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dimanche 31 janvier 2016

Jack London / L'appel de l'écriture


Jack London

JACK LONDON L’APPEL DE L’ÉCRITURE

Une anthologie de l’auteur de «Croc blanc» où il apparaît en loup des lettres

Par Philippe Lançon— 29 janvier 2016 à 18:01
On enterre beaucoup d’écrivains et d’artistes nationaux ou internationaux, ces temps-ci. En 1903, c’est Kipling qu’on enterrait. Certes, il n’est mort qu’en 1936, mais il arrive qu’on inhume un auteur de son vivant, sous des pelletées de superlatifs ou de suppressifs. Jack London, 27 ans et déjà quelques vies derrière lui, a son idée sur les célébrations et funérailles dont l’auteur de Kim, qu’il admire, est le sujet in vivo. Elles valent aussi bien pour les grands d’aujourd’hui. Qui les célèbre ? «La masse instable et grégaire, toujours à califourchon sur la barrière, toujours prête à tomber d’un côté ou de l’autre et à y regrimper sans la moindre gêne ; qui vote démocrate à une élection et républicain à la suivante ; qui découvre et hisse sur le pavois un prophète qu’elle lapidera peut-être demain ; qui pousse des clameurs d’admiration pour le livre que tout le monde lit, pour la seule raison que tout le monde le lit. C’est le troupeau où règnent la fantaisie et le caprice, la marotte et la mode, c’est la masse instable, incohérente, parlant et pensant comme la foule, les «singes», excusez-moi, du temps présent.»

Kipling ? «Oui, honte pour lui, ces gens le lisaient. Mais ce n’était pas de sa faute. S’il avait dépendu d’eux, il aurait bien mérité de mourir et de ne plus jamais ressusciter. Mais, pour eux, soyons justes, il n’a jamais vécu. Ils le croyaient en vie, mais il était déjà aussi mort qu’il l’est aujourd’hui et le sera à jamais.» Mort pour eux, beaucoup moins vivants qu’ils ne croient : «Si tout le monde portait le deuil, ils se devaient d’en faire autant. Et ainsi une grande lamentation s’éleva. Chacun stimulait le chagrin de l’autre et ils se mirent tous en secret à lire cet homme dont ils n’avaient jamais rien lu et proclamèrent qu’ils l’avaient toujours apprécié. Et le lendemain, sans perdre un instant, ils noyèrent leur chagrin dans un océan de romanesque historique puis oublièrent tout de lui.» London n’a pas attendu la télé ni les réseaux sociaux pour décrire, mains dans ses poches crevées de lutteur et d’aventurier, cette maladie de l’oraison funèbre démocratique.

En prise directe
L’anthologie dont ce texte est issu a été réunie par Francis Lacassin, mort en 2008, grand ouvrier infiniment érudit de l’exhumation littéraire. Une note précise que l’éditeur n’a pu retrouver ses ayants droit et que «leurs droits sont bien entendu réservés» : en voilà un qui semble enterré. Mais ce recueil thématique d’articles et d’extraits de lettres de Jack London, lui, est plus que vivant - et beaucoup plus qu’un ramasse-miettes. On lit en prise directe, au fil de la plume et tout au long d’une vie, ce que London pense des rapports entre la littérature et la vie, ce que signifie pour lui écrire, publier, publier dans des magazines, avoir ou non du succès, ce qu’il pense de ses propres livres et de ceux des autres. Tout est féroce, naturel, enthousiaste, énervé, ironique. Se dégage peu à peu la silhouette d’un homme qui paraît annoncer Hemingway, sans jamais tourner au dandy.

L’auteur de Croc-blanc se sent proche de Cyrano de Bergerac, le héros d’Edmond Rostand, sans doute à cause de ce cheval d’orgueil : le courage. Le courage, le travail, l’énergie, la volonté de raconter des histoires sur les mondes qu’il traverse, qu’il éprouve, telles sont les vertèbres de London. Ses maîtres sont Stevenson et Conrad. L’accuse-t-on de plagier des auteurs moins importants, des scientifiques du grand Nord ? «Imaginez un enfant, dans une rue, faisant un premier pâté et annonçant ensuite aux autres enfants de la rue : "Vous ne ferez pas de plus gros pâtés."» Crier au plagiat est digne d’une cour de récréation,«un non-sens. La véritable question n’est pas : "L’a-t-il fait de la même façon que moi ?" mais "L’a-t-il fait mieux que moi ?". Et s’il a fait mieux, eh bien tirons-lui notre chapeau.»
  
Forçat
Dans ces textes écrits à la hussarde, presque tout est merveilleusement incorrect, d’une joie agressive ou d’une colère ouverte : il ne faut pas attendre de la morale de London qu’elle entre dans un costume de petits-bourgeois. C’est le forçat qui parle à travers l’écrivain, celui qui a vu trimer et crever une partie des damnés de la terre. Le loup des mers est un loup des lettres. A propos des mœurs littéraires, par exemple. L’écrivain a mieux à faire qu’à dire ce qu’il pense des livres des autres (même si lui le fait parfois avec générosité). D’abord, «chaque fois qu’un écrivain dit la vérité sur un manuscrit (ou un livre) à un auteur ami, il perd cet ami». Et, s’il dit la vérité sur le texte d’un inconnu, «il s’en fait un ennemi».

Ensuite et surtout, un écrivain n’est pas un bienfaiteur de l’humanité :«Eprouver de la sympathie pour l’inconnu qui essaie de percer, c’est fort bien. C’est très beau - mais il y a tellement d’inconnus qui luttent, quelque chose comme plusieurs millions. Et il ne faut pas abuser de la sympathie. La sympathie commence par soi-même. L’écriture devrait plutôt laisser la multitude d’inconnus rester inconnus au lieu de mettre ses proches, et ceux qu’il aime, sur la paille et dans la fosse commune.»C’est pourquoi le critique existe et doit être (bien) payé.


Philippe Lançon
Jack London

Profession : écrivain Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Francis Lacassin et Jacques Parsons, Les Belles-Lettres, 392 pp., 13,90 €.





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Ficciones à 3:49 AM
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Escritor colombiano. Especialista en Traducción y Magíster en Literatura. Obtuvo el VII Premio Enka de Literatura Infantil en 1989 con Las batallas de Rosalino, el Premio Comfamiliar del Atlántico en 1991 con Caperucita Roja y otras historias perversas, el Premio Nacional de Literatura de Colcultura en 1993 con La muchacha de Transilvania, el Premio Nacional de Dramaturgia para la Niñez en 1998 con Torcuato es un león viejo, el Premio de Literatura Infantil Parker en 2003 con La negra y el diablo y el Premio Nacional de Cuento Jorge Gaitán Durán en 2007 con Mujeres muertas de amor. Autor recomendado por el Banco del Libro de Venezuela. Además, White Ravens 2014 por El niño gato. Premio Fundación Cuatro Gatos 2014 y Lista de honor IBBY 2016 por Letras robadas. Nominado a los premios Hans Christian Andersen 2018 y Astrid Lindgren 2022.
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