mardi 25 avril 2017

Laurent Binet (ou Roland Barthes moins Roland Barthes)




Laurent Binet (ou Roland Barthes moins Roland Barthes)

Johan Faerber 
 21 septembre 2015


D
ans les dernières années de sa vie, Roland Barthes caressait le doux et infini projet, toujours repoussé jamais accompli, d’écrire un essai qu’il désirait intituler La Phrase au cœur duquel, comme il s’en explique dans son Roland Barthes par Roland Barthesil aurait traqué, parmi ses auteurs favoris, la phrase comme une savante érotique et une patiente idéologie. Sans doute ce même Roland Barthes serait-il aujourd’hui pour le moins surpris de se découvrir héros malgré lui de La Septième fonction du langage de Laurent Binet, un des romans parmi les plus plébiscités de cette rentrée littéraire, où pourtant ne figure paradoxalement pas l’ombre d’une phrase, pas l’amorce d’une écriture, pas même le ton inexpressif d’une quelconque voix : La Septième fonction du langage inventerait malgré soi le degré gelé de la Littérature, le degré moins un de l’écriture.

De fait, l’histoire qui se dit d’emblée est tout entière événement, oublie toute écriture et, par sa rage à être palpitante, convoque une logique du sensationnalisme plus proche du grand reportage que du roman d’aventures. Le 25 février 1980, Roland Barthes n’a pas été innocemment renversé rue des écoles au sortir du Collège de France par une camionnette de blanchisserie. Le ciel est lourd, le monde est bas et la pensée fait peur : en vérité, l’homme aux poumons fragiles aurait été assassiné. Il serait la victime inouïe d’un complot politique et littéraire car, quelques jours avant son terrible accident, le célèbre sémiologue aurait découvert à la manière d’un savant fou une septième fonction du langage venant s’ajouter aux six premières mises en évidence naguère par le linguiste Roman Jakobson. En ces temps de guerre froide, où Paris résonne à chaque coin de rue des accents d’espions venus de l’Est, la découverte de Barthes prend les allures d’une inquiétante arme atomique dont la puissance démesurée et presque fantastique rendrait quiconque maître du monde à son simple énoncé. L’argument a de quoi laisser songeur. Ce n’est plus une hypothèse, c’est un scoop. Ce n’est plus Alexandre Dumas, c’est Paris Match.
En effet, dérobée à Barthes et bientôt introuvable, cette septième fonction du langage devient dès cet instant l’objet des convoitises les plus ardentes qui nécessitent l’enquête d’un policier, un dénommé Bayard (Pierre ?) rapidement assisté d’un chargé de cours à Vincennes, Herzog (Werner ?), sémiologue chargé de décoder tous les signes et de transformer la trace la plus obscure en lumineux indice du crime. Si Roland Barthes meurt dès les premières cent pages, qu’on se rassure, il n’est pas le seul : dans le reste du roman, c’est aussi la sémiologie qu’on assassine. Que penser, en effet, des analyses de ce jeune doctorant s’exerçant notamment sur Bayard pour deviner à partir de menus détails vestimentaires et corporels avec une clairvoyance presque extralucide la vie toute entière tramée du policier soudain troublé par autant de justesse ? Le sémiologue est ainsi celui qui peut, d’un coup d’œil, sonder les âmes et les cœurs et deviner à un costume mal repassé que « vous avez fait la guerre d’Algérie, vous avez été marié deux fois, vous êtes séparé de votre deuxième femme, vous avez une fille de moins de vingt ans avec laquelle vos rapports sont difficiles, vous avez voté Giscard ». On hésite entre la Pythie de Delphes, un personnage rescapé de Paranormal Activity et un chien anti-drogue à l’aéroport d’Orly SudIci, ce n’est plus de la sémiotique, c’est au mieux Crimes en série sur France 2 avec Pascal Légitimus dans le rôle titre du profiler. Au-delà du caractère invraisemblable de l’exercice sémiologique entendu comme médecine légale du social et du vivant, ce qu’indique incidemment un tel usage de la science, c’est combien selon Binet tout doit désormais être emporté dans un devenir policier qui ne connaît plus de limites, comme si l’exigence de la pensée vacillait devant une logique du divertissement généralisé qui, seule, importe visiblement au romancier.

Fort de ce tandem aux classiques déséquilibres, Herzog incarnant la tête et Bayard les jambes à la manière d’une comédie américaine dont on aurait oublié le titre, La Septième fonction du langage se lance alors dans une course folle pour récupérer ce linguistique secret d’état qui va mener ses personnages de Paris à Venise en passant par Bologne pour finir à Naples. Au cours de leur infatigable périple aux tonitruantes tribulations, ils seront ainsi amenés à croiser pêle-mêle et sens dessus dessous, des gigolos du Flore, le KGB en DS, BHL, des Japonais en Renault Fuego, Giscard à la barre, Mitterrand et ses canines, Jack Lang et ses bouclettes, Laurent Fabius et ses crispations mais aussi et surtout le milieu intellectuel d’alors, à savoir les chantres et les véritables stars américaines de la French Theory. Emportés dans une ubuesque farandole, se succèdent Philippe Sollers et Julia Kristeva, Michel Foucault et Mathieu Lindon, Jacques Derrida et Hélène Cixous, Deleuze et Guattari ou encore Umberto Eco qui, tour à tour coupables ou innocents, témoins ou complices, jouent les premiers et les seconds rôles de ce roman policier qui ne cesse de virer au drame burlesque. Car, là encore, on attend Agatha Christie mais ce sera Voici.
En effet, en évoquant la chemise blanche de BHL ou encore les ongles longs de Deleuze, Laurent Binet n’offre pas la fresque intellectuelle d’une époque mais bien plutôt ses frasques comme si, dans un geste qui venait en contresens de Proust, écrire se donnait pour lui l’art social et de la sociabilité par excellence, faisait naître son auteur à la société et s’affirmait avec force comme l’expression la plus achevée d’un art mondain porté à son plus haut degré d’achèvement et de triomphe. À commencer par le traitement des personnages qui surgissent ici autant d’enveloppes vides, ne naissant que de la rumeur et des potins, à la manière de people de la littérature et de l’intelligentsia puisque chacun d’eux n’est pas décrit mais apparaît comme reconnaissable, se résumant à un détail vestimentaire indiciel ou un accessoire presque de théâtre, un biographème hilare et pittoresque : un pur apparaître médiatique, cathodique et écranique (on ne s’étonnera pas que l’on y regarde beaucoup la télé par ailleurs). Chez Binet, on a beau être sémiologue, c’est pourtant encore à l’habit qu’on reconnaît le moine.
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Comment ne pas reconnaître Foucault à son « col roulé », Sollers à son fameux « fume-cigarette aux lèvres » ou aussi bien Julia Kristeva à son « accent bulgare » ? Ici, comme dans tout ragot, l’anecdotique devient hystérique, se fait le récit d’une hystérie non du Réel mais de la Parole et se mue brusquement en épique du dérisoire et de l’inutile comme si, par le petit bout de la lorgnette, Christophe Colomb avait réussi à apercevoir les Amériques. Par son intérêt porté au sauté de veau dérisoire que cuisine Kristeva à Sollers, chez Binet, on ne raconte pas, on paparazze la littérature. Ce n’est plus Marcel qui se fait le narrateur de La Recherche, c’est Jupien depuis sa loge de concierge dans l’hôtel des Guermantes. Pourtant, on aura beau chercher : aucun ragot ne révèle rien sur personne que chaque lecteur ne connaisse déjà sur la figure intellectuelle mise démesurément en scène. Ainsi de Sollers qui, conformément à son image et parce qu’il n’est ici qu’une image, s’affirme plus que jamais espiègle, bavard et fantasque. Car dans La Septième fonction du langage, rien ainsi ne se révèle.

Ici, au violent contraire de Proust, les hommes ne se posent pas dans la langue comme la puissance indirecte d’intellection d’eux-mêmes : Laurent Binet ne semble pas faire confiance au langage pour dire les hommes non plus que les dévoiler, ce qui s’annonce quelque peu gênant sinon fâcheux dans un roman presque exclusivement consacré aux linguistes. Paradoxe malheureux que son récit ne parviendra jamais hélas à surmonter, La Septième fonction du langage offre un monde qui rêve à voix haute de secrets et d’escaliers dérobés mais qui, pourtant, ne connaît aucune coulisse et ne vit que sous l’ardente lumière des projecteurs. Tout y est théâtre et paraît répondre d’une hypervisibilité scénique comme en atteste avec force cet épisode remarquable entre toutes au Logos Club durant laquelle, sur la scène de La Fenice, Umberto Eco n’a pas besoin d’ôter son masque pour que chacun puisse pourtant immédiatement le reconnaître. La loi se fait aussi soudaine qu’impitoyable dans sa rigueur : on n’apprend jamais rien, et à aucun moment, sur personne car là n’est vraisemblablement pas l’intime visée narrative du roman de Binet. Sans doute se situe-t-elle dans ce que La Septième fonction du langage fait décidément de la littérature non son lieu attendu de parole mais un espace continu de pure visibilité et de féroce théâtralité qui regarde avec force du côté du lecteur : c’est un roman de la connivence sociale et de la mondanité la plus affirmée (bien sûr, je sais déjà qui est Sollers), de la théâtralisation bourgeoise de la pensée (bien sûr que je peux rire de Derrida, car je connais déjà sa pensée), un roman de la Littérature devenue infini spectacle d’elle-même.
Comme un sourd retournement de la modernité sur elle-même, une démission critique qui n’ose pas encore dire son triste nom de renoncement ou d’impuissance, La Septième fonction du langage renseigne sur la violente mutation de paradigme qu’endure souvent avec joie et parfois avec douleur une part insistante du champ littéraire contemporain. Véritable signe des temps et véritable temps des signes, là où l’écriture pouvait encore récemment s’affirmer spéculaire, l’écriture veut désormais devenir spectaculaire, à savoir faire de la Littérature et de ses récentes figures (quand la Littérature existait encore) l’inlassable spectacle et représentation de soi. Tout se passe chez Binet comme lorsque Barthes analysait le catch : si, selon le sémiologue, le catch n’était pas un sport, de la même manière, La Septième fonction du langage n’est pas de la littérature mais un spectacle. C’est la littérature devenue music hall frénétique dans ses meilleurs jours, théâtre de boulevard poussif dans ses mauvaises nuits. Si bien qu’un tel roman ne pouvait, par sa nature spectaculaire même, sortir à un autre moment que la rentrée littéraire puisque celle-ci est devenue, sans oser se l’avouer, un permanent radio crochet ou bien plutôt la télé réalité affolée que, du mois de septembre au mois de novembre, la presse a su offrir à la littérature comme espace d’intense dramatisation d’une espèce qu’elle suppose, en dépit de ses dénégations, en voie d’extinction. On pourrait même aller jusqu’à dire que la rentrée littéraire fait encore partie de ce roman, qu’il en appelle le dispositif publicitaire et médiatique même tant, objet marketé (le roman sort pour le centenaire de Barthes) et scripté (le roman bavarde autour de la mort de Barthes), La Septième fonction du langage appartient à ce phénomène des vies et des personnages publics sondés et mis en scène par la littérature, que d’aucuns nomment déjà exo-fictions mais qui ressortit bien plutôt à ce qu’il faudrait nommer pour certains une exo-littérature, à savoir une littérature hors d’elle-même, une littérature qui fait souvent de l’arène médiatique, grand Dehors et absolue Négation de l’écriture, son vœu le plus cher et le plus affirmé : l’écrivain et son désir tremblant mais obstiné d’apparaître et d’occuper la scène.
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Dès lors, de toute part, la Littérature que met en scène Binet doit devenir proprement théâtrale et passer la rampe depuis ce paradoxe insurmontable selon lequel l’écriture et la pensée figurent parmi les atomes les moins visibles du vivant. Il faudra donc surjouer la pensée, surjouer l’écriture de ces hommes de pensée et d’écriture jusqu’au contresens, jusqu’à la caricature, jusqu’au poujadisme, jusqu’à l’inquiétude, jusqu’à l’iconique. De fait, sous les attraits grossiers de la farce de potache débridée où, au fond, rien n’est sérieux, la pensée devient l’objet de gags permanents. Deleuze serait Groucho Marx sans le savoir, Derrida un clown triste qui s’ignore et Michel Foucault un ridicule esprit malfaisant digne des OSS 117. Quand Herzog fait l’amour, c’est sans peine que se donne à lire une scène de sexe où le lexique de l’Anti-Œdipe se voit surjoué et, à coups de « corps sans organes » et de « machines désirantes », se voit tourné en ridicule : « Baise-moi comme une machine » ou autre « Construisons un agencement ». On nous parle ici de la philosophie des années 70 comme on se moquerait d’un papier peint à fleurs ou de pantalons pattes d’éléphant avec l’idée subreptice que la pensée serait non un mode de réflexion mais une mode.

Sans doute plus inquiétant encore, chaque intellectuel se voit constamment renvoyé et intimement réduit à sa pensée ravalée au rang de clichés, une pensée désertée de son objet et durcie comme une langue morte, un épouvantable dialecte risible de son intelligence du monde, en somme son idiolecte, ici ravalé au rang de langue des idiots et dédiée à la gloire des pitres. Que dire en effet d’Althusser marxiste jusqu’à la parodie, de Deleuze parlant d’agencements jusqu’à n’en plus pouvoir ou encore de Foucault qui partout interroge les figures du biopolitique jusque dans un sauna ? La pensée n’y est plus considérée comme une puissance d’intellection de la matière mais se voit au contraire rabaissée au rang d’un risible et constant folklore où chaque expression recherche un pittoresque du discours. D’ailleurs, il n’y existe que des discours et des discours de discours dont la parodie se donne comme le maître mot et la jouissance spectaculaire d’un roman purement discursif tout entier consumé des rires complices et entendus de ses lecteurs. Laurent Binet ne conduit pas un récit : il tient un discours, il offre une idéologie en marche, celle de l’éloquence comme art de narrer comme si se donnait à lire l’habile roman du sophisme. À ce titre, de chacun des philosophes mis en scène, Binet n’offre décidément pas des phrases mais livre la part visible et spectaculaire, télévisuelle et médiatique du langage et de la pensée : les bons mots. On ne compte ainsi plus les formules à l’emporte-pièce comme « Le Baroque, c’est la Peste », « Les présidents passent, les décorés reviennent » ou encore « La défaite est décidément la plus grande école. » Sans même qu’il le sache, Protagoras est devenu romancier.
Ainsi, dans La Septième fonction du langage, désertée, la pensée est-elle devenue le contraire acharné d’elle-même : la sémiologie s’est comme retournée contre soi. Elle qui, autrefois, prenait les signes pour ses objets d’analyse, est désormais elle-même devenue un signe, une vaste mythologie dans laquelle Binet puise à outrance sans parfois même percevoir l’effroi et le désastre carnavalesque qui peuvent en surgir. La modernité est un manteau d’Arlequin ou les oripeaux d’un épouvantail, on hésite. L’empire des signes a cédé la place à la planète des singes, des discours singés jusqu’au simiesque à l’instar de Sollers mué lors de la nuit à La Fenice en une sorte de De Funès de lui-même. Dès lors, le monde est comme vidé de sa substance : ce n’est plus Roland Barthes par Roland Barthes mais Roland Barthes moins Roland Barthes tant sa pensée et son œuvre ont déserté le roman de Binet, tant la pensée s’y fait soustractive et s’enfonce dans la négativité indépassable de soi.
À lire les pérégrinations de Bayard et Herzog, les conversations qu’ils traversent comme on visite autant de pays riches de coutumes absurdes mais attendues, on pourrait sans doute retrouver de manière étonnante ce que Barthes avait l’habitude de nommer comme l’infranchissable horreur de toute parole : le discours prévisible. Au-delà de toute parodie ou pastiche mais comme véritable sérieux presque tragique de tous ces discours intellectuels, La Septième fonction du langage installe tout dialogue dans la prévisibilité, cette catégorie structurale où la pensée ne répond que de l’évidence, celle qui, loin d’offrir le paradoxe, devient le grand bavardage endoxal. Le discours prévisible de Binet se donne comme ce mouvement de la voix non pas neutre mais vidée d’œuvre et de timbre, la voix qui, l’air de rien mais à tout prix, cherche à se faire entendre. La Septième fonction du langage, ce sont des conversations à une table de restaurant que Barthes saisissait de son oreille triste et lasse : un roman de la jactance. Des six fonctions du langage de Jakobson, Binet ne retient au fond qu’une seule, l’unique qui lui importe dans ce roman qui est le message bavard de lui-même : la fonction phatique, celle, en dépit des mots et de leurs sens, de l’ivresse forcenée du contact contre toute idée d’écriture.
Cependant, au-delà de son cynisme maladroit, du roman potache digne d’un khâgneux qui voudrait rendre un hommage joueur à la génération qui l’a formé, au-delà du rêve de Binet d’être à la linguistique ce que Le Nom de la Rose fut à Aristote, mais regardant plus du côté d’Enid Blyton que d’Umberto Eco, au-delà de cette couverture beurre de Grasset qui vire à la Bibliothèque rose, La Septième fonction du langage croit parfois, l’espace de quelques pages, à la littérature, veut croire en son écriture. Binet lui accorde parfois un pouvoir exorbitant, celui qui laisse des hommes mourir pour elle, des hommes perdre leur doigt, des femmes perdre leur jambe, et un homme y perdre sa main. Binet voudrait se confier à la puissance d’écrire mais en cherche encore la foi démesurée. Parfois, il l’aperçoit. Parfois, il entre dans le plaisir du texte, dans l’épaisseur jouissive de qui oublie de regarder la littérature comme spectacle. Parfois, il n’est plus dans l’exo-littérature, il entre dans la fiction. Il délaisse les carcasses vides et hilares de Deleuze, Foucault et Eco, et laisse son écriture déployer la puissance d’agir : c’est l’explosion de la Gare de Bologne, le singulier moment de réussite du livre. Le silence s’est fait dans la pensée. Le roman d’aventures pourrait presque revenir habiter les pages. On pourrait croire qu’une phrase va surgir pour nous emporter. En tendant l’oreille, on pourrait presque entendre des échos de Jean Echenoz, d’Au Piano et de Nous trois, ou encore de Queneau, les modèles inavoués de Binet, dans cette idée folle de la littérature à vouloir embrasser la démesure d’un monde trop vaste, volant de surcroît en éclats. Mais, vite, les hommes bavardent, vite ils reparlent, vite la Littérature de nouveau est appelée à se taire.
Cruellement, et trop souvent à son corps défendant, La Septième fonction du langage livre une triste leçon faite d’amertume, depuis le comique débridé de son joyeux monde : peut-être cette septième fonction du langage, jamais révélée, n’est-elle autre que le silence. Peut-être faut-il apprendre à se taire malgré soi. Peut-être Bayard et Herzog se sont-ils fourvoyés dans leur enquête. Peut-être la septième fonction du langage est-elle à chercher non pas du côté de Jakobson, d’Austin et de Searle mais de Wittgenstein dans sa conclusion au Tractatus : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. » Voilà peut-être ce qu’avait écrit Barthes avant de mourir. Et peut-être faut-il enfin se souvenir du même Barthes lorsqu’il disait que l’écrivain était forcément atteint d’une pathologie, d’un mal incurable qu’il résumait ainsi : « J’ai une maladie : je vois le langage. » Mauvaise nouvelle pour la littérature mais très bonne nouvelle pour ses proches, Laurent Binet est encore pour l’instant un homme en excellente santé.
Laurent Binet, La Septième fonction du langage, Grasset, 496 p.

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