lundi 21 décembre 2020

Camus, le virus et nous


Camus, le virus et nous


CHRONIQUE. Si pour la plupart «La Peste» remonte aux années d’adolescence, il vaut la peine de s’y replonger aujourd’hui tant on y trouve d’échos à la vague épidémique qui déferle

Lisbeth Koutchoumoff Arman
Publié dimanche 15 mars 2020 à 13:03
Modifié dimanche 15 mars 2020 à 13:34

Au tout début de La Peste de Camus, le docteur Rieux bute sur un rat mort sur le palier de son appartement. Le concierge, averti, est catégorique: il n’y a pas de rats dans la maison, ce ne peut être qu’une farce. Le docteur se rend ensuite en ville, à Oran, au chevet de plusieurs malades. Plus il progresse dans ses visites, plus le nombre de rats, vivants ou morts, augmente, au détour des rues. «Qu’est-ce que c’est que cette histoire de rats?» demande la femme de Rieux, le lendemain. «Je ne sais pas, c’est bizarre. Mais cela passera», lui répond-il.

Le concierge, quant à lui, a décidé de faire le guet pour débusquer les plaisantins qui déposent des rats sanguinolents dans les couloirs. Peu de temps après, il sera la première victime (le patient zéro) de la peste qui s’est emparée de la ville.

La réalité en face

Début janvier déjà, alors que le Covid-19 semblait encore loin de l’Europe, les ventes du chef-d’œuvre d’Albert Camus ont bondi. Fin janvier, le nombre d’exemplaires était multiplié par quatre en France et par trois en Italie. Mouvement spontané conjugué aux conseils des professeurs dans les écoles, des libraires aussi qui le mettent en avant en Suisse aussi? En tous les cas, si pour la plupart cette lecture remonte aux années d’adolescence, il vaut la peine de s’y replonger aujourd’hui tant on y trouve d’échos à la vague épidémique qui déferle: les autorités qui tardent à regarder la réalité en face, les mesures de confinement, les différentes façons de réagir face au mal, par le déni, le dédain, la magouille, la panique, la fuite. Ou l’engagement, incarné par le docteur Rieux.

En 1947, à la parution de La Peste, les lecteurs y ont lu, et c’était le souhait de l’auteur, une fable sur la résistance face au nazisme. Mais la pestilence peut prendre d’autres couleurs, d’autres noms. Camus a écrit de façon à ce que son livre puisse être lu «sur plusieurs portées».

Comme tous les classiques, chaque génération s’y retrouve, chaque actualité s’y reflète. Succès immédiat en France et à l’étranger, traduit dans une dizaine de langues, La Peste demeure aujourd’hui le 3e plus grand succès de Gallimard après Le Petit Prince de Saint-Exupéry et L’Etranger de Camus.

Criants de vérité

Autre lecture d’actualité, parue celle-là en janvier et qui frappe par son côté prémonitoire: le premier volume de La Chute, de Jared Muralt, dessinateur et auteur de BD bernois. Lors d’un été caniculaire, une grippe sévit et tue. Le virus s’ajoute à la sécheresse et à la crise migratoire.

L’armée est appelée pour faire respecter les mesures de confinement et n’hésite pas à tirer. Les denrées alimentaires manquent, les gangs règnent, la faim aussi. Dans ce monde qui s’écroule, un homme pleure sa femme atteinte du virus et tente de survivre avec ses deux jeunes ados. Il est sonné. Nous le sommes tous.

LE TEMPS



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