samedi 30 mai 2020

Oscar Wilde / Les questions


Oscar Wilde: Redemption of genius who was treated as an outcast ...
Oscar Wilde
LES QUESTIONS
Les questions sont jamais indiscrètes. Mais parfois les réponses le sont.

jeudi 28 mai 2020

mercredi 27 mai 2020

jeudi 21 mai 2020

Cormac McCarthy / Encore plus noir

The road" ("La carretera") de Cormac McCarthy | JB Rodriguez Aguilar
Cormac McCarthy

Cormac McCarthy, encore plus noir

Dans «La Route», l'écrivain américain retrace l'épopée d'un père et d'un fils dans un monde dévasté.


Cormac McCarthy. La Route. Trad. de François Hirsch. L'Olivier. 245 p.
André Clavel
Samedi 12 Janvier 2008


La Route = The Road: 1 (Points): Amazon.es: McCarthy, Cormac ...Cormac McCarthy est un homme des lointains. Pied à l'étrier, ce taiseux traverse la littérature américaine en solitaire, pour mieux orchestrer l'étourdissant staccato d'une œuvre qui ressemble à un gigantesque sabordage. Et qui met en scène des vagabonds, des baroudeurs aux semelles brûlées par les flammes de l'enfer, des desperados qui ne cessent de cavaler vers l'abîme, le mors aux dents et la rage au cœur. Violentes, sauvages, dépecées par les griffes du néant, les histoires que raconte McCarthy sont celles d'une humanité qui a sombré dans la folie, pour toujours. Dans son pays, l'auteur de la Trilogie des confins fut longtemps boudé par les lecteurs mais lorsqu'il décrocha le National Book Award en 1992 - il avait la soixantaine -, l'Amérique réalisa enfin qu'elle possédait un nouveau Faulkner. Puis l'Europe découvrit à son tour cet ange noir dont la voix pascalienne lance ses imprécations en direction d'un au-delà indifférent, tragiquement silencieux, car il n'y a pas la moindre trace d'espérance - ni de rédemption - dans les romans de McCarthy. Même si, comme le vieux Job, il ne cesse d'apostropher le Ciel pour qu'il répande un peu de lumière sur nos ténèbres.
Il y a un an, sortait en librairie Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme, un roman où, pour la première fois, l'ermite d'El Paso se laissait submerger par le tsunami d'un scénario répétitif et caricatural. Avec, dans le rôle principal, un tueur psychopathe qui nous aspergeait d'hémoglobine jusqu'à saturation, façon Terminator. En attendant la version cinématographique de ce livre (voir ci-dessous), voici La Route, le nouveau McCarthy. Magistral. Envoûtant. Et démoniaque. Nous sommes dans une Amérique - mais est-ce bien encore l'Amérique? - où les prédictions bibliques se sont réalisées: l'apocalypse a balayé les hommes et les paysages, brûlant de son napalm les villes, les terres, les routes, les montagnes. Punition divine? Châtiment métaphysique? Cataclysme nucléaire? Pas de réponse. McCarthy n'explique rien - pour éviter de sombrer dans le roman d'anticipation, encore trop rassurant à ses yeux - et se contente de laisser errer sa plume sur des espaces désolés, recouverts de la même cendre grise, des mêmes décombres sinistres - asphalte éventré, maisons saccagées, cités dévastées, cadavres pétrifiés.
Le Mal a gagné. Rien, il n'y a plus rien. Juste cette neige qui tombe en déluge, silencieusement, inlassablement, tandis que deux rescapés sans nom - un homme et son fils - poussent un caddie de supermarché où ils ont entassé quelques vivres et une poignée d'outils. Ils crapahutent vers la mer, franchissent des cols effrayants, dorment sous une bâche «dans des nuits obscures au-delà de l'obscur». Ils ont peur, ils ont froid, ils ont faim. Parfois, gourdins au poing, visages grotesques, des hordes de cannibales se profilent au loin, comme dans Mad Max: ce qui reste d'humanité, dans ce pandémonium, est retourné à la barbarie, à la bestialité la plus sordide.
«Dieu n'a jamais parlé», lance le père à son fils, qui ne comprend rien à cette malédiction. La Route, c'est Pompéi sculpté par Beckett, avec une référence discrète au Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Mais les deux rescapés, cette fois, ne pourront pas réinventer la civilisation dans ce monde calciné, et leur odyssée se terminera au bord d'un rivage sans horizon, fouetté par les vents sauvages. Reste la folle tendresse d'un père qui s'escrime à préserver une braise d'innocence dans le cœur de son enfant. En le serrant contre lui, pour que la vie ne s'éteigne pas. Laconique, minimaliste, dénuée de tout pathos, cravachée par une rage incendiaire, La Route est une fable sur notre précarité, le récit parfois biblique de la fin de l'humanité. Punie par elle-même, sans doute. Et bientôt recouverte d'un linceul de neige. «Un seul flocon gris qui descendait, lentement tamisé. Il le saisit dans sa main et le regarda expirer là, comme la dernière hostie de la chrétienté.»


dimanche 17 mai 2020

Grands films de fin du monde (5/5): Jusqu’au bout de «La Route»


La Route = The Road: 1 (Points): Amazon.es: McCarthy, Cormac ...


Grands films de fin du monde (5/5): Jusqu’au bout de «La Route»


Le coronavirus propage un parfum de fin des temps. Un thème que le cinéma vénère. John Hillcoat adapte avec honnêteté et une pincée d’édulcorant «La Route», ce roman de Cormac McCarthy qui suit la fuite en avant d’un père et de son fils dans un monde agonisant. Le plus implacable des films apocalyptiques

En 1963, terrifié par la crise des missiles, le jeune Bob Dylan écrit A Hard Rain’s A-Gonna Fall. Au gré de cette longue apostrophe à un enfant égaré dans un monde ravagé, il évoque des forêts profondes où «noir est la couleur et rien le nombre». Cormac McCarty semble élever ce vers nihiliste à la grandeur du roman avec La Route (2006), qui décline l'avènement du néant sur 250 pages implacables.
Quelques années après un cataclysme dont l’origine n’est pas spécifiée, un homme et son fils traversent ces étendues cendreuses qu’était l’Amérique. Poussant un caddie, ils cheminent vers la mer - morte, comme tout le reste. La Terre est calcinée. Dans l’hiver nucléaire, il n’y a que deux façons de se nourrir: les boîtes de conserve, qu’on peut encore trouver dans les gravats des supermarchés, et le cannibalisme. Toute rencontre entre survivants s’avère mortellement dangereuse.





John Hillcoat porte à l’écran ce roman anxiogène et désespérant. Une adaptation honnête, avec l’irréprochable Viggo Mortensen dans le rôle du père. Mais le pouvoir de l’image s’avère une nouvelle fois inférieur à celui du verbe. En donnant un visage aux protagonistes, le cinéaste affadit la démonstration. La chronique de l’effondrement s’humanise inévitablement avec les voix et les regards là où les mots de l’écrivain, atteignant une forme d’abstraction, suggèrent «l’accablant contre-spectacle des choses en train ce cesser d’être» ou le littoral couvert d’ossements de poissons et d’oiseaux comme «un seul vaste sépulcre de sel. Insensé. Insensé»...
Il faut aussi regretter un flash-back sur le bon temps, le recours à la musique (fût-elle composée par Nick Cave et Warren Ellis), quelques branches d’arbres reverdissant (le tournage a eu lieu à la fin de l’hiver) et une fin un peu trop happy. Le livre établit que l’homme est un loup pour l’homme, que l'avenir est vain; plus timoré, le film laisse entendre qu’une seconde chance est possible, qu'il subsiste une lueur d'espoir au bout de la route.

La Route (The Road) de John Hillcoat (2009), avec Viggo Mortensen, 1h51

vendredi 15 mai 2020

Grands films de fin du monde (4/5) / «Stalker», voyage au cœur de la Zone




Grands films de fin du monde (4/5): «Stalker», voyage au cœur de la Zone


Le coronavirus propage un parfum de fin des temps. Un thème que le cinéma vénère. Avec «Stalker», Andreï Tarkovski suit trois naufragés spirituels dans leur cheminement labyrinthique au cœur d’un territoire sinistré. Le plus mystique des films apocalyptiques

Antoine Duplan
Publié jeudi 23 avril 2020 à 17:47
Modifié jeudi 23 avril 2020 à 21:14

La chute d’un météorite? Une visite extraterrestre? Au creux de cette contrée industrielle et militarisée s’est ouverte une singularité, une oasis de verdure dans la noirceur ambiante. C’est la Zone, un territoire interdit, un jardin sauvage dans lequel les fondamentaux de la physique n’ont plus court. L’espace se courbe, le temps faseye, le chemin le plus droit n’est pas le plus court. Au cœur de ce labyrinthe piégé se trouverait la Chambre où s’exauceraient les vœux des pèlerins.


Pour déjouer les maléfices de la Zone, il faut un Stalker, un passeur. Il guide l’Ecrivain, avide de gloire éternelle, et le Professeur, désireux de traduire le miracle en chiffres. Progressant selon des protocoles aléatoires, les trois hommes traversent des ruines, des prairies embrumées, des paysages gorgés d’eau où sombrent les vestiges de la civilisation. Ils croisent un grand chien noir évoquant quelque créature psychopompe. Pleins d’effroi, ils n’osent entrer dans le sanctuaire. Ils restent assis devant la Chambre où tombe la pluie. Ils font des ronds dans l’eau…

C’est à un roman des frères Strougatski (Pique-nique au bord du chemin) qu’Andreï Tarkovski emprunte l’argument de ce chef-d’œuvre poétique et métaphysique. Stalker métaphorise le naufrage économique, moral et spirituel d’un monde où «l’organe de la foi est atrophié». La méditation du cinéaste russe anticipe aussi de troublante manière la catastrophe de Tchernobyl: les premiers pompiers qui tentaient de circonscrire le sinistre se surnommaient «stalkers», et le périmètre radioactif autour de la centrale nucléaire est devenu la Zone…

Peut-être l’avenir appartient-il aux enfants, comme la fille du Stalker, petite mutante paraplégique qui a le don de télékinésie. Au dernier plan du film, elle déplace des verres par la pensée. Au loin passe un train, emportant avec lui des bribes de L’Hymne à la joie

«Stalker», d’Andreï Tarkovski, avec Aleksandr Kaydanovskiy (1979), 2h42. Disponible en DVD

mercredi 13 mai 2020

Grands films de fin du monde (3/5) / Omelette aux truffes dans «Les Derniers Jours du monde»



Grands films de fin du monde (3/5): omelette aux truffes dans «Les Derniers Jours du monde»


Le coronavirus propage un parfum de fin des temps. Un thème que le cinéma vénère. Dans «Les Derniers Jours du monde», les frères Larrieu rappellent que l’effondrement ultime n’abolit pas nécessairement l’épicurisme. Le plus sensuel des films apocalyptiques

Antoine Duplan
Publié mercredi 22 avril 2020 à 16:57
Modifié jeudi 23 avril 2020 à 11:27

Les films catastrophes hollywoodiens font croire que l’effondrement sera aussi brutal que celui du World Trade Center. Or il peut être insidieux et progressif comme le réchauffement climatique, ressembler à cette «espèce de menace diffuse, de dérèglement possible et peut-être total» que rapportent Arnaud et Jean-Marie Larrieu dans Les Derniers Jours du monde. Quelques cendres qui flottent dans l’air, une pénurie de papier à la papeterie de Biarritz, des équipes de désinfection dans les rues, des bulletins d’informations contradictoires à la radio… Ces dissonances s’avèrent subtilement inquiétantes.

Robinson (Mathieu Amalric) prend les chemins de l’exode dans un monde inintelligible qui se désagrège. Le sentiment de perdition est palpable. Mais la vie conserve ses droits. L’errant s’envoie en l’air avec Ombeline (Catherine Frot), une libraire de rencontre, et avec son ex-femme aussi (Karin Viard). En compagnie de Laetitia, dans une auberge de campagne périgourdine, il cuisine une omelette aux truffes arrosée d’un grand bordeaux, puis s’adonne à la sieste canaille.

D’humeur eschatologique, les Larrieu n’abjurent pas pour autant l’hédonisme. Au bord de l’abîme, leurs personnages vont à l’opéra, boivent et baisent. Rabelaisien, le film est une ode à la sensualité. «Il n’y a pas d’Apocalypse au sens religieux», dit Arnaud. «On s’enfonce dans un passé primitif, païen, renchérit Jean-Marie. Il y a un château médiéval, les animaux ressurgissent. Le père couche avec la fille, mais l’inceste n’était pas tabou dans certaines civilisations.» Au final, courant nus dans Paris comme au matin du monde, Robinson et Laetitia renouent avec les origines de l’humanité. Ultimes Adam et Eve, ils invoquent les pulsions premières de l’amour et du désir. Juste avant l’éclair blanc qui paraphe la fin de l’humanité, Léo Ferré chante cette java gouailleuse qu’est Jolie Môme, comme un doigt d’honneur à la certitude de l’extinction. «Notre apocalypse réveille des forces vives», revendiquent les frangins.

Les Derniers Jours du monde, d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu (2009), avec Mathieu Amalric, Catherine Frot, Karin Viard, 2h10.

lundi 11 mai 2020

Grands films de fin du monde (2/5) / «2012» / Il ne doit rien rester!




Grands films de fin du monde (2/5): «2012»: Il ne doit rien rester!


Le coronavirus propage un parfum de fin des temps. Un thème dont le cinéma raffole. «2012» s’impose comme le film catastrophe ultime, celui qui exacerbe une tradition cinématographique déjà fournie en multipliant à qui mieux mieux les sinistres. Le plus bête des films apocalyptiques

Antoine Duplan
Publié mardi 21 avril 2020 à 17:10
Modifié jeudi 23 avril 2020 à 16:56

Roland Emmerich est le plus grand brise-fer que le cinéma ait jamais connu. Il a cassé New York (Godzilla), la Maison-Blanche (White House Down) et la planète Terre (Independance Day 1 et 2Le Jour d’après) à de nombreuses reprises. Ayant agendé la fin du monde pour le 21 décembre 2012, les Mayas fournissent au dynamiteur hollywoodien un scénario d’enfer dont il tire 2012, la mère de tous les films catastrophe – et tant pis si la prophétie était erronée...

Une éruption solaire réchauffant la croûte terrestre, un géophysicien avertit le président des Etats-Unis que du vilain se prépare. La population états-unienne (et accessoirement mondiale) risque l’annihilation. Tandis que les autorités font l’impossible pour atténuer le cataclysme annoncé, un écrivain divorcé saute dans sa voiture pour sauver sa famille.
Déchaîné, Roland Emmerich peut donner libre cours à son iconoclasme infantile. Incluant le «big one» qui précipite la Californie dans l’océan Pacifique et un tsunami submergeant l’Himalaya, 2012 propose la totale, le digest hyperbolique de tous les films catastrophe en conjuguant les éruptions solaires de Prédictions, les séismes de Earthquake, les volcans de Volcano, les bombardements de pierres en fusion de Deep Impact et même un navire retourné quille en l’air comme dans L’Aventure du Poséïdon: le porte-avions USS John F. Kennedy, qui écrabouille la Maison-Blanche!
2012 conjure la peur de l’anéantissement à travers l’exaltation du devoir – aux dépens de toute vraisemblance. Les bombes volcaniques prennent soin d’éviter la voiture du héros. Un pilote amateur mène habilement un gros porteur à travers les failles cyclopéennes et les gratte-ciel qui s’effondrent. Jackson et les siens rallient les trois arches géantes, juchées à 8000 mètres au Tibet, où les survivants pourront essayer de repeupler la terre. Emmerich enrichit son tohu-bohu de symboles pesants: la première fissure apparaît au plafond de la Chapelle Sixtine, juste entre l’index de Dieu et celui d’Adam. Et puis, malgré quelques milliards de morts, tout est bien qui finit bien: la cellule familiale se reconstruit, la petite fille guérit de son énurésie nocturne.

2012, de Roland Emmerich (2009), avec John Cusack, Chiwetel Ejiofor, 2h38
Disponible sur le catalogue Netflix


samedi 9 mai 2020

L'auteure suédoise de polars Maj Sjowall est morte




Maj Sjowall en 2009
Photo Jost Hindersmann Krimidoedel

L'auteure suédoise de polars Maj Sjowall est morte


Avec son mari, Per Wahloo, elle est à l'origine de la vague des romans policiers nordiques.

Par Nicolas Turcev, avec AFP, le 05.05.2020 à 16h31 (mis à jour le 05.05.2020 à 17h00)

Maj Sjowall, qui avec son mari Per Wahloo (mort en 1975) a lancé la vague des romans policiers nordiques, est décédée, le 29 avril, à l'âge de 84 ans, a annoncé son éditrice. L'écrivaine "est morte au terme d'une longue maladie", a indiqué à l'AFP Ann-Marie Skarp, directrice des éditions suédoises Piratforlaget. En France, l'essentiel de l'oeuvre du couple est paru aux éditions Rivages et 10-18.


Les époux ont créé le personnage récurrent de l'inspecteur Martin Beck et de son équipe d'enquêteurs à Stockholm, qui à travers ses investigations peint un tableau sans concessions de la société suédoise. "Ces dix romans avec pour héros Martin Beck sont désormais des classiques et ont inspiré, j'ose le dire, tous les auteurs de romans policiers vivants", a ajouté Ann-Marie Skarp. Leurs livres ont été traduits en 40 langues et ont servi de base à des douzaines de films.



Un chapitre chacun



Née le 25 septembre 1935 à Stockholm, Maj Sjowall a étudié le graphisme et le journalisme. Elle a d'abord travaillé comme traductrice, directrice artistique et journaliste. Elle a rencontré Per Wahloo, lui aussi journaliste, en 1961. Ils se sont mariés et ont eu deux fils. Après avoir couché les enfants, ils avaient coutume de s'asseoir de chaque côté d'un bureau et d'écrire jusque tard dans la nuit, un chapitre chacun.


"Nous avons beaucoup travaillé le style, a-t-elle expliqué au Guardian en 2009. Nous voulions trouver un style qui soit ni le mien, ni le sien, mais un style qui serait bon pour nos livres."

LIVRES HEBDO



jeudi 7 mai 2020

Anaïs Nin / "Une vigueur et un désordre dans la volonté de tout dire"

Anaïs Nin et Rupert Pole, l’un de ses deux maris, en 1950.
Anaïs Nin et Rupert Pole, l’un de ses deux maris, en 1950.

ANAÏS NIN, «UNE VIGUEUR ET UN DÉSORDRE DANS LA VOLONTÉ DE TOUT DIRE»

Par Claire Devarrieux— 3 avril 2020 à 17:06

Entretien avec Agnès Desarthe.

Agrégée d’anglais, la romancière Agnès Desarthe (la Chance de leur vie, 2018) est aussi traductrice. Elle a donné la version française de plus de trente livres, parmi lesquels, aux éditions de L’Olivier, les Oiseaux du ciel d’Alice Thomas Ellis, et récemment, Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout d’Alice Munro. Sa traduction de l’Intemporalité perdue et autres nouvelles est un modèle de charme et de fluidité.
Traduire ces nouvelles, est-ce une idée de vous ?
La proposition est venue de Claire Do Sêrro qui dirige la littérature étrangère chez Nil et Robert Laffont. Elle a beaucoup insisté. Elle semblait si sûre de son intuition (d’après elle, j’étais la traductrice idéale pour ce texte) que j’ai accepté de lire le manuscrit de ces nouvelles inédites alors que je n’avais pas de temps à leur consacrer à l’époque.

Qu’aviez-vous lu d’Anaïs Nin auparavant ?
Rien. Pourquoi le cacher ? Mais alors que j’hésitais encore à la traduire, un ami à qui j’en ai parlé m’a dit : «Sans elle, je n’aurais jamais survécu à mes 14 ans.» Cette phrase m’a amusée. Cela constituait pour moi comme une première lecture par personne interposée.
Et maintenant, fait-elle partie des auteures que vous aimez ?
Je l’aime à travers ces nouvelles pour lesquelles j’éprouve un mélange inédit d’attendrissement et d’admiration. Elle avait 27 ans quand elle les a écrites. Ce n’est pas si jeune et pourtant il y a une vigueur et un désordre dans la volonté de tout dire, de tout embrasser qui paraîtraient presque adolescents dans certaines. J’ai aimé son humour, son sens de la caricature et l’audace avec laquelle elle produit, l’air de rien, un discours parfaitement éclairé sur la création et sur la littérature. Des histoires comme «Alchimie» ou «La chanson dans le jardin» constituent de véritables bijoux qui tiennent autant de l’essai critique que de la nouvelle.
Ce recueil vous a-t-il amenée à lire d’autres textes de Nin ?
Il le fera. Je n’en doute pas. Le chemin de lecture est ouvert. Le temps de regagner le bivouac après avoir parcouru les pistes débroussaillées par Jack London et les sentiers de douanier arpentés par Maupassant et je m’y lance.
Passer du temps en sa compagnie a-t-il été agréable ? Difficile ? Les deux ?
Cette rencontre avec Anaïs Nin, a constitué un moment d’amitié littéraire radieux. Elle m’a déroutée, amusée, instruite, étonnée. J’avais l’impression que l’on ressent parfois quand on passe un moment avec un enfant surdoué pour lequel on éprouve un sentiment protecteur auquel viennent s’ajouter une goutte d’effroi et quelques soupçons d’incrédulité. «Comment ça marche dans ta petite tête ?» a-t-on envie de demander, terrassé par la nouveauté de ce que l’on découvre.
Il y a aussi un plaisir particulier à lire et traduire, comme si c’était une parfaite inconnue, une figure littéraire qui a le statut d’icône. Je suis, d’une certaine façon reconnaissante à ma propre ignorance, à cette faille dans ma culture qui m’ont fait l’ignorer et m’ont permis de l’aborder sans préjugés. Sa réputation, bonne ou mauvaise, sulfureuse ou provocatrice, n’a pas pu altérer mon approche. Je suis venue vierge à Nin et peut-être était-ce le meilleur moyen de m’entendre si bien avec elle.
LIBÉRATION

mardi 5 mai 2020

Per Olov Enquist / Les errantes de La Baltique






Extradition des baltes (l') bab n 449 (Babel): Amazon.es: Per-Olov ...

LES ERRANTS DE LA BALTIQUE

Par Olivier TRUC— 5 octobre 2000 à 05:05
En s'attaquant à l'Extradition des Baltes dans les années soixante, Per Olov Enquist plonge sa plume dans une plaie profonde de la société suédoise. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des dizaines de milliers de Baltes fuient l'avancée soviétique et traversent la mer Baltique pour se réfugier en Suède. Parmi eux, une poignée de militaires qui portent l'uniforme allemand, soit qu'ils aient été engagés volontaires, soit enrôlés de force. Au total, comme le note Per Olov Enquist dès les premières lignes du livre, 167 hommes dont 7 Estoniens, 11 Lituaniens et 149 Lettons, la plupart ayant servi dans la 15e division SS lettone. Emprisonnés en Suède, ils furent réclamés par l'URSS. Le gouvernement suédois s'empressa d'accepter. Pendant la guerre, la toute neutre Suède avait eu des tendances collaboratrices avec l'Allemagne. Comment refuser ce petit service à une grande puissance victorieuse alors que la Suède n'avait pas franchement la conscience tranquille?
Malgré une forte mobilisation de l'opinion suédoise, une grève de la faim des Baltes, deux suicides, les 146 Baltes en état de faire le voyage sont extradés en janvier 1946 vers l'URSS. Certains furent envoyés en Sibérie, d'autres relâchés après six mois de prison. Comme avec le Médecin personnel du roi, Per Olov Enquist se livre à un minutieux décorticage d'une crise politique, de ses mécanismes, de l'engrenage dans lequel tombe le petit homme, qu'il soit soldat balte ou fonctionnaire suédois, avec une précision presque clinique, une façon très particulière de soumettre un événement à des lumières rasantes placées sous différents angles pour mieux en faire ressortir les détails, parfois jusqu'à l'absurde.
Pour Enquist, il s'agissait de trouver des réponses, «à propos du grand schéma idéologique et du petit schéma humain qu'il enferme». L'Extradition des Baltes était dès lors un sujet de rêve tant il a traumatisé les Suédois des années durant. Il fut l'événement le plus discuté de l'après-guerre. Et pour tenter d'effacer un peu de cette tache d'avoir envoyé ces hommes à un avenir sombre, une quarantaine de ces Baltes ont été invités en 1994 en grande pompe en Suède, par le roi lui-même, et ont reçu une sorte d'excuses du gouvernement suédois. Aujourd'hui, trente ans après avoir écrit ce «roman documentaire» pour lequel il a voyagé au Danemark, en Angleterre et dans la Lettonie soviétique d'alors, consulté des monceaux de documents et interviewé de nombreux acteurs, Per Olov Enquist a le sentiment que son livre était vrai. Il a gardé le contact avec certains de ces soldats maudits. «Mais ceux avec qui je suis resté ami étaient des engagés de force, pas de ceux qui ont participé aux exécutions de masse.»
Finalement, on a le sentiment qu'Enquist les considère toujours un peu comme son Struensee, le médecin personnel du roi, des gamins dans un cas, un intellectuel idéaliste dans l'autre, qui n'ont pas su voir le jeu du pouvoir, les vrais ennemis. «Il faut voir à la fois les mécanismes et les hommes», insiste Per Olov Enquist, qui avait gagné, après la publication de l'Extradition des Baltes, l'étiquette d'écrivain engagé.
Olivier TRUC Per Olov Enquist L'Extradition des Baltes 
Traduit du suédois par Marc de Gouvenain et Lena Grumbach. 
Babel, 524 pp., 63 F.
LIBÉRATION

samedi 2 mai 2020

Per Olov Enquist / Le piétiste et la petite reine

Per Olov Enquist








ENQUIST, LE PIÉTISTE ET LA PETITE REINE

Par Olivier TRUC Stockholm de notre correspondant— 5 octobre 2000 à 05:05

Le roi joue sous la table avec son chien et son petit valet noir, le ministre travaille, signe des centaines d'édits. «Il faisait l'amour, rédigeait et signait.»

Per Olov Enquist habite Vaxholm, dans l'archipel de Stockholm, mais reçoit dans son bureau, un vaste appartement encombré de livres et de papiers à même le sol, dans un des immeubles en demi-cercle construits par l'architecte catalan Ricardo Bofill dans un quartier sud de Stockholm.
Vous avez habité à Berlin, Los Angeles, Paris, Copenhague, d'où vient cette bougeotte?
A Berlin, j'avais une bourse d'un an, à Los Angeles, j'étais professeur un an aussi à l'université de Californie. A Copenhague, j'étais marié avec une Danoise, attachée culturelle. J'ai passé quinze ans là, avant de la suivre deux ans et demi à Paris. Et puis retour en Suède..
Une nouvelle femme. C'est toujours pareil. Mais comme écrivain, on peut être mobile, et ça a des avantages. J'ai beaucoup appris de mes séjours à l'étranger, notamment au Danemark, et le Médecin personnel du roi en est une illustration.
Qu'est-ce qui vous a décidé à l'écrire?
C'est une histoire curieuse. Un intellectuel solitaire, Struensee, homme des Lumières, obtient l'inconcevable. Il reçoit tous les pouvoirs durant deux ans. Je crois que la plupart des intellectuels qui écrivent sur les problèmes de société rêvent au plus profond d'eux-mêmes de prendre le pouvoir pour appliquer leurs théories. Cet homme, médecin et idéaliste, fit de son mieux durant deux ans et produit une révolution danoise.. vingt ans avant la révolution française. Cela s'est mal fini mais cela a beaucoup marqué le Danemark et la Scandinavie. Aujourd'hui encore, le radicalisme culturel, né de cette période, est encore vivace. A cela s'ajoute une histoire d'amour avec un personnage féminin, une gamine terrifiée qui va se transformer en une femme très étrange.
Vous décrivez l'éducation assez étonnante du jeune roi danois..
C'est terrible. On écrase un jeune homme sensible dont on dit après qu'il était fou. Mais je ne crois pas qu'il était fou. Je crois qu'il devait se voir comme une sorte de star rock de l'époque, à jeter des meubles par les fenêtres ou détruire une chambre d'hôtel. Un mélange d'agressivité et d'extrême intelligence. En dépit de cette éducation qui l'a aliéné, il parlait couramment danois, français, allemand et anglais et avait une correspondance avec Voltaire.
Lequel de vos personnages vous a le plus touché?
C'est bien la petite reine, que je considérais d'abord comme un personnage assez falot, qui passait son temps à pleurer, mais s'est muée en une femme au destin très intéressant. Mes sentiments vont aussi vers ce pauvre roi, bien sûr. Je crois toutefois que j'ai eu un respect grandissant pour Guldberg, l'homme de la réaction anti-Lumières. Il n'était pas seulement le méchant. Il avait aussi une culture colossale. Quand il a été renversé en 1784, il a fait ce que beaucoup devraient faire, il s'est retiré à la campagne pour continuer à écrire. Il n'était pas un homme méchant. C'était un piétiste conservateur et le piétisme joue là un rôle énorme.
Vous-même, vous avez été élevé dans un contexte très religieux. Cela explique-t-il votre faible pour Guldberg?
Je suis né dans un petit village du grand Nord de la Suède, à mille kilomètres au nord de Stockholm. J'ai habité seul avec ma mère et ma demi-soeur, je l'ai raconté dans la Bibliothèque du capitaine Nemo (1). Dans ce village, il y avait aussi un mouvement du réveil, c'était une église libre-évangélique, avec de nombreux traits extatiques.
Que reste-t-il de cette éducation en vous?
Beaucoup. Ce sont les quinze premières années de ma vie. J'étais trois à quatre soirs par semaine dans la salle des prières. C'était une éducation très stricte, extrêmement fondamentaliste au sein de cette église libre. Ma mère, profondément religieuse, y était très active. Ce qu'il en reste, c'est le fait de savoir que le fondamentalisme est terriblement destructeur. Mais il y a eu beaucoup de bons côtés aussi. J'ai appris les questions qui se posaient: ce qui est bien et ce qui est mal, ce qu'est le sens de la vie, le ciel et l'enfer, la morale, etc. C'était des questions remarquables, des questions existentielles qu'il était précieux de connaître enfant si l'on voulait devenir écrivain! Il n'y avait rien de mauvais dans les questions. C'étaient les réponses, qui étaient fondamentalistes et définitives. Et aujourd'hui, je suis toujours intéressé par ces questions existentielles, toutes ces questions sans espoir sur le bien et le mal, ces questions carrées et simples, que, je crois, il est important de garder à l'esprit dans notre monde très compliqué.
Vous disiez que le médecin Struensee était un intellectuel solitaire. Est-ce votre cas?
Oui, d'une certaine façon, mais j'ai aussi grandi dans un monde très spécifique, dans un contexte suédois, dans ce que l'on appelle ici les mouvements populaires. J'ai grandi dans le mouvement ouvrier, dans celui des tempérants (les ligues antialcooliques sont toujours largement représentées, Ndlr), de l'église libre, du monde sportif. Je suis l'enfant parfait du mouvement populaire suédois. Même au Danemark, c'est dur à expliquer, c'est typiquement suédois et j'ai appris beaucoup de cela.
Comment le décririez-vous?
C'est un mouvement démocratique où des gens qui partagent un même intérêt ­ sport, tempérance ou mouvement ouvrier­ se rassemblent au niveau de la base. Des petits groupes collaborent. Ce n'est pas dirigé d'en haut mais ça pousse par en bas et cela a imprégné toute la société suédoise.
Vous avez aussi rêvé de prendre le pouvoir?
Oui, comme tous ceux qui s'intéressent à la société, j'imagine. J'écris des textes politiques dans des journaux. Je suis social-démocrate. Mais j'ai compris que la seule façon pour moi d'agir n'était pas d'être un politicien, mais de faire à ma façon, en écrivant. Si j'emploie des mauvais mots, aucune influence. Avec des bons mots, une petite possibilité..
Après «la Bibliothèque du capitaine Nemo», vous aviez décidé de ne plus écrire de romans. Pourquoi?
J'ai écrit ma première pièce de théâtre en 1975 et, chose insolite pour un début, elle a été jouée dans le monde entier en quelques années. Après, j'ai écrit beaucoup de théâtre, et le capitaine Nemo était un peu inhabituel car je décrivais ma propre enfance. J'avais attendu longtemps pour l'écrire, car je ne voulais pas le faire du vivant de ma mère. Mais ensuite, on ne décide pas de ce qu'on écrit. Maintenant, j'ai fait le Médecin. En ce moment, je travaille à un roman et j'écris du théâtre en même temps. Je passe de l'un à l'autre. Ce sont deux graines différentes qui m'enrichissent.
C'est important pour vous?
Oui, car j'ai découvert cela tardivement. Pendant quinze ans, je me suis considéré comme un auteur de roman, point final. Et puis il y a eu ma première pièce, j'ai vu que je pouvais faire autre chose, et j'en suis encore étonné.
Vous êtes l'auteur dramatique suédois le plus joué à l'étranger après Strindberg, comment écrivez-vous pour le théâtre?
Avec pas mal d'espace entre chaque pièce, mais quand j'écris, c'est très vite. J'ai écrit une dizaine de pièces, chacune en deux semaines environ. Je ne pense presque pas. Je m'assied, j'écris, vite, à l'intuition, et la pièce est là. Alors que pour un roman, je compte deux ans. J'ai fait notamment des romans documentaires, comme l'Extradition des Baltes et maintenant le Médecin personnel du roi, qui ont demandé beaucoup de recherches et d'enquêtes. Mon roman actuel, je l'avais démarré il y a huit ans, je l'ai repris, je vais peut-être écrire mille pages, et le reprendre. J'en suis à la deuxième version et je vais en faire une troisième à partir de novembre. Je trouve toujours que j'écris tellement mal au début, avec de longues phrases, tellement de mots. Pour le Médecin personnel du roi, j'ai bien dû écrire trois mille pages comme ça.
(1) Actes Sud, 1992.
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