteur ne les méprise pas, mais les comble de sympathie et de gentillesse. Dans sa dernière pièce, La Cerisaie, Tchekhov atteint son apogée en montrant la tragédie quotidienne de vies humaines.
Une famille de nobles appauvris ne parvient pas à joindre les deux bouts et doit donc vendre son verger ou perdre tout le domaine. Mais les vieux aristocrates hésitent, incapables de dire adieu à leur beau passé, symbolisé par la cerisaie éponyme.
Métaphoriquement, Tchekhov nous montre la faiblesse des générations précédentes emportées par un nouveau siècle. Une magistrale pièce sur la nostalgie et le « paradis perdu », mise en scène à ce jour dans le monde entier.

Les bas-fonds, Maxime Gorki (1903)

Une autre pièce du début du XXe siècle aborde des problèmes totalement différents : Gorki montre la vie des sans-abri dans un refuge. Ivrognes, prostituées et criminels, ils ne peuvent pas tomber plus bas.
Mais même dans de telles conditions, les personnages des Bas-fonds, en bons Russes qui se respectent, parviennent à tenir des débats philosophiques, tels que le dilemme central de la pièce - qu’est-ce qui est plus important, la vérité ou l’espoir ? Le livre est sombre - mais mérite d’être lu pour comprendre la genèse de la révolution russe (dans laquelle Gorki est devenu l’écrivain le plus en vue des bolcheviks).

Le docteur Jivago, Boris Pasternak (1957)

Le poète et romancier Boris Pasternak raconte la vie d'un homme juste et raisonnable qui lutte pour vivre et survivre dans l'enfer des guerres et des révolutions du début du XXe siècle. Le protagoniste, le docteur Iouri Jivago, perd tout sauf sa dignité et sa gentillesse chrétienne. Ajoutez à cela les poèmes de Jivago écrits par Pasternak lui-même, et vous avez probablement le roman le plus romantique narrant un épisode loin d’être romantique de l’histoire de la Russie.
Le Maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov (achevé en 1940, publié en 1967)
L’URSS de Joseph Staline était à certains égards un lieu assez mystique, avec des disparitions fréquentes et des versions officielles des événements aux antipodes de la réalité. Mikhaïl Boulgakov a saisi l'essence de cette époque et a écrit un roman fantasmagorique dans lequel le diable vient en personne visiter Moscou.
Le roman enveloppe la satire dans un récit à la fois épique et ordinaire qui inclut des scènes de la vie quotidienne des années 1930 à Moscou avec la version de Boulgakov du Nouveau Testament. Cependant, pour Boulgakov, il s’agit avant tout d’une histoire très personnelle sur l’art et l’amour, dont il était destiné à ne jamais voir l’énorme succès : elle a été publiée 27 ans après sa mort. Amusant et emblématique, Le Maître et Marguerite est un incontournable pour tous ceux qui apprécient la littérature russe.