lundi 28 mai 2018

André S. Labarthe, critique, cinéaste, collectionneur et esthète inclassable, est mort





André S. Labarthe, critique, cinéaste, collectionneur et esthète inclassable, est mort


 Jacques Morice
Publié le 05/03/2018. Mis à jour le 27/03/2018 à 12h27
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Ancien critique de “Télérama” et des “Cahiers du cinéma”, André S. Labarthe s’était fait connaître avec sa série de documentaires “Cinéastes de notre temps”. Il est mort ce 5 mars, à Paris, à l’âge de 86 ans.
On est bien triste. Pour une fois qu’un critique doublé d’un cinéaste était rigolo, vraiment libre, picaresque, voilà qu’il nous quitte. André S. Labarthe avait 86 ans et fumait encore il y a peu des Gitanes maïs, comme on respire. Ce zigomar comme sorti d’un polar, qui pouvait être très classe avec son chapeau noir, une cravate dénouée et un verre de whisky à la main, avait tout d’une légende vivante auprès des cinéphiles. Poète un peu canaille (il avait fait un peu de prison dans sa jeunesse), il avait commencé comme critique au temps béni et glorieux des années 50.
Où cela ? Hé bien à Télérama, figurez-vous, ou plutôt à Radio Cinéma Télévision, son ancêtre catholique. Il y côtoie alors, excusez du peu, Luc Moullet, Jacques Siclier et André Bazin, le co-fondateur des Cahiers du cinéma, où André S. Labarthe collabore activement dans la foulée, par l’intermédiaire de son ami François Truffaut, de la même génération que lui. C’est à cette époque qu’il utilise pour la première fois ce « S. » glissé entre André et Labarthe, sa griffe, qu’il invente pour se démarquer d’un homonyme, un journaliste scientifique alors fameux. En plus d’être critique, il se fait écrivain clandestin, rédigeant des romans pornos pour le compte d’Eric Losfeld, éditeur haut en couleurs qui lui ressemblait sur bien des points (auteur soit dit en passant d’Endetté comme une mule, qu’on recommande chaudement).

Série mythique

Jouisseur lettré, surréaliste dans l’âme, amateur très éclairé d’art classqiue comme contemporain, André S. Labarthe s’est surtout distingué à partir de 1964 en réalisant lui-même un portrait de Luis Buňuel dans le cadre d’une émission de cinéma créée avec Janine Bazin. C’est la naissance de la série mythique, Cinéastes de notre temps, rebaptisée plus tard Cinéma, de notre temps. Une collection titanesque (près d’une centaine de titres) de documentaires consacrés aux cinéastes : à chaque fois un film en soi, qui éclaire, reflète, dialogue avec l’esthétique du cinéaste choisi. Labarthe a commencé avec les grands noms du cinéma hollywoodien, John Ford, Raoul Walsh, Frank Capra, John Cassavetes. Puis il a continué dans les années 70 et 90, filmant Moretti, Cronenberg, Rohmer, etc. Il a aussi passé le relais, d’autres jeunes cinéastes filmant, selon le même principe de liberté encadrée, leur maître (Claire Denis et Rivette, Assayas et Hou Hsiao-hsien, etc).
En plus des cinéastes, Labarthe a filmé des peintres, des écrivains, des musiciens, des penseurs. Continuer à faire œuvre de critique tout en réalisant toutes sortes de films, tel était le leitmotiv de cet esthète inclassable qui avait toujours dix milles anecdotes truculentes à nous raconter. Il y avait chez lui un gai savoir et une soif de curiosité particulièrement contagieux.



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