Les histoires vraies de Somerset Maugham
On ne présente plus Somerset Maugham, le plus francophile des écrivains britanniques, globe-trotteur, espion et auteur à succès.
Par Véronique Maurus
On ne présente plus Somerset Maugham, le plus francophile des écrivains britanniques, admirateur de Maupassant et d'Oscar Wilde, de Proust et de Kipling, tour à tour médecin, globe-trotteur, espion et auteur à succès, mort dans sa villa de Saint-Jean-Cap-Ferrat en 1965, à 91 ans.
Son oeuvre, tout le monde la connaît ou croit la connaître ; on l'a vue sur scène, transposée au cinéma, ou lue il y a... longtemps. Reste le souvenir d'un univers désuet, peuplé de stéréotypes datés, colonels moustachus confits dans le gin et ladies sirotant leur thé. Ce souvenir est trompeur. Le temps permet aux livres comme aux vins de décanter, bonifiant les meilleurs. Au contraire de ses romans, les nouvelles de Maugham n'ont pris que des rides superficielles. Le décor n'est plus, mais les personnages demeurent plus actuels que jamais.
Les trois grosses dames d'Antibes, nouvelle éponyme du premier tome de l'intégrale, en est une parfaite illustration. Certes il s'agit bien de ladies (un peu mûres et beaucoup trop enrobées) éprises de bridge et de cocktails, mais les affres qu'elles endurent pour perdre quelques grammes en se soumettant à un régime collectif draconien, pendant qu'une éternelle maigre les nargue en s'empiffrant sous leur nez, pourraient avoir été écrites hier. Avec le même humour féroce, la même subtilité, le même sens du détail qui fait mouche.
Conteur hors pair, Somerset Maugham a poussé le genre de la nouvelle jusqu'à la perfection. Chacune est une "bonne histoire", un conte "avec un début, un milieu et une fin", dit-il. Mais, qu'elles tiennent en quelques pages ou se déroulent à la manière d'un petit roman, chacune résume une vie.
Peu importe l'intrigue, chaque profil sonne d'autant plus vrai qu'il découle d'une enquête psychologique approfondie, même s'il n'est esquissé qu'en quelques mots. Telle cette dame qui "ne mange jamais rien à midi" et, invitée dans un restaurant de luxe, engloutit en un repas l'équivalent d'un mois de salaire. Ou cette "Louise", de santé trop fragile pour supporter les contrariétés, qui enterre ses proches après leur avoir gâché la vie par un incessant chantage affectif.
"Une histoire vraie ne l'est jamais tout à fait au même point qu'une histoire inventée", écrit l'auteur dans "Un collier", inspiré de Maupassant. C'est pourquoi le conte survit aux circonstances qui l'ont fait naître. Prenons "Mackintosh", récit d'une haine qui dégénère entre un gouverneur des îles Samoa, sorte de satrape rusé, et son adjoint trop pointilleux, et oublions le cadre colonial.
Reste la description minutieuse d'un cas de harcèlement moral croisé, dont la progression dramatique pourrait se dérouler aujourd'hui derrière les parois vitrées d'une grande entreprise - avec les mêmes conséquences.
Traduite en 1981 et publiée en France chez Julliard puis en 1992 par Omnibus, l'intégrale des nouvelles de Somerset Maugham était épuisée. Elle est rééditée simultanément par les deux éditeurs : après la version en un seul volume d'Omnibus, Robert Laffont, qui a repris le fonds de Julliard, la publie en quatre tomes.
Les Trois Grosses Dames d'Antibes, de Somerset Maugham. Traduit de l'anglais par Joseph Dobrinsky et Jacky Martien, Robert Laffont, "Pavillon poche", 700 p., 11,90 €.
Mr. Ashenden et autres nouvelles. Omnibus, 1 440 p., 25 €.
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