dimanche 31 janvier 2016

Jack London / L'appel de l'écriture


Jack London

JACK LONDON L’APPEL DE L’ÉCRITURE

Une anthologie de l’auteur de «Croc blanc» où il apparaît en loup des lettres

Par Philippe Lançon— 29 janvier 2016 à 18:01
On enterre beaucoup d’écrivains et d’artistes nationaux ou internationaux, ces temps-ci. En 1903, c’est Kipling qu’on enterrait. Certes, il n’est mort qu’en 1936, mais il arrive qu’on inhume un auteur de son vivant, sous des pelletées de superlatifs ou de suppressifs. Jack London, 27 ans et déjà quelques vies derrière lui, a son idée sur les célébrations et funérailles dont l’auteur de Kim, qu’il admire, est le sujet in vivo. Elles valent aussi bien pour les grands d’aujourd’hui. Qui les célèbre ? «La masse instable et grégaire, toujours à califourchon sur la barrière, toujours prête à tomber d’un côté ou de l’autre et à y regrimper sans la moindre gêne ; qui vote démocrate à une élection et républicain à la suivante ; qui découvre et hisse sur le pavois un prophète qu’elle lapidera peut-être demain ; qui pousse des clameurs d’admiration pour le livre que tout le monde lit, pour la seule raison que tout le monde le lit. C’est le troupeau où règnent la fantaisie et le caprice, la marotte et la mode, c’est la masse instable, incohérente, parlant et pensant comme la foule, les «singes», excusez-moi, du temps présent.»

samedi 30 janvier 2016

“The Revenant”, un tournage difficile ? / Alejandro González Iñárritu se défend

Leonardo DiCaprio
The Revenant
Film d'Alejandro Gonzales Iñárritu

“The Revenant”, un tournage difficile ? Iñárritu se défend

Caroline Besse
Publié le 27/07/2015. Mis à jour le 28/07/2015 à 01h08.

On peut se le figurer en regardant les premières images de The Revenant, le nouveau film d'Alejandro Gonzales Iñárritu. Températures hostiles, eau glaciale, ciel bas, lumière blanche, terre désolée, longs plans, fureur, douleur, violence et sang : le tournage a dû être difficile. Et il le fut.



Après Birdman, sur un ancien acteur star qui tente de renouer avec le succès grâce au théâtre, le réalisateur de 21 grammess'attaque au légendaire trappeur du XIXe siècle, Hugh Glass. Cet homme, grièvement blessé par un grizzly et laissé pour mort par son équipage, avait réussi l'exploit de parcourir plus de 300 km dans cet état, avec de très graves blessures sur le dos et une jambe cassée, en plein hiver, seul et sans armes, pour atteindre la rivière Cheyenne et trouver du secours. Et pour se venger de ceux qui l'avaient abandonné.

vendredi 29 janvier 2016

Quand Michel Tournier souhaitait qu'on rétablisse la peine de mort pour les avorteurs

Michel Tournier
Poster par T.A.

QUAND MICHEL TOURNIER SOUHAITAIT QU'ON RÉTABLISSE LA PEINE DE MORT POUR LES AVORTEURS

Par Johanna Luyssen
19 janvier 2016 à 17:34

Tenus à plusieurs reprises dans la presse dans les années 80, les propos outranciers de l'écrivain, décédé lundi, sur l'IVG, ont fait polémique.


Michel Tournier, prix Goncourt 1970 pour Le Roi des aulnesest mort lundi, à l’âge de 91 ans. Dans la flopée d’articles qui ont suivi l’annonce de sa mort, cette phrase : «En 1986, ses propos anti-avortement avaient fait beaucoup de bruit», peut-on lire dans les différentes nécrologies qui lui sont consacrées.

jeudi 28 janvier 2016

Michel Tournier / Ce qui m'intéresse, cést lire tournier en anglais, en allemand


Michel Tournier

MICHEL TOURNIER : «CE QUI M’INTÉRESSE, C’EST LIRE TOURNIER EN ANGLAIS, EN ALLEMAND»

Par Claire Devarrieux
 3 juillet 2015 à 17:26

En juillet dernier, Libération avait rencontré Michel Tournier, dont on a appris le décès ce lundi. Nous republions cet entretien.



Après l’entretien, Michel Tournier se laissera photographier de bonne grâce. Il voit qu’Edouard Caupeil travaille avec un Rollei, lui aussi en a eu un, et l’a toujours, mais il ne fait plus de photos. Il évoque l’émission qu’il produisait dans les années 60, Chambre noire, il avait «beaucoup de mal à la faire admettre». Il déplore la difficulté du métier de photographe, «mauvais cheval». Il se prête volontiers au jeu des questions. Par terre, près de lui, et sur une table basse, des piles écroulées, en allemand (Hans Fallada, Bernard Schlink), ou en français. L’Ethique de Spinoza est bien en vue. On aperçoit un roman de Laurent Gaudé. Michel Tournier est membre honoraire du prix Goncourt, mais les éditeurs, dit-il, continuent de lui envoyer des livres.

mercredi 27 janvier 2016

Objetif Tournier, une vie de letters

Michel Tournier, chez lui, le 15 juin 2015. Photo Edouard Caupeil

OBJECTIF TOURNIER, UNE VIE DE LETTRES

Par Claire Devarrieux
3 juillet 2015 à 17:26

Michel Tournier n’avait pas donné de nouvelle depuis un moment, c’est un plaisir de le retrouver à travers des textes aussi personnels, naturels et pensés. Lettres parlées à son ami allemand Hellmut Waller 1967-1998est un livre épatant, et totalement inattendu, où l’auteur du Roi des Aulnes s’exprime avec aménité sur tous les sujets qui viennent à l’esprit quand on s’adresse à quelqu’un de confiance. Ce sont des lettres, non pas rédigées, mais enregistrées, qui témoignent du don de parole de Tournier. Ce don est connu, il l’a mis en pratique dans les écoles du monde entier pour Vendredi ou la vie sauvage, version écrite à l’usage des enfants. Encore fallait-il pressentir que ces enregistrements pouvaient être donnés à lire. On le doit à Arlette Bouloumié, universitaire chargée par l’écrivain de veiller sur ses archives. Elle est immergée dans son univers depuis les années 80, a créé un fonds Tournier à Angers en 1996, a composé pour lui en 2010 Voyages et paysages dans la collection «Voyager avec…» (Vuitton-la Quinzaine littéraire), et c’est elle, avec deux autres chercheurs, qui prépare la Pléiade des Œuvres romanesques à paraître en 2016.

mardi 26 janvier 2016

L’écrivain Michel Tournier est mort

L'écrivain Michel Tournier dans le jardin de sa maison de Choisel, au sud-ouest de Paris,
le 4 avril 2005
 Photo CATHERINE GUGELMANN

L'ÉCRIVAIN MICHEL TOURNIER EST MORT

Par LIBERATION avec AFP (mis à jour à )

L'homme de lettres, prix Goncourt pour «Le roi des aulnes», avait 91 ans.


L’écrivain Michel Tournier, l’un des grands auteurs français de la seconde moitié du XXe siècle, Prix Goncourt pour Le roi des Aulnes en 1970, est décédé lundi à l’âge de 91 ans, chez lui à Choisel, ont indiqué à l’AFP ses proches et la mairie de cette commune des Yvelines.

«Il est décédé à 19 heures ce soir», entouré de ses proches, a précisé son filleul, Laurent Feliculis, que l’écrivain considérait comme son fils adoptif. En 2006, il avait adhéré au PS «par amitié personnelle pour Jack Lang». «On vivait 24 heures sur 24 avec lui, il ne pouvait plus rester tout seul depuis trois mois. Dès qu’il marchait, il avait tendance à tomber, on s’occupait de lui», a déclaré Laurent Feliculis.
L’écrivain habitait depuis plus d’un demi-siècle dans l’ancien presbytère du village. «Dans les derniers temps, il ne voulait plus se battre, c’était la vieillesse», a-t-il encore dit Laurent Feliculis. Son décès a également été confirmé par le maire de cette commune de quelque 550 habitants, Alain Seigneur.

Un voisin, l’avocat Jean Reinhart, a précisé qu’il était passé le voir la veille. «Il était malheureusement très mal en point et on s’attendait à une issue rapide, il ne sortait plus de chez lui», a-t-il dit. «C’était un personnage de Choisel, tout le monde le connaissait», a-t-il ajouté. Michel Tournier avait également écrit Vendredi ou la vie sauvageLes météores, ou encore un récit de son voyage au Canada avec le photographe Edouard Boubat.

LIBERATION




dimanche 24 janvier 2016

La playlist rock d’Hugo Cassavetti / Bowie, clones ou disciples

David Bowie
La playlist rock d’Hugo Cassavetti : Bowie, clones ou disciples
Publié le 05/03/2013. Mis à jour le 22/03/2013 à 17h50.
A quoi reconnaît-on le génie ? Probablement à l’impossibilité d’être imité et à la capacité de faire des émules. Pour le retour surprise de David Bowie, petit tour d’horizon de quelques-uns des plus savoureux élèves du rocker caméléon.


JobriathTake me I’m Yours (1973), extrait de l’album Jobriath
Mick RonsonBilly Porter (1974), extrait de l’album Play Don’t Worry
Alastair RiddellOut On The Streets (1974), extrait de l’album Space Waltz
Peter MurphyCuts You Up (1989), extrait de l’album Deep
SuedeNew Generation (1994), extrait de l’album Dog Man Star



samedi 23 janvier 2016

David Bowie / 25 artistes choisissent leur chanson fétiche


David Bowie 

25 artistes choisissent leur chanson fétiche pour “Télérama”

“Life on Mars”, “The Man Who Sold the World”, “Space Oddity”... Pour rendre hommage à l'icône disparue, nous avons demandé à des artistes de choisir leur chanson fétiche et juste quelques mots, ou une bribe de souvenir, pour l'accompagner.

Melvin Poupaud, acteur, réalisateur et musicien

Always Crashing in the Same Car




« Pour la mélodie et les paroles qui parlent de notre vulnérabilité dès qu'il s'agit de (re)tomber amoureux ».

Vincent Delerm, chanteur, Sandrine Kiberlain, actrice, et Joakim, producteur

Life on Mars




Vincent Delerm : « Pour la mélodie magique du couplet, le lyrisme du refrain, “Is the life on mars ?”... Si même lui n'a pas la réponse à cette question ! ».
Sandrine Kiberlain : « Une chanson marquée dans mes veines. Comme son regard, sa liberté, son élégance ».
Joakim : « Une montée sans fin. D’un point de vue pianistique, la suite d’accords est bluffante. L’oreille anticipe une gamme, Bowie fait autre chose.»

vendredi 22 janvier 2016

Quand Bowie devint la Joconde


Quand Bowie devint la Joconde


Laurent Rigoulet
Publié le 26/09/2015. Mis à jour le 04/10/2015 à 08h44.

A l'occasion de la ressortie en coffret des vinyles des années folk et glam, retour sur la rencontre entre David Bowie, en rupture de Ziggy, et le photographe Brian Duffy, enfant terrible de la mode londonienne, pour la pochette d'“Aladdin Sane”. Icône !
On ne sait pas combien de temps ça durera, mais l'objet en vogue, à l'approche du sapin 2015, a les atours d'un coffret vinyle. Bruce Springsteen, John Lennon, Roxy Music, Marvin Gaye, Queen, Bob Marley ont déjà leurs intégrales (ou presque) en carton glacé, chic et épais. Et David Bowie présente la sienne en majesté. Elle ne concerne que les premières années d'exercice (Five Years 1969-1973) mais pèse quand même ses six kilos. A la différence des concurrents, l'état major du « Starman » ne s'est pas contenté de dupliquer les albums existants (remastérisés ou pas) mais ajoute un double album d'inédits, une version alternative de Ziggy Stardust (le remix de 2003) et soigne les pochettes jusqu'à la texture. Gaufrée sur The Man who sold the world (la fameuse image censurée de Bowie en robe), lisse et brillante sur Hunky Dory, d'un mat lumineux pour Aladdin Sane. Première cible : les fans, bien sûr, mais aussi les nouveaux venus et ceux qui ne se sont jamais accoutumés à la miniaturisation de ces monuments de l'art pop que sont les 33 tours de l'histrion glam.
La pochette chez Bowie, c'est tout une histoire. Celle d'Aladdin Sane est inoubliable, au point qu'on l'a rebaptisée « Joconde de la pop » et qu'elle a servi (dans une version alternative) de figure de proue aux grandes expositions londonienne et parisienne. Quand il se lance dans sa conception, en 1973, Bowie ne veut pas seulement prendre un nouvel envol, quittant la peau d'un Ziggy Stardust suicidé sur la scène de l'Hammersmith Odeon, il souhaite aussi faire entrer son métier dans une nouvelle dimension. Son ange gardien de manager, l'insatiable Tony DeFries, est bien décidé à faire de son héros transformiste une star planétaire et parle de révolutionner la communication rock à l'aide d'un sortilège visuel : « Je voulais persuader la maison de disques de mettre sur pied une campagne globale, raconte-t-il. Il me fallait une image que nous pourrions décliner sur tous les supports. Jusqu'à la diffusion de spots télé, ce qui ne s'était jamais vu. Le marketing musical était tout à fait balbutiant. »  Le manager a quelques ruses en réserve : il imagine, par exemple, que le meilleur moyen de convaincre la maison de disques de l'importance du projet est de lui proposer un devis exorbitant. Il se tourne vers quelques stars de la photographie, Masayoshi Sukita, David Bailey et un enfant terrible du Swinging London, Brian Duffy, star du glamour, qui vient de signer le prestigieux calendrier Pirelli. Ce dernier emporte la mise. Il est conquis par son modèle et marche dans la combine de DeFries, avec sa verve de pirate : il propose les tirages les plus chers et les plus sophistiqués, des plaques photographiques importées de Suisse et une typo de chez Conway's, le chic du chic.


Aladdin Sane, extrait de l'album Aladdin Sane

Duffy est un personnage fantasque, visionnaire, provocateur. En 1972, il approche de la quarantaine et brûle de ses derniers feux. Pour lui, la photographie s'éteint pendant ces années-là. « Tout a été dit entre 1839 et 1972, clame-t-il. Il n'y a rien plus rien à inventer. J'ai mis un certain temps à voir cette mort venir. Le premier à m'avoir alerté est Henri Cartier-Bresson, qui s'est mis à la peinture et au dessin. »Duffy se consacrera, lui, à la rénovation des meubles anciens, après avoir entrepris de brûler toutes ses photos, sur un coup sang, la fin des années 1970. La prise de vue pour Aladdin Sane est l'un de ses derniers faits d'arme. L'écoute de Jean Genie  lui a soufflé l'idée d'une apparition d'un Aladdin au torse nu. On lui prête aussi l'idée de l'éclair (mais d'autres sources jurent que c'est Bowie). Celle-ci vient à chaud en tout cas. Un autocuiseur dans le studio sur lequel est dessiné un éclair bleu et rouge servira de modèle. Pierre La Roche, l'artiste maquilleur de Ziggy Stardust (de Jagger et du Rocky Horror Picture Show) s'emploie à tracer le plus éclatant des dessins sur la joue du chanteur, mais le photographe a d'autres vues. Il le fait savoir avec force jurons (sa signature) et dessine brusquement un éclair au rouge à lèvres qui vient barrer le visage de Bowie : Aladdin Sane est né.
Avec le temps, la genèse de l'album gagne en mystère. Un souvenir chasse l'autre. Duffy a-t-il vraiment eu l'idée du génie d'Aladdin parce qu'il a mal compris le titre de l'album quand Bowie le lui a soufflé « A lad insane » ? Bowie voulait-il un éclair comme celui qui accompagnait la devise de Presley, « TCB » (taking care of business) ? L'alchimie entre les deux artistes est telle qu'ils se partagent l'idée et l'exécutent en moins d'une journée. A la perfection. Simple portrait sur fond blanc, la pochette d'Aladdin Sane est une œuvre de maître en même temps qu'une arme publicitaire déclinée sous toutes ses formes. 100 % Duffy. 100 % Bowie. Ils en feront d'autres.





jeudi 21 janvier 2016

Ettore Scola / Mes dates clés

Ettore Scola

MES DATES CLÉS 

PAR ETTORE SCOLA

Par Ettore Scola
14 juillet 2004 à 01:26
En 2004, pour la reprise de Nous nous sommes tant aimés, Ettore Scola revenait sur les dix dates clés de sa vie. Nous republions ce papier à l'occasion de sa mort, le 19 janvier 2016.
Nous nous sommes tant aimés (1976), c'est trente ans d'histoire italienne (1945-1975) vue à travers la vie privée et professionnelle de trois amis, anciens résistants. L'un est infirmier (Nino Manfredi), le second critique de cinéma (Stefano Satta Flores), le troisième avocat véreux (Vittorio Gassman). Une femme (Stefania Sandrelli) passe de l'un à l'autre... A l'occasion de sa reprise en copie neuve restaurée, Ettore Scola revient sur une vie consacrée à l'écriture et à la mise en scène d'histoires douces-amères.
1947. Mon premier dessin, publié dans Marc Aurelio, un hebdomadaire satirique, alors que j'avais 15 ans. C'était mon désir le plus cher, être dessinateur, caricaturiste. Je le fais toujours : croquer des portraits, des scènes, un simple trait avec une légende, ce qu'on appelle en Italie des «vignettes». Ce premier dessin publié représente un sculpteur appuyé le long d'une échelle contre un grand bloc de marbre. Devant lui, il y a un modèle, nu, une très belle femme. Et il lui dit, le burin à la main, «Souriez...» J'étais très fier.
1950. L'un de mes premiers emplois comme «negro» sur un scénario, pour les dialogues ­ je n'étais bien sûr pas crédité au générique, ou alors parfois collectivement. Là, c'est sur un film de Martelli, Toto Tarzan, qui se passe en Afrique. Une fille superbe se promène dans la jungle. Tout à coup, elle rencontre Tarzan, joué par l'acteur comique Toto, qui tient un singe à la main. Il lui dit : «Moi, Tarzan, elle Tchita, toi Sexy...» C'était au début du film et ça m'a valu un succès fou.
1952. Début officiel de ma carrière officielle de scénariste officiel de la comédie italienne. Pendant quinze années, j'ai écrit les histoires de Monicelli, Zampa, Comencini, Risi, Pietrangeli. Ce fut un travail harassant, avec des horaires épuisants, parfois trois ou quatre projets se chevauchant. Mais ce fut aussi une bonne école, car il est très excitant d'écrire un scénario pour de grands acteurs, et il y en avait de vraiment sublimes en Italie à cette époque. De Sica, Gassman, Manfredi, Sordi, Tognazzi, Mastroianni, je les ai tous rencontrés comme scénariste, et ce fut la meilleure façon de les connaître en profondeur.
1957. Mariage avec Gigliola. Je suis heureux en couple, un long roman d'amour, ponctué par la naissance de deux filles, puis de cinq petits enfants.
1963. Mon premier film comme réalisateur, Parlons femmes. C'est Vittorio Gassman, pour qui j'avais écrit une dizaine de films, qui m'a demandé de tourner moi-même un script que je lui destinais.
1968. Tournage en Angola de Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique. Alberto Sordi joue une sorte de Berlusconi local, un homme médiocre qui veut tout posséder d'une région africaine, au milieu de la misère. Je crois qu'on a rarement mieux joué dans un de mes films cette veulerie et cette mesquinerie dans la satire et le comique. Sordi était le plus à même de comprendre et de faire ressortir ce sentiment typiquement italien.
1969. Drame de la jalousie, où Mastroianni joue un homosexuel honteux, timide et introverti, à peu près le contraire de son personnage au cinéma habituellement, et de l'homme qu'il était dans la vie. Mais ce fut peut-être sa plus formidable composition, car cela correspondait sans doute à une part très secrète de son roman personnel. Quand je travaillais avec des acteurs que je connaissais bien, je savais ce qu'ils pensaient de la vie, de la politique, des femmes, de l'amour, de la bouffe, et c'était pour moi l'occasion de les utiliser comme je le voulais, quitte à les prendre parfois à contre-pied.
1977. Une journée particulière. Encore deux contre-emplois : Sophia Loren en petite femme mal mariée, et Marcello Mastroianni en timide, hésitant, incapable de prendre une décision. A force d'écrire pour eux, ce sont des éléments de leur nature la plus secrète que je connaissais et mettais à nu, des choses que, généralement, ils s'empressaient de cacher au grand public.
1982. Pendant le tournage du Bal, à Paris, je fais un infarctus. Interruption du film, et de ma vie, pendant près d'un an. Puis reprise, avec les mêmes acteurs. Tout se refait autrement, ça va beaucoup mieux. La maladie a eu une vertu purgative sur mon travail : je suis devenu meilleur !
1996-2004. Ils sont tous morts, mes amis les acteurs du grand cinéma italien. Mastroianni, Gassman, Tognazzi, Sordi, et Manfredi récemment. Pas de tristesse, non, car il me reste la joie de les avoir si bien connus et d'avoir travaillé avec eux, et l'émotion de les revoir, encore et encore. Car, pour nous autres mortels, les films restent pour toujours. Et ces acteurs sont plus vivants que les autres : ils apparaissent tels quels. Comme Gassman et Manfredi dans Nous nous sommes tant aimés : le film ne bouge pas, eux non plus. On peut même le restaurer, ils reviennent comme au premier jour où nous nous sommes vus. Ils ressemblent à une femme qui ne vieillirait pas, une femme qui ne trahirait pas.