CLÔTURE DE L’AMOUR À L’IDÉAL
TOURCOING (THÉÂTRE DU NORD)
Clôture de l’Amour, Pascal Rambert l’a écrit pour eux, Audrey Bonnet et Stanislas Nordey. Dans une boîte blanche clinique, les deux comédiens, debout, face à face, sans aucun accessoire pour distraire l’attention, interprètent un couple en pleine rupture. Archétype éculé de la scène de théâtre traditionnelle. Sauf que le texte de Pascal Rambert, la particularité de la mise en scène et le talent des deux comédiens se réapproprient ce cliché de telle manière qu’on le redécouvre absolument. C’est fort, puissant et cela laisse le public abasourdi, comme s’il venait d’assister à un match de boxe verbal.
C’est lui qui ouvre le bal, Stan : « Ça va s’arrêter là, on va pas continuer. » Péremptoire, catégorique. Il a construit son discours, préparé ses arguments, fignolé jusqu’à ses figures de style. Il est venu armé. Car c’est lui qui est à l’origine de la rupture. Il est venu la quitter dans ce décor qui, on le comprend petit à petit, est une salle de répétition : ils sont tous les deux comédiens. Et il dit si bien son texte qu’il crée une sorte de distance entre eux deux, lui permettant ainsi d’asséner à celle avec laquelle il partage sa vie – et trois enfants – des coups d’une violence inouïe sans jamais la toucher. Froid, clinique, il dissèque les ressorts de sa décision sans lui laisser la chance de répondre, méticuleusement, théâtralement. En face, elle encaisse. De trois quarts dos à la scène, elle vit cette logorrhée comme si elle y répondait, alors que seul un cri lui échappe. Elle sourit, moqueuse, aux métaphores artificielles de son compagnon, qui ne cesse de l’interpeller (ils s’appellent sur scène comme à la ville, Stan et Audrey), elle se décompose, pleure et se recroqueville sur elle-même, comme un animal blessé. On se demande où elle trouve la force de ne pas lui arracher les yeux.
Après un intermède – une chorale d’enfants qui interprète Happe de Bashung, dont le seul intérêt est d’offrir au public un instant de respiration – Audrey et Stan inversent les rôles, sur le plateau autant que dans l’échange. A son tour de répondre aux accusations lancées par Stan pour justifier sa décision. Il était dans la préparation, la rationalité. Il avait l’avantage de savoir ce qu’il était venu dire, de ne pas être pris au piège, contrairement à elle. Sa vengeance est au centuple : elle reprend son discours point par point et, par la force de sa douleur, elle détruit son argumentation en l’abreuvant d’insultes, de ce « pauvre connard » qu’elle lui jette enfin à la figure. Là où il parlait des choses matérielles qu’il voulait garder, elle évoque les souvenirs, les émotions, les enfants. Quand il l’accusait de l’enfermer, elle lui avoue qu’il lui a tout appris. Comme un animal blessé, elle attaque avec furie, dans l’émotion, alors qu’il était dans la raison. Elle étouffe de peine et de rage, superbe, tragique. Un immense moment de théâtre que cette femme blessée qui ne cherche pas à retenir celui qui, elle l’a compris, ne l’aime plus : dans une grande intelligence du texte, elle pose à ses pieds tout ce qu’il détruit en la quittant ainsi. Sa dignité impressionne. A son tour à lui de se décomposer sur le plateau, de poser le genou à terre, de s’affaisser sous les coups.
Le texte, la scénographie, la mise en scène, le jeu des comédiens : pas un faux pas dans cette scène de rupture qui devient référence. Alors que les comédiens viennent saluer, une réflexion s’impose : Audrey Bonnet, qui, pendant deux heures, semblait accablée d’un poids immense, est devenue radieuse. Dernière preuve, s’il en était encore besoin, du talent de cette comédienne, métamorphosée en femme brisée et rayonnante sous les applaudissements, plus que mérités.
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