Autoportrait Sylvie Guillem |
Sylvie Guillem, une danseuse en son armure
Daniel Conrod
Publié le 28/06/2008.
Un caractère bien trempé (atouts et failles) dissimulé derrière une certaine distance… Sylvie Guillem, ballerine rebelle, remonte sur scène pour un hommage à Béjart. Elle est ce soir et jusqu'au 28 juin aux Nuits de Fourvière, et se produira au château de Versailles les 1er et 2 juillet.
« Je ne regarde pas les années écoulées comme une fresque ou une ligne continue, mais comme une série de petits tableaux. » Et le tableau de ce jour ouvre sur un paysage manifestement serein, équilibré. Guillem l'apaisée, cheveux dénoués, jambes croisées sur un canapé, sweat, jeans et baskets, encore vaguement enveloppée par l'odeur d'une cigarette : « Si je n'ai pas encore trouvé la sagesse, je sais maintenant retarder l'explosion. » Ni star ni légende, ni même icône, alors qu'elle est tout ça et ne l'ignore pas, Sylvie Guillem a plus que joué le jeu du portrait. On la disait distante, méfiante, elle s'est montrée simple et loyale. Pas de révélation ni de secrets, seulement des mots justes, prononcés sans comédie et appuyés d'une gestuelle carrée. A partir de là commencent les difficultés. De quelque côté que l'on se tourne, au moment de raconter l'artiste et sa carrière, le cliché menace. Toujours reviennent les mêmes fragments d'une même histoire mille fois rebattue. Et puis comment s'y retrouver aujourd'hui ? Tant de Guillem se sont additionnées les unes aux autres au fil du temps.
Guillem la gymnaste hors norme de 11 ans, programmée pour devenir championne olympique, qui plonge presque par hasard dans la danse classique comme dans un océan. Guillem l'étoile rebelle de l'Opéra de Paris qui tient tête en 1988 à son patron d'alors, l'immense Rudolf Noureev, claque la porte de la boutique, à 24 ans, et choisit de s'installer à Londres, alors qu'elle est parvenue en France à des sommets indépassables ou supposés tels et qu'elle parle un anglais maladroit. Guillem la franchise, qui l'ouvre, qui n'aime pas ne pas comprendre, qui n'a pas peur des mots et des autres, s'avance presque à l'aveugle sur la scène médiatique pour dire leur fait aux vaniteux ou aux ignorants. Guillem la craintive, la farouche, celle qui ressemble quelquefois à un chat sauvage tombé du toit, qui mesure sa confiance, se méfie des images, redoute comme une enfant la cruauté des hommes. Guillem la ballerine au pied inimitable, à la détente magistrale, à l'instinct de fauve, désormais l'une des toutes premières au firmament de la danse. Ou Guillem l'interprète contemporaine, qui mène aujourd'hui sa vie de guest internationale au gré de ses rencontres, de ses fidélités et de ses partis pris. Ou encore Guillem l'artiste réellement populaire - mais non populiste - qui ne méprise pas le succès ni son public. Sur ce point, sa position est à peu près imparable, elle tient en deux phrases-balises indissociables, « Ce n'est pas parce que l'exceptionnel est rare qu'il ne peut pas être populaire » et « Je danse pour des raisons qui sont les miennes et qui ne sont pas nécessairement celles de ceux qui aiment la danse ».
Le reste, c'est-à-dire toutes les autres Guillem, se cache alternativement derrière une froideur furtive qui traverse le regard, le timbre de sa voix devenu un peu plus métallique ou encore une poignée de main sèche et rugueuse. La clé des songes est bien gardée. Guillem la secrète, Guillem en son armure. On se rappelle peut-être la série d'autoportraits que la danseuse a réalisée pour le magazine Vogue en février 2000. Elle s'y exposait nue face à un miroir, jouant avec une caméra, comme s'il s'agissait d'un partenaire de scène, dévoilant une musculature proprement fracassante, sinon inquiétante. Car d'où venait-il, ce corps d'exception qu'elle nous montrait ? De quelle éprouvette était-il le produit ? Quelle humanité annonçait-il ? Mais en même temps qu'elle livrait au lecteur sa propre étrangeté, Guillem dévoilait comme jamais des yeux de déesse égyptienne farouche, comme pour lui dire, « Pas touche ! » ou « Pas plus loin ! » Il n'y avait nul aveu, nulle transparence dans cette nudité. Seulement une démonstration de force glaciale et calculée. Peut-être aussi une hypothèse lancée au public, quelque chose comme : si la danse d'aujourd'hui et de demain devait ressembler à quelque chose, ce serait davantage à ce que je vous montre qu'à toutes les vieilles représentations auxquelles vous êtes accrochés. Intuition d'un art résolument tourné vers le XXIe siècle technologique, virtuel et sans frontières. Un coup de dés parmi les plus audacieux dans une carrière qui en compta quelques autres. Celui-ci par exemple, lorsque, au sommet de sa gloire, elle quitte l'Opéra de Paris parce qu'elle n'obtient pas de Rudolf Noureev, alors directeur de la danse, la liberté de mouvement qu'elle estime indispensable à la poursuite de sa carrière, à savoir le libre choix de ses rôles et de ses partenaires et la possibilité de répondre aux invitations qui lui viennent d'un peu partout dans le monde : « Noureev comprenait mieux que personne ce que je lui demandais. En me le refusant, il a mis à l'épreuve mon désir de liberté. » Il ne s'est pas trompé. C'est ainsi que Sylvie Guillem entreprend en 1988 une deuxième carrière au Royal Ballet de Londres, dont elle devient la guest principale. Ils ne sont pas foule, les artistes qui sautent le pas sans se rompre : « J'ai aussi appris de Noureev le goût de l'égarement. »
Faut-il trouver un fil à cette histoire ? « Depuis le début, je vais naturellement vers ce qui m'attire, à l'instinct. Au pire, je m'en contente, au mieux, je m'en émerveille. Je me fais confiance. Un train passe ? Je monte sans me poser la question de la durée du voyage. Je fais les choses comme elles se présentent. Et quand je ne veux plus que ça dure, ça ne dure pas. » Voilà comment Sylvie Guillem a construit une carrière internationale, et le plus souvent solitaire, qui ne ressemble à nulle autre. Elle est faite de rencontres avec des chorégraphes le plus souvent contemporains que rien ne rapproche, sinon la curiosité que leur inspire la très étrange Sylvie Guillem. Il y a, par exemple, Mats Ek le Suédois, William Forsythe le Germano-Américain, Russell Maliphant ou Akram Khan les Anglais, Maurice Béjart le Français. A tous, elle a présenté la même demande, avec probablement ce même regard obstiné qu'elle porte sur ses interlocuteurs, « apprenez-moi quelque chose, donnez-moi quelque chose que je ne connais pas. Emmenez-moi où je ne sais pas ! » Sylvie Guillem est présente deux fois cet été sur les scènes françaises, pour un hommage à Maurice Béjart .
Guillem la gymnaste hors norme de 11 ans, programmée pour devenir championne olympique, qui plonge presque par hasard dans la danse classique comme dans un océan. Guillem l'étoile rebelle de l'Opéra de Paris qui tient tête en 1988 à son patron d'alors, l'immense Rudolf Noureev, claque la porte de la boutique, à 24 ans, et choisit de s'installer à Londres, alors qu'elle est parvenue en France à des sommets indépassables ou supposés tels et qu'elle parle un anglais maladroit. Guillem la franchise, qui l'ouvre, qui n'aime pas ne pas comprendre, qui n'a pas peur des mots et des autres, s'avance presque à l'aveugle sur la scène médiatique pour dire leur fait aux vaniteux ou aux ignorants. Guillem la craintive, la farouche, celle qui ressemble quelquefois à un chat sauvage tombé du toit, qui mesure sa confiance, se méfie des images, redoute comme une enfant la cruauté des hommes. Guillem la ballerine au pied inimitable, à la détente magistrale, à l'instinct de fauve, désormais l'une des toutes premières au firmament de la danse. Ou Guillem l'interprète contemporaine, qui mène aujourd'hui sa vie de guest internationale au gré de ses rencontres, de ses fidélités et de ses partis pris. Ou encore Guillem l'artiste réellement populaire - mais non populiste - qui ne méprise pas le succès ni son public. Sur ce point, sa position est à peu près imparable, elle tient en deux phrases-balises indissociables, « Ce n'est pas parce que l'exceptionnel est rare qu'il ne peut pas être populaire » et « Je danse pour des raisons qui sont les miennes et qui ne sont pas nécessairement celles de ceux qui aiment la danse ».
Le reste, c'est-à-dire toutes les autres Guillem, se cache alternativement derrière une froideur furtive qui traverse le regard, le timbre de sa voix devenu un peu plus métallique ou encore une poignée de main sèche et rugueuse. La clé des songes est bien gardée. Guillem la secrète, Guillem en son armure. On se rappelle peut-être la série d'autoportraits que la danseuse a réalisée pour le magazine Vogue en février 2000. Elle s'y exposait nue face à un miroir, jouant avec une caméra, comme s'il s'agissait d'un partenaire de scène, dévoilant une musculature proprement fracassante, sinon inquiétante. Car d'où venait-il, ce corps d'exception qu'elle nous montrait ? De quelle éprouvette était-il le produit ? Quelle humanité annonçait-il ? Mais en même temps qu'elle livrait au lecteur sa propre étrangeté, Guillem dévoilait comme jamais des yeux de déesse égyptienne farouche, comme pour lui dire, « Pas touche ! » ou « Pas plus loin ! » Il n'y avait nul aveu, nulle transparence dans cette nudité. Seulement une démonstration de force glaciale et calculée. Peut-être aussi une hypothèse lancée au public, quelque chose comme : si la danse d'aujourd'hui et de demain devait ressembler à quelque chose, ce serait davantage à ce que je vous montre qu'à toutes les vieilles représentations auxquelles vous êtes accrochés. Intuition d'un art résolument tourné vers le XXIe siècle technologique, virtuel et sans frontières. Un coup de dés parmi les plus audacieux dans une carrière qui en compta quelques autres. Celui-ci par exemple, lorsque, au sommet de sa gloire, elle quitte l'Opéra de Paris parce qu'elle n'obtient pas de Rudolf Noureev, alors directeur de la danse, la liberté de mouvement qu'elle estime indispensable à la poursuite de sa carrière, à savoir le libre choix de ses rôles et de ses partenaires et la possibilité de répondre aux invitations qui lui viennent d'un peu partout dans le monde : « Noureev comprenait mieux que personne ce que je lui demandais. En me le refusant, il a mis à l'épreuve mon désir de liberté. » Il ne s'est pas trompé. C'est ainsi que Sylvie Guillem entreprend en 1988 une deuxième carrière au Royal Ballet de Londres, dont elle devient la guest principale. Ils ne sont pas foule, les artistes qui sautent le pas sans se rompre : « J'ai aussi appris de Noureev le goût de l'égarement. »
Faut-il trouver un fil à cette histoire ? « Depuis le début, je vais naturellement vers ce qui m'attire, à l'instinct. Au pire, je m'en contente, au mieux, je m'en émerveille. Je me fais confiance. Un train passe ? Je monte sans me poser la question de la durée du voyage. Je fais les choses comme elles se présentent. Et quand je ne veux plus que ça dure, ça ne dure pas. » Voilà comment Sylvie Guillem a construit une carrière internationale, et le plus souvent solitaire, qui ne ressemble à nulle autre. Elle est faite de rencontres avec des chorégraphes le plus souvent contemporains que rien ne rapproche, sinon la curiosité que leur inspire la très étrange Sylvie Guillem. Il y a, par exemple, Mats Ek le Suédois, William Forsythe le Germano-Américain, Russell Maliphant ou Akram Khan les Anglais, Maurice Béjart le Français. A tous, elle a présenté la même demande, avec probablement ce même regard obstiné qu'elle porte sur ses interlocuteurs, « apprenez-moi quelque chose, donnez-moi quelque chose que je ne connais pas. Emmenez-moi où je ne sais pas ! » Sylvie Guillem est présente deux fois cet été sur les scènes françaises, pour un hommage à Maurice Béjart .
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