dimanche 1 juin 2014

Cannes / Les larmes de Sophia Loren


Sophia Loren
Cannes : les larmes de Sophia Loren

Le Point
Publié le 22 / 05 / 2014


53 ans après le prix reçu à Cannes pour La Ciociara, la présence de Sophia Loren sur la Croisette ravive quelques souvenirs...

Sophia Loren à Cannes, le 20 mai.
Sophia Loren à Cannes, le 20 mai. © Hubert Boesl / AFP




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Pendant que Godard avec son Adieu au langage - Adieu au cinéma ? - plongeait les festivaliers dans un abîme de perplexité, au même moment, vers 17 heures, Sophia Loren, en conversation avec la journaliste Danièle Heymann, pleurait à l'évocation de Marcello Mastroianni. "Quand je suis arrivée àCannes il y a deux jours et que j'ai monté les marches sous son regard - (l'affiche du festival 2014, NDLR), j'ai su qu'il m'accompagnerait tout au cours de mon séjour et que je ne serais pas seule." Parmi les douze films qu'ils ont tournés ensemble, Cannes Classics avait déjà projeté la copie restaurée de Mariage à l'italienne et lors de cette conversation, on a revu la fameuse scène de rumba d'Une journée particulière, d'Ettore Scola, où Mastroianni (l'homosexuel pourchassé) montre à la femme au foyer Sophia Loren comment danser, tandis qu'on entend dans la rue les rythmes moins dansants  des marches saluant la visite de Hitler à Rome. On aurait pu aussi revoir le double striptease de Sophia devant Marcello, la première fois en porte-jarretelles noirs (Ieri, oggi, domani), une des plus célèbres scènes du cinéma italien, repris au second degré trente ans plus tard dans Prêt-à-Porterd'Altman, où, cette fois, Mastroianni, l'âge aidant, s'endort devant une Sophia Loren qui a mieux que personne résisté aux outrages du temps. N'a-t-elle pas, en 2006, à 71 ans, posé pour le calendrier Pirelli ?
Lors de cette heure où la star alterna français et italien, on a découvert une femme simple, charmante, faussement timide, presque coquette, qui sait comme pas une se mettre le public dans la poche en plaisantant sur ses piètres qualités de comédienne, son émotivité - à l'en croire, elle s'évanouirait pour un rien - qui n'exclut pas une combativité certaine. Il en fallut sans doute à cette jeune Napolitaine à qui, elle le répéta plusieurs fois, on martela qu'elle n'était pas photogénique, qu'elle avait le nez trop long, la bouche trop large - une sorte de Penélope Cruz avant l'heure - pour faire du cinéma. Elle oubliait de préciser qu'elle avait terminé seconde en 1951 du concours de Miss Italia (le concours qui lançait à l'époque les actrices italiennes : en 1947 y avaient participé Silvana Mangano, Gina Lollobrigida, Lucia Bosé et Eleonora Drago Rossi !) et qu'on avait créé pour elle un prix spécial "miss Élégance". Une élégance qu'on remarquait tout de suite dans l'extrait d'un film rare de 1952, La Traite des Blanches, de Luigi Comencini, qu'elle avait tournée sous le pseudonyme de Sophia Lazzaro. C'est cette année-là seulement, après une dizaine de films où elle n'avait que de petits rôles (parfois seins nus, images collector), que le producteur Gioffredo Lombardo, futur producteur de Visconti, lui trouva son nom de star : Sophia Loren.

Hommages

Il y a quelques années, l'Italie, sur la Rai Uno, a suivi avec passion la série La maison est pleine de miroirs, où Sophia Loren interprétait sa mère, Romilda Villani, concertiste. Mercredi, à Cannes, l'actrice nous a appris que sa maman avait jadis, avant sa naissance, remporté le prix Greta Garbo de la plus belle sosie de la star suédoise : "Elle devait partir aux États-Unis pour tourner des films, mais sa mère le lui a interdit : tu vas prendre froid et tu n'as pas de manteau. Du coup, elle est restée en Italie, a rencontré mon père, ce qui n'était peut-être pas la meilleure chose, mais me voici." Elle aurait pu ajouter qu'elle avait sans doute réalisé le désir inconscient de sa mère frustrée d'une carrière. 
Aux États-Unis, Sophia Loren s'y rendit très tôt, dès 1957, à 23 ans, dès lors que sa carrière avait été prise en main par son incontournable mari, le très puissant et essentiel producteur Carlo Ponti. Dans la carrière de Sophia Loren, il y a deux tournants : L'Or de Naples, film à sketchs de De Sica (1954, on a revu l'extrait où, en pizzaiola, elle malaxe la pâte avec une sensualité plus que troublante) où elle rivalisait avec l'autre jeune star, Silvana Mangano (le film ayant été produit par leurs deux producteurs respectifs Dino de Laurentiis pour Mangano, Ponti pour Sophia Loren) et Pain, Amour, ainsi soit-il, de Dino Risi, où elle avait remplacé la star des deux premiers volets, Gina Lollobrigida. Parmi les extraits qu'on a eu le plaisir de revoir, Orgueil et passion, où elle danse un flamenco enflammé sous les yeux enamourés de Frank Sinatra et Cary Grant, et Le Cid, où elle embrasse en Chimène un Rodrigue dont elle ne semble pas avoir conservé un souvenir impérissable, Charlton Heston. Il en va de même avec l'impossible monsieur Brando (la Comtesse de Hong-Kong, le dernier film de Chaplin) qui s'était fait humilier par Chaplin pour ses retards, sous le regard de Sophia Loren, qui semblait ravie. L'extrait où on les voit se poursuivre dans la cabine de paquebot prit du coup une autre dimension. "Brando n'était pas l'homme le plus sympathique, avoua-t-elle. Pendant tout le tournage, il a mangé des glaces. Au début, il était cosi... À la fin, il était COSI."
53 ans après le prix reçu à Cannes pour La Ciociara (elle avait également remporté un Oscar), Sophia Loren, à presque 80 ans, a ravi les festivaliers. Lorsque le tour des questions fut venu, un émissaire du gouvernement indien est venu pratiquement s'agenouiller devant elle pour l'inviter dans son pays, où elle ne s'est jamais rendue. Et un vieux journaliste espagnol s'est levé pour lui rappeler qu'elle avait fait l'éducation sexuelle des adolescents ibériques des années 1950 et 1960. La Napolitaine en est restée baba.
LE POINT

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