mercredi 17 avril 2024

Dans la rosé des petites choses

 


"C'est dans la rosée des petites choses que le coeur trouve son matin et se rafraîchit."











lundi 15 avril 2024

Víctor Hugo / Le chat

 

Photo: Triunfo Arciniegas



Victor Hugo
LE CHAT

Dieu a inventé le chat pour que l’homme ait un tigre à caresser chez lui.







vendredi 12 avril 2024

Philippe Castelneau / Motel valparaiso / L’Ouest comme abstraction

 



motel valparaiso, de Philippe Castelneau : l'ouest comme abstraction


L’Ouest comme abstraction

par Steven Sampson
8 juin 2022

motel valparaiso, premier roman du libraire Philippe Castelneau, capte le sens transcendant des grands espaces de l’Ouest américain : la solitude, le vide, le génocide des Indiens, ainsi que la quête d’une sagesse primordiale, ensevelie sous le sable, à peine perceptible dans les vents balayant l’armoise.


Philippe Castelneau, motel valparaiso. Asphalte, 132 p., 15 €


Pourquoi préfère-t-on les romans courts ? La brièveté a-t-elle une valeur morale ? On songe aux chansons, à leur capacité de cristalliser le mystère de l’Ouest, telle Wichita Lineman de Glen Campbell (« I am a lineman for the county / And I drive the main road / Searchin’ in the sun for another overload / I hear you singing in the wire / I can hear you through the whine…») ; Rocky Mountain High de John Denver (« When he first came to the mountains his life was far away / On the road and hanging by a song ») ; ou Hotel California des Eagles (« On a dark desert highway, cool wind in my hair / Warm smell of colitis, rising up through the air / Up ahead in the distance, I saw shimmering light… There she stood in the doorway / I heard the mission bell / And I was thinking to myself / ’This could be Heaven or this could be Hell »).

motel valparaiso, situé à Cevola, ville mythique quelque part dans l’Arizona, près de la frontière californienne, concocte son propre mélange d’Enfer et de Ciel. Son narrateur, un Français au mitan de son existence, en deuil de son père et de son mariage, est lui aussi « loin de sa vie », selon la phrase de John Denver, une vie « suspendue à une chanson », à savoir son roman inachevé. Comme Glen Campbell, c’est en suivant un chemin délaissé, la route traversant le désert de Sonora, qu’il croit reconnaître l’appel de l’amour.

Plutôt que de l’entendre, il le voit : depuis la vitre d’un Greyhound en marge du désert, de retour aux États-Unis, pays où il a vécu deux ans il y a longtemps. C’est après des retrouvailles décevantes avec Élisabeth, sa bien-aimée lors de son premier séjour américain, qu’il part de New York. Dans ce voyage de retour, il finit par partir pour la Californie, se dirigeant d’abord vers Tucson, suivant les pas du héros de Get Back (« Jo Jo left his home in Tucson, Arizona for some California grass »).

motel valparaiso, de Philippe Castelneau : l'ouest comme abstraction

En Arizona (2015) © Jean-Luc Bertini

Comme McCartney, Philippe Castelneau chante la frontière entre désert et prairie : Cevola marque la fin des zones stériles. C’est quand l’autocar quitte la ville et que les maisons deviennent de plus en plus espacées, laissant le désert gagner sur la route, qu’il remarque une femme derrière une fenêtre ouverte : « Une femme à la beauté irréelle semblait me faire signe. » Obsédé par ce mirage, il descend du bus à l’arrêt suivant, trois cents kilomètres plus loin, s’achète la voiture la moins chère de la concession automobile locale, une Dodge Dart Swinger 1975, et rebrousse chemin (« Get back to where you once belong »). Qu’est-ce que représentent les Américaines ? Telles les shikses de Philip Roth, elles incarnent l’Amérique profonde. Déracinées, innocemment parachutées sur les terres arides volées aux Indiens, elles attirent le regard européen : l’avidité affronte le vide. C’est de l’absence qu’a soif le narrateur, il avoue qu’il court après une Amérique fantasmée.

Cevola, lieu contradictoire, existe-t-il vraiment ? Le jour, on le croirait  abandonné : les gens se terrent à cause de la chaleur. Depuis la route, seule la vieille ville est visible, une ancienne cité minière bâtie autour d’un gisement d’argent découvert dans les années 1860. Voilà pour ce qu’il en est de l’histoire officielle. À part cela, il y a ce mythe des « âges primitifs de la Terre », celui d’un « dieu vengeur », qui y aurait planté un jardin peuplé de « créatures façonnées dans la glaise ». Hélas, ils violaient, tuaient et pillaient, donc leur créateur les a abandonnés, laissant les mers puis la glace recouvrir la terre. Quand, bien plus tard, les Amérindiens investissent la région, ils comprennent qu’elle recèle un mystère, et en font un lieu sacré.

La dimension surnaturelle a été méprisée par les réfugiés de l’Ancien Monde, dont la première colonie a été établie en 1866. Ils eurent beau vaincre les autochtones, la Terre résista : très vite, le gisement s’épuisa. Après le krach boursier de 1929, Cevola devint une ville fantôme. Puis, dans les années 1970, sont arrivés des hippies, suivis d’autres populations « en délicatesse avec les autorités ». Un nouveau quartier poussa à côté de la vieille ville. En 2000, il y avait dix mille habitants, et ce chiffre ne cesse d’augmenter. En même temps, cachée par les dunes, Cevola reste presque invisible depuis la route. Ses contours indéfinis évoquent la série Le prisonnier ainsi que Le château de Kafka (où règne M. le comte Westwest). Dans la série, Patrick McGoohan entre dans une boutique pour acheter une carte de la région ; il n’en existe pas. Même chose pour Cevola, comme l’explique Jeff, caissier du magasin général : « Cevola est… un peu comme une carte, vous voyez ? Chaque fois qu’on en déplie un pan, le territoire s’agrandit. »

Le narrateur passe ses après-midi à arpenter les rues, mais n’arrive pas à en faire le tour. Il fait la connaissance de la vieille ville, avec son allure de western, ainsi que du quartier Renaissance, construit sur le concept d’arcologie, où l’on essaie de limiter l’empreinte écologique, érigeant des maisons sur et autour des dunes, des bâtiments à la fois verticaux et peu visibles depuis l’extérieur. Une centaine de personnes y habitent, dont des magnats de la Silicon Valley. Et enfin il découvre East Cevola, la nouvelle ville, qui s’étend depuis un centre, le District, comprenant un quartier d’affaires, de grandes avenues, des commerces, un théâtre, une salle de cinéma, deux écoles primaires, un lycée, un stade et un cimetière. Au cœur du District, « on pouvait presque s’imaginer dans une métropole ».

L’architecture abstraite fait penser aux Villes invisibles de Calvino : la carte semble l’emporter sur le territoire. Pourtant, celui-ci demeure essentiel : dans l’esprit européen, la traversée de l’océan consiste surtout en une quête de la Terre d’Amérique. C’est ainsi qu’un soir dans un bar, accompagné de Jeff, le narrateur croise l’ex-amoureuse de son ami, dont le prénom, Amber, évoque une pierre organique, une résine fossile (ambre) : fidèle au mythe, la femme serait façonnée par la glaise. Le trio passe la nuit ensemble : « Nos verges sont des totems dressés, avalés et recrachés par la bouche et le sexe d’une divinité nouvelle. Amber est notre terra incognita ; nous sommes ici les lions. » La lionne est-elle la femme aperçue depuis le Greyhound ? Il essaie de la revoir : Jeff lui griffonne un plan au dos d’une vieille enveloppe. Son pavillon est le dernier de la rue, il n’y a plus rien ensuite : la limite entre le désert et la terre habitable. Il apprend que cette fille est la même que celle figurant dans une ancienne histoire à la Lolita dont lui avait parlé le Vieux, patron du motel Valparaiso.

Cet homme énigmatique tient non seulement le motel, mais la clé de l’énigme. Il se veut photographe comme Sergio Larrain, d’où le nom de son établissement, en hommage à la ville immortalisée par les clichés du Chilien. Avant de passer le relais, il explique au narrateur le sens de leur quête : « Aucun de nous deux n’ira jamais plus loin que là où nous sommes. Pourquoi crois-tu que j’aie fini par donner ce nom au motel ? À cause de Larrain, ouais… Seulement, Valparaiso, c’est ici, il a dit, désignant du doigt l’emplacement de son cœur. Tijuana, ou même le Machu Picchu, c’est ici. Ce que tu as pu lire dans les livres d’histoire sur ce fameux rêve américain, Go west, young man… ça n’existe pas. Tu vas vers l’Ouest, et en route tu ne croiseras que des illégaux qui veulent remonter vers l’Est. »

L’Ouest serait-il un horizon illusoire ? Les Eagles chantaient : « We are all just prisoners here, of our own device ». Jeff dit : « On est prisonniers de Cevola, tu sais ça ? » Pour le Vieux : « La liberté, c’est pour chacun le libre choix de sa prison. »

Si la chanson résume la vérité occidentale plus succinctement que le roman, il existe une autre forme encore plus concise : la publicité. Dans une pub de soixante-dix secondes réalisée par Jean-Baptiste Mondino, Johnny Depp – lui aussi anciennement amoureux d’une dénommée Amber – quitte Los Angeles et conduit sa vieille Dodge Challenger solo jusqu’en plein désert. Pendant qu’un loup monte sur le toit de sa caisse, il sort une pelle du coffre, s’enfonce dans l’armoise, creuse un trou et enterre ses bijoux. La voix off fournit l’argument : « What am I looking for?  It’s something I can’t see.  I can feel it.  It’s magic.  Sauvage, Dior. » Les Français n’ont pas fini d’affluer vers l’Ouest.

EN ATTENDANT NADEAU


jeudi 11 avril 2024

Joshua Cohen / Les Nétanyahou / Les Nétanyahou sur un campus américain

 

Joshua Cohen : Les Nétanyahou sur un campus américain


Les Nétanyahou 

sur un campus américain

par Steven Sampson
26 janvier 2022

Les Nétanyahou, quatrième roman de Joshua Cohen traduit en français, explore l’histoire du sionisme à travers celle du clan de l’ex-Premier ministre israélien, en partant d’un fait historique : le séjour sur un campus américain de la famille du futur homme politique lorsqu’il était enfant. L’écrivain réussit un tour de force : créer un roman d’idées vibrant et actuel.


Joshua Cohen, Les Nétanyahou. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Vanderhaeghe. Grasset, 352 p., 22 €


Rares sont les familles nucléaires dont plusieurs membres deviennent célèbres pour leurs propres mérites : en Israël, l’un des exemples les plus notoires est celui des Nétanhayou. Personne n’ignore l’existence du politicien ; moins connu aujourd’hui est le nom de son frère aîné, leader du commando et martyr du raid de 1976 sur l’aéroport d’Entebbe pour libérer les otages d’un vol Air France ; enfin, la renommée de leur père (qui a eu un troisième fils), Ben-Zion Nétanyahou, historien médiéviste et spécialiste de l’Inquisition, est limitée aux cercles universitaires. Grâce à Joshua Cohen, il devient aujourd’hui un personnage hautement romanesque.

Sur les couvertures – distinctes – des versions américaine et française du livre, figure une auto typique des années 1950, on a l’impression de voir une image d’un film de Coppola, où de vieilles voitures aident à créer l’ambiance de l’époque, tout en transmettant un parfum de nostalgie : c’est du passé, les personnages fictifs ignorent ce que nous savons, ils sont emprisonnés dans leur temps, condamnés, tel Moïse, à ne jamais entrer dans la Terre promise du présent.

Joshua Cohen joue de ce décalage avec sa mise en scène située en janvier 1960 : le lecteur, conscient des destins de Jonathan (le héros d’Entebbe) et de Benjamin, alors âgés de treize et dix ans, guette leurs brèves apparitions, espérant apercevoir des indices révélateurs de leur avenir. En les reléguant à l’arrière-plan, en faveur de leur père, l’auteur crée une tension semblable à celle qu’on ressent dans la pièce de Tom Stoppard, Rosencrantz et Guildenstern sont morts, où l’absence de Hamlet ne fait qu’accroître le poids de sa présence. À la fin du roman, lorsque les deux garçons deviennent les acteurs principaux d’une scène loufoque, les dés sont déjà jetés : leur culot et leur grivoiserie apparaissent comme l’expression puérile de l’idéologie du père, amplement exposée pendant les trois cents premières pages. « Actions speak louder than words », selon le proverbe (« les actes sont plus éloquents que les mots ») : l’intérêt des Nétanyahou, c’est qu’il entremêle l’abstrait et le concret, tissant une correspondance entre théorie paternelle et comportement filial. Ne sommes-nous pas tous gouvernés par le dogme du clan ?

De quelle théorie ou – pour adopter le langage de Cohen – de quelle croyance s’agit-il ? On découvre les idées de Nétanyahou à travers le regard de Ruben Blum, professeur d’histoire économique américaine, et narrateur de ce roman à la première personne. Blum enseigne à l’université Corbin, située dans l’ouest de l’État de New York, institution fictive calquée sur l’université Cornell, où Nétanyahou a fini par avoir un poste. La même faculté a eu comme professeur Vladimir Nabokov, dont on ressent l’influence ici. Les Nétanyahou a été comparé par certains critiques à Feu pâle, mais il ressemble plus à Pnine, variation rococo sur le thème du campus novel. Nabokov a probablement eu comme étudiant Thomas Pynchon, auteur admiré de Joshua Cohen – comme il l’a révélé lors de notre entretien – et qui partage avec lui un vrai talent pour le dialogue absurde.

Mais, à l’origine, comme Cohen le confie dans sa postface, il y a Harold Bloom (1930-2019), professeur de littérature à Yale et ami tardif de l’auteur. Vers la fin de sa vie, Bloom avait raconté à Cohen un épisode où il était chargé de coordonner la visite sur le campus de Nétanyahou, venu pour un entretien d’embauche. Après la mort de son ami, Cohen a décidé de donner de l’ampleur à cet incident, d’en faire un roman. Pourtant, le résultat fait penser à un homonyme, Alan Bloom (1930-1992), philosophe conservateur et sujet de l’ultime roman de Saul BellowRavelstein (2002). Dans les deux cas, il s’agit d’une fiction autour d’un penseur réputé pour son sérieux, rendu ridicule par le romancier au moyen d’anecdotes mettant en exergue les bizarreries de sa personnalité. Que ce soit Bellow, Cohen, Nabokov ou Pynchon, on plonge dans un univers caricatural, où se mêlent l’intellectuel et le burlesque, le high et le low.

Joshua Cohen : Les Nétanyahou sur un campus américain

Joshua Cohen (janvier 2022) © Jean-Luc Bertini

Côté high, Cohen transmet la vision personnelle de Nétanyahou concernant l’histoire des Juifs, si pertinente pour comprendre la politique du Likoud. Pour mieux accueillir son visiteur sur le campus de l’université Corbin, Blum se penche sur ses écrits, tâche difficile étant donné qu’il n’est pas lui-même spécialiste de l’Inquisition. Il trouve que les conclusions du médiéviste se lisent comme des « prières » (mot malheureusement traduit ici par « sermons ») : il n’arrive pas à comprendre quel est le véritable sujet de ses publications. Le professeur Nétanyahou postule l’existence de deux Inquisitions, la première menée par l’Église, la seconde par les monarchies. Leur objectif non officiel serait d’assurer autant que possible la reconversion des nouveaux chrétiens au judaïsme. Cette interprétation constitue une « révision majeure » de l’Histoire ; rappelons-nous que le terme « révision » figure dans le nom du mouvement politique – le sionisme révisionniste – fondé par Vladimir Jabotinsky, dont Ben-Zion Nétanyahou fut secrétaire.

Pourquoi préserver l’existence séparée des Juifs ? Pour Nétanyahou, les catholiques avaient besoin d’un peuple à haïr. Blum considère que le médiéviste n’est pas un historien mais un théologien qui envisage le temps comme une suite de changements provenant de « la volonté de Dieu ». Si ce n’est que, à la différence de ce que pensent les rabbins, la force de l’évolution du monde n’adviendrait pas d’une déité, mais de l’« inépuisable réserve de Gentils dont les actes étaient motivés par la haine ».

Si le Juif est inéluctablement honni, devrait-il essayer d’être aimable ? La question reste en suspens, elle explique l’ambivalence du portrait réalisé par Joshua Cohen. En cela, il fait penser à un autre livre de Saul Bellow, La victime (1947), l’un des meilleurs romans sur l’antisémitisme parce qu’ambigu. D’une certaine manière, Cohen – comme Bellow – donne raison aux antisémites : son héros est au moins agaçant, s’il n’est pas carrément détestable. En même temps, il a son charme, à l’instar de Larry David dans la série Larry et son nombril (Curb Your Enthusiasm). Comment appréhender son incroyable chutzpah (culot) ? Est-il intrinsèquement juif de tester les limites, de pousser la logique jusqu’à ce qu’elle devienne invivable ? Les Nétanyahou rend inconfortable, il faut le lire.

EN ATTENDANT NADEAU

dimanche 7 avril 2024

Mort de Maryse Condé / Jean-Marc Ayrault, Christiane Taubira, Lilian Thuram, Omar Sy, Euzhan Palcy ou encore Leïla Slimani appellent à un "hommage national"


La romancière Maryse Condé à son domicile à Gordes, dans le sud de la France, le 27 juillet 2021. (ARNOLD JEROCKI / GETTY IMAGES EUROPE)


Mort de Maryse Condé : Jean-Marc Ayrault, Christiane Taubira, Lilian Thuram, Omar Sy, Euzhan Palcy ou encore Leïla Slimani appellent à un "hommage national"


Maryse Condé, disparue dans la nuit du 1er au 2 avril, est la première femme noire à qui la France a remis la Grand-Croix de l’ordre national du Mérite, rappelle une trentaine de personnalités dans une tribune parue dans "Le Nouvel Obs".
Article rédigé parFalila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié le 05 / 04 / 2024

"Il est des hommages qui s'imposent avec la force de l'histoire, avec celle des pionnières et des premières : la France le doit à Maryse Condé", écrivent une trentaine de personnalités dans une tribune publiée le 4 avril dans Le Nouvel ObsL'écrivaine française, illustre voix de la Guadeloupe et de la francophonie, s'est éteinte à 90 ans dans son sommeil à l'hôpital d'Apt (Vaucluse), dans la nuit du 1er au 2 avril.

L'ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, l'ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira, l'ancien international Lilian Thuram, les comédiens Omar Sy et Aïssa Maïga, la réalisatrice Euzhan Palcy, l'ancienne ministre Élisabeth Moreno, le rappeur Abd al Malik, la directrice de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage Aïssata Seck ou encore les écrivains Leïla Slimani, Erik Orsenna, David Diop et Alain Mabanckou appellent à "un hommage national de la République".

    "Guadeloupéenne à qui on avait dit enfant que 'les gens comme elles' n'écrivaient pas des romans comme Les Hauts de Hurlevent, dont la lecture l'avait bouleversée à 10 ans, elle ne l'avait pas cru", souligne la tribune. Faisant fi "(des) préjugés" et "(des) assignations de 'race' et de genre", Maryse Condé "s'est confrontée au monde" et produit une œuvre, distinguée en 2018 par le "prix Nobel alternatif", où elle "a tressé continuellement l'histoire lointaine et celle plus contemporaine, avec les questions qui se posent dans les sociétés héritières de la période de l'esclavage et du post-esclavage".

    Le texte rappelle que "c'est cette vie pleine et généreuse, cette œuvre riche et forte" qui a été "honorée" par le président Emmanuel Macron, qui a remis à Maryse Condé "le 2 mars 2020 la Grand-Croix de l'ordre national du Mérite""Elle est alors devenue la première femme noire à accéder à cette dignité dans l'histoire de notre pays. Une première exceptionnelle, passée hélas inaperçue", constate par ailleurs les signataires de la tribune. Ces derniers notent que "la tradition" permet aux personnes distinguées par la République "de bénéficier d'un hommage national". "Monsieur le président de la République, personne ne mérite plus cet honneur que Maryse Condé", conclut leur texte.


    FRANCE TV INFO




    mardi 2 avril 2024

    Mort de Maryse Condé

     

    Maryse Condé

    Mort de Maryse Condé : "Il y avait son désir d'inscrire la fiction dans l'histoire", salue l'écrivain haïtien Lyonel Trouillot

    L'écrivain haïtien Lyonel Trouillot a salué l'oeuvre de Maryse Condé, morte ce mardi à 90 ans. L'écrivaine l'avait notamment marqué parce qu'elle avait "à la fois de la force et du tremblement".

    France info


    Publié 

    L'écrivaine Maryse Condé récompensée le 9 décembre 2018 à Stockholm. (CHRISTINE OLSSON / TT NEWS AGENCY via AFP)

    "C'était pour moi quelqu'un d'extrêmement important, il y avait chez Maryse à la fois de la force et du tremblement", a salué sur franceinfo l'écrivain haïtien Lyonel Trouillot après la mort de Maryse Condé à l'âge de 90 ans.



    "La rencontrer c'était être séduit par cette force, cette affirmation de soi et aussi ce tremblement qui lui venait de sa vie, des difficultés qu'elle avait connues. Il y avait donc chez elle une assurance quelque peu tremblante et c'était assez déroutant cet aspect-là de sa personnalité", a détaillé Lyonel Trouillot.

    Une certaine singularité

    Maryse Condé a écrit "Le cœur à rire et à pleurer. Contes vrais de mon enfance", pour raconter cette enfance dans la Guadeloupe des années 50, la rébellion contre ses parents et surtout son père et ses manies de petit bourgeois en quête de reconnaissance. C'était un moment pour elle d'affirmation de soi-même si on ne retrouve pas d'emblée chez elle, un sentiment de fierté raciale, communautaire. Pour Lyonel Trouillot, "l'une des problématiques de la vie de Maryse [Condé], c'était la construction d'un soi-même par-delà les déterminations historiques et régionales tout en reconnaissant le poids de ces éléments sur la constitution de l'individu" c'est-à-dire, "comment dire 'je' sans être surdéterminé par toutes les conditions historiques dont on est le produit. Il y a beaucoup de ça dans le rapport de Maryse Condé dans le rapport à l'écriture et à la vie", a expliqué l'écrivain.

    Maryse Condé "était une des rares voix féminines dans cette littérature de la Caraïbe qui advenait, c'était 'je' dans le 'nous', il y avait son désir d'inscrire la fiction dans l'histoire", a insisté Lyonel Trouillot. L'écrivaine guadeloupéenne "est à la fois dans le courant de la naissance de ces voix caribéennes à elles-mêmes, à l'histoire et à l'épopée de la Caraïbe, mais elle est aussi dans une singularité qui n'est pas réductible à cela et c'est peut-être cela qui a fait un certain isolement de son parcours, une certaine différence", remarque Lyonel Trouillot. Au point où Maryse Condé a toujours regretté de ne pas avoir de son vivant la reconnaissance en Guadeloupe à la hauteur de son talent et de sa renommée internationale


    FRANCE INFO