samedi 31 octobre 2020

L'acteur Sean Connery est mort à l'âge de 90 ans

 

Sean Connery


L'acteur Sean Connery est mort à l'âge de 90 ans

C'est lui qui prononça pour la première fois le célèbre : «Mon nom est Bond. James Bond.» Sean Connery restera le seul et le vrai espion de Sa Majesté qu'il avait interprété à 7 reprises.

«Le meilleur James Bond de tous les temps» / Les réactions à la mort de Sean Connery


Par Le Figaro
Publié hier à 08:32, mis à jour hier à 10:38
Sean Connery en 2008.
Sean Connery en 2008. ED JONES / AFP

L'acteur écossais Sean Connery, légendaire interprète à sept reprises de James Bond, est décédé, ont annoncé samedi 31 octobre des membres de sa famille. Il avait fêté ses 90 ans le 25 août. Sean Connery restera le seul, le vrai, l'unique espion de Sa Majesté. C'est lui qui apparaît à l'intérieur du canon d'une arme ensanglantée dans le générique créé par Maurice Binder. Lui qui prononce pour la première fois le célèbre : «Mon nom est Bond. James Bond.» Lui qui commande d'un air nonchalant une Vodka Martini, «au shaker, pas à la cuiller». Lui qui possède un permis de tuer 007 et dégaine son Walther PPK, tout en conduisant la rutilante Aston Martin DB5, dans Goldfinger, en 1965. Les siens ont déclaré que l'acteur «est décédé paisiblement dans son sommeil entouré de sa famille» et ont ajouté : «Il y aura une cérémonie privée suivie d'un service commémoratif encore à planifier une fois que le virus aura pris fin».


A 80 ans passés, Sean Connery continuait à incarner un certain idéal masculin, du genre viril, mû par un irrésistible charisme, un détachement cynique derrière ses sourcils en accent circonflexe et une voix délicieusement rocailleuse. Un homme, un vrai, un alpha mâle comme on n'en ferait plus, et capable d'être élu homme le plus sexy de la planète au bel âge de 59 ans. Un tombeur, à l'image de James Bond, ce personnage qui lui collera à la peau pour l'éternité.

Polisseur de cercueils

Mais avant de siroter des vodka-martini aux bars des plus somptueux casinos et de conquérir les plus belles femmes dans le rôle de 007, Sean Connery a d'abord cherché à fuir sa condition, particulièrement modeste. «Né dans la pauvreté abjecte des faubourgs d'Édimbourg, son rêve unique et primaire consiste à s'échapper. C'est la pauvreté qui a mis Sean Connery en route», souligne l'un de ses biographes, Michael Feeney Callan.

Il quitte l'école tôt et s'engage à 16 ans dans la Marine. Rendu à la vie civile au bout de trois ans après un ulcère, il enchaîne les petits boulots : maître-nageur, maçon, routier mais aussi livreur de charbon, garde du corps et polisseur de cercueil.

«Pour plaire aux filles», il se lance dans le culturisme et termine troisième au concours de Mister Univers 1950. Son 1m88 et son charme vont devenir son passeport pour la gloire. Il a 27 ans quand, repéré dans un téléfilm pour la BBC, il signe avec la 20th Century Fox. Invité à passer un essai pour l'adaptation d'un roman d'espionnage, il refuse net. «Vous me prenez comme je suis ou vous ne me prenez pas». Le bluff paye, et le rôle de 007 dans «Dr No» en 1962 lui revient pour 16.000 dollars. «Il est impossible d'être un enfant des sixties sans avoir regretté à un moment ou un autre de ne pas être Sean Connery», écrit Christopher Bray dans «Sean Connery: A Biography».

Propulsé star internationale, Sean Connery tourne dès lors avec les plus grands, en conservant en toute circonstance son accent écossais. Sa popularité ne sera jamais démentie : en 2013, il est élu acteur britannique préféré des Américains, dix ans après sa «retraite» au bout de 64 films.

On ne vit que deux fois

«En exil» en Espagne ou aux Bahamas (pour des raisons fiscales), il a vécu ces dernières années à New York avec sa deuxième femme, la portraitiste française Micheline Roquebrune, rencontrée sur les greens de golf et aussitôt épousée, en 1975. Il avait eu un fils, Jason, né en 1963 d'une première union avec une actrice australienne, Diane Cilento.

Annoncé comme mort dès 1993 par des agences de presses australiennes et japonaises, il a fini par rendre les armes samedi à 90 ans. Car il est vrai: «On ne vit que deux fois».

LE FIGARO



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RIMBAUD






jeudi 29 octobre 2020

Les Dystopiques de Gene Wolfe

 

Gene Wolfe


Les Dystopiques de Gene Wolfe

Jean LEVANT

nooSFere, juin 2015

  Après celles de Tiptree, il était logique pour moi de jeter un œil sur les dystopiques de Wolfe, dont certaines ont la particularité d'être des images en négatif des mondes “utopiques” de Tiptree. Ce que Tiptree semblait voir comme son meilleur des mondes, Wolfe le peint au contraire sous les couleurs les plus sombres, ceci dans au moins deux de ses nouvelles. Cette coïncidence n'en est pas une. Wolfe connaissait et appréciait l’œuvre de Tiptree au moment où il a écrit ces histoires, qui peuvent être comprises en partie comme des réponses à leur discours franchement misandre (oui, c'est le pendant exact de misogyne, adjectif trop peu utilisé à mon avis quand le second l'est souvent à tort et à travers). Le seul fait qu'il ait eu l'envie d'y répondre montre son estime pour l'écrivain Tiptree, à défaut de la philosophe, estime qu'il a prouvée en donnant le nom de l'écrivain alors décédé au personnage principal, masculin, de sa nouvelle The man in the pepper mill.

     En fait, si on considère l'ampleur gigantesque de l’œuvre de fiction de Wolfe, la dystopie y tient très peu de place. Parmi tout ce que j'ai lu de lui, seules trois nouvelles peuvent répondre à peu près à cette dénomination : la nouvelle In looking-glass castle et les deux novellas The ziggurat et Forlesen. La dernière est une de ses histoires les plus mystérieuses et à mon avis les plus réussies de toute sa carrière. Totalement inclassable. S'agit-il de SF, de fable fantastique (la peine sans cesse renouvelée quasi à l'identique d'un damné), ou d'une allégorie sociale kafkaïenne ? Les trois probablement conviennent. Je la conseille d'autant plus volontiers qu'elle est pour une fois disponible en version française, du moins s'il est encore possible de dénicher son recueil intitulé Le livre des fêtes (Gene Wolfe's book of days) : pas le plus aisé de Wolfe mais de grande qualité. Néanmoins, parce qu'il faudrait y consacrer tout un article et parce que cette novella n'a aucun lien avec l'univers de Tiptree, je ne vais pas m'étendre dessus. Disons que ce devrait être la dystopie la plus parfaite qui soit s'il n'y avait pas cet aspect allégorique et onirique qui plane sur toute la nouvelle et qui empêche de prendre son propos trop au pied de la lettre. Difficile en effet de concilier réalisme social et personnage dont toute la vie dure une seule journée. Chose remarquable, au lieu d'alourdir le texte comme c'est souvent l'habitude avec l'allégorie, celle-ci l'allège et le rend plus digeste.

     The ziggurat, tout comme In looking-glass castle, est clairement une réponse à Tiptree et à certains de ses délires les plus flamboyants, en particulier Houston, Houston, do you read ? Cela tombe bien puisque j'en ai donné un résumé assez substantiel dans un précédent article. The ziggurat, une longue novella, presque un roman, met en scène un trio de voyageuses temporelles venue d'un lointain futur (lointain si on en juge par leur méconnaissance de notre société et par leur apparence physique assez changée) où les mâles n'existent plus et qui sont tenus pour des dangers mortels. On voit évidemment le rapport avec les mondes de Tiptree. La différence est que dans le cas du Ziggurat, cette société entièrement féminisée n'a rien de joyeuses pacifistes baba cool. L'utopie décrite dans Houston se transforme en dystopie. Ce sont elles les agresseuses, au même titre que la femme du personnage masculin, qui est prête à lui intenter un procès pour des raisons fallacieuses, et parfaitement abjectes, s'il persiste à refuser le divorce. Le combat qui s'ensuivra entre ces femmes et les deux hommes, le père et le fils, sera donc une lutte à mort, lutte qui ne peut au mieux avoir qu'un vainqueur amer. Si le Ziggurat n'est sûrement pas parmi les meilleures de Wolfe, malgré son grand intérêt, In looking-glass castle est une des plus belles, des plus émouvantes et des plus subtiles nouvelles de Wolfe à mon sens, ce qui pour une dystopie est un vrai tour de force. Le cadre est une Amérique assez comparable à la nôtre, semble-t-il, du moins pour l'aspect architectural et technologique, mais entièrement dominée par les femmes. Les hommes n'ont pas tout à fait disparu du pays, mais sont rares et font l'objet de chasses à l'homme ; Le mot « homme » (« man » donc dans le texte) n'est jamais employé de bonne grâce dans cette société mais est remplacé par le mot « pig », ce qui en dit long sans avoir à le faire sur l'état d'esprit qui y règne. Prononcer le nom d'un auteur ou d'un savant mâle célèbre est très mal vu, sauf dans quelques petits cercles privilégiés (par exemple, dans la nouvelle, l'héroïne peut encore mentionner le nom de Lewis Caroll, qui était professeur de mathématiques, parmi ses consœurs mathématiciennes). Comme chez Tiptree, la solution pour remédier à l'absence, ou plutôt au refus de l'autre sexe est le clonage des femmes, qui ont presque toutes un ou plusieurs doubles plus jeunes, quand leurs moyens financiers le permettent. Mais contrairement à Tiptree, Wolfe n'indique pas la catastrophe ou la solution qui a permis un tel nettoyage ciblé, le laissant à l'imagination du lecteur. Une des caractéristiques majeures de la littérature de Wolfe est en effet de laisser beaucoup à l'imagination, ce qui déplaît à certains lecteurs et en ravit d'autres.

     (Je fais ici une petite parenthèse, à propos de cette fameuse « solution » évoquée plus haut, d'un emploi extrêmement courant dans le monde de la dystopie (et même parfois de l'utopie : voir Houston). Il s'agit bien sûr de formes diverses de génocides. Mais dans la plupart des cas, l'écrivain, ou le militant, préfère reporter la cause du génocide sur des agents extérieurs à l'espèce, la nature, la déesse Gaïa, ou les extraterrestres, ce qui permet de dédouaner les personnages qui en « profitent », surtout dans le cadre d'une utopie, ou de se dédouaner eux-mêmes. Une pandémie, une catastrophe climatique, une grosse météorite par exemple ont ceci de pratique qu'elles permettent d'arriver au but sans verser de sang, si on ose dire, de sang intellectuel en tout cas pour celui qui s'autorise de telles idées. Personne n'a envie de tenir le rôle du méchant SS dans le Hollywood du futur. Ainsi, chez nos radicaux actuels, le taux de destruction de l'humanité fautive pour rétablir la beauté et l'harmonie universelle est généralement estimé à neuf pour dix sans distinction de sexe (quoique… lorsqu'on veut sérieusement réduire une population animale, il est plus indiqué d'abattre les femelles en priorité). On sent bien qu'ils ne se comptent pas, ni eux-mêmes ni leurs proches, dans les neuf. Dans la littérature de Tiptree, qui combine la haine, ou la peur du mâle, avec la haine du pollueur, ce nombre est plus près de cent pour cent. Oh naturellement, il ne s'agit encore que d'idées romanesques. Mais les idées romanesques deviennent quelquefois des idées politiques, des idées très sérieuses pour certain(e)s. Et parfois, quand le terrain est propice, les idées politiques se réalisent pour de vrai. Le terrain est justement propice, comme il l'a été vers 1930.)

     Je reviens à la nouvelle de Wolfe. Le personnage principal de In looking-glass castle est une femme célibataire, jeune, fraîchement faite docteur en mathématiques, qui vient d'être engagée pour participer à un projet d'envoi de vaisseau spatial. Quand je dis célibataire, je veux dire sans amie attitrée ni clone, célibat qui est assez mal vu dans sa société. Une remarque plus loin laisse à penser néanmoins qu'elle a eu un enfant, un clone sans doute, et qu'il, ou plutôt elle est morte. Pour son nouveau travail, elle doit déménager en Floride, là où sont effectués les tirs d'essais, et trouve une maison imposante, toute meublée et approvisionnée. Il s'agit bien sûr du « château » du titre. Sa précédente propriétaire, également jeune et célibataire ― une excentrique, comme elle ― vient de mourir noyée, sans clone, sans héritière donc, et a tout laissé sur place. Puis arrive l'événement principal de l'histoire, le seul événement à dire vrai, la découverte qu'il y a un homme caché dans l'immense demeure et que cet homme, ce fugitif pourchassé est la cause involontaire, dit-il, de la mort de l'ancienne locataire, noyée.

     Contrairement à Tiptree, Wolfe ne vit pas entièrement dans un monde idéal, où tout finit par se courber aux idées de l'auteur, et la réalité finit au contraire généralement par rattraper ses personnages, d'une façon souvent tortueuse et souterraine, convenons-en. Les femmes de ce monde ne sont donc pas celles de Tiptree, bien qu'elles vivent dans l'utopie décrite dans Houston. Elles ne sont ni saintes ni particulièrement féroces. Elles sont ordinaires et comme les femmes ordinaires, elles s'ennuient beaucoup sans leur complément naturel, papotant et jasant entre voisines ou collègues en rêvant secrètement, effrayées et émoustillées, des PIGS qui font les gros titres des journaux. La solitude est le sentiment dominant de ce monde unisexué. Le vide aussi. Et quand il y a un vide pareil, il faut bien le remplir. C'est pourquoi il est plus que vraisemblable que l'intrus dans la bâtisse est une hallucination, une vision créée par le subconscient du personnage principal pour pallier l'insupportable frustration. Et naturellement la fille est folle. Très probablement, elle finira elle aussi noyée en tombant du bateau où sa chef l'a envoyée après avoir de nouveau entrevu le fugitif sur le pont. Comme on voit, c'est une véritable démolition de la vision extatique de Tiptree à laquelle se livre Wolfe, démolition discrète, sans aucun effet grandiloquent ou sanguinolent (même la fouille en règle du « château » par la police ne donnera rien, ce qui n'a rien d'étonnant si on suit mon interprétation) mais un très efficace antidote au poison distillé par Houston et bien d'autres histoires de Tiptree, en fait la plupart.

     L'intérêt de cette nouvelle ne tient évidemment pas seulement à cette fonction de négatif de l’œuvre d'un autre écrivain. Wolfe a un goût certain pour le pastiche et pour le commentaire littéraire sous forme de fiction, ou devrais-je dire l'inverse ? Chez lui, au lieu de donner lieu à des textes de seconde importance, voire franchement anecdotiques, le pastiche, ou le commentaire de texte (comme dans le cas de In looking-glass castle), semble aiguiser son inspiration et comme élargir sa vision, déjà vaste. Au lieu de verser dans la parodie, la caricature, de réduire la pensée de l'autre auteur comme c'est régulièrement le cas, il l'élargit, l'approfondit, l'élève même. Et bien que l'aspect mimétique de ces histoires soit parfois saisissant ― Wolfe a un don de mimétisme hors du commun ― au final, elles ressemblent bien à du Wolfe. Certaines nouvelles créées de cette manière pourraient figurer facilement dans son best of. En plus de la nouvelle commentée plus haut, on pourrait ajouter A solar Labyrinth (pastiche de Borges), Le détective des rêves (pastiche de Poe et de son héros Dupin) et L'histoire de la rose et du rossignol (pastiche des Mille et Une Nuits) toutes deux parues en français dans le recueil Toutes les couleurs de l'enferCherry Jubilee (pastiche de Vance et de son héros-détective Magnus Ridolph), The rubber bend (pastiche de Conan Doyle et de son célèbre héros).

     Chez Wolfe, la dystopie n'est jamais totale, même dans les cas les plus extrêmes, comme dans Forlesen. Car de même que dans le jeu des ciseaux, de la feuille et de la pierre, où chaque élément l'emporte à son tour, l'idée pure l'emporte sur le rêve, la réalité l'emporte sur l'idée pure et le rêve l'emporte sur la réalité.


mercredi 28 octobre 2020

Simone de Beauvoir entre à la Pléiade avec ses Mémoires d'une jeune fille rangée

 

Simone de Beauvoir


Simone de Beauvoir entre à la Pléiade avec ses Mémoires d'une jeune fille rangée

Trente-deux ans après la mort de l'auteure du Deuxième Sexe, la collection consacre enfin deux volumes à l'écrivaine, compagne de Jean-Paul Sartre. En publiant l'intégralité de ses Mémoires, Gallimard a choisi de mettre en lumière son travail de chroniqueuse minutieuse.

L'écrivaine Simone de Beauvoir en 1946 à Paris.
L'écrivaine Simone de Beauvoir en 1946 à Paris. Rue des Archives/Rene Saint Paul/Rue des Archives

Trente-six ans après l'entrée de Jean-Paul Sartre dans la prestigieuse collection, la Pléiade consacre enfin deux volumes à l'œuvre de l'écrivaine féministe. Mais, ni Le Deuxième Sexe (1949), le livre-manifeste du mouvement féministe, ni son roman Les Mandarins, prix Goncourt en 1954, ne figurent dans ces deux volumes de 1.584 et 1.696 pages. On y trouve en revanche les cinq livres de mémoires rédigés par Simone de Beauvoir: Mémoires d'une jeune fille rangée (1958), La Force de l'âge (1960), La Force des choses (1963), Tout compte fait (1972) et La Cérémonie des adieux (1981), livre terrible sur les dernières années de Jean-Paul Sartre (disparu en 1980).

Simone de Beauvoir
Simone de Beauvoir AFP/AFP

«Si le projet d'écrire sa vie lui est d'abord apparu comme un détour, il est toutefois progressivement devenu la voie royale empruntée par son œuvre», expliquent Jean-Louis Jeannelle et Éliane Lecarme-Tabone qui ont dirigé cette édition à paraître jeudi. Les éditeurs ont ajouté à l'ensemble Une mort très douce (1964), témoignage sur la disparition de sa mère.

«Mémoires d'une jeune fille rangée»

Simone de Beauvoir (1908-1986) entrait dans sa cinquantième année quand elle a commencé à écrire Mémoires d'une jeune fille rangée , histoire de l'émancipation, au début du XXe siècle, d'une jeune femme issue d'une famille bourgeoise parisienne, aimante et cultivée, mais horriblement conformiste à ses yeux.

Comptant parmi les œuvres les plus connues de l'écrivaine, ce texte est aussi l'un des plus émouvants écrits par une auteure parfois accusée de manquer d'empathie. Le portrait de son amie «Zaza» (Elisabeth Lacoin), sa sœur spirituelle, foudroyée en novembre 1929 à l'âge de 21 ans, demeure un des textes les plus poignants sur l'amitié. «Ensemble nous avions lutté contre le destin fangeux qui nous guettait et j'ai pensé longtemps que j'avais payé ma liberté de sa mort», écrit, avec une certaine dureté vis-à-vis d'elle-même, Simone de Beauvoir.

C'est également dans ce livre qu'on apprend pourquoi Sartre la surnommait «le Castor». C'est un ami d'études

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre à Rio de Janeiro en 1960.
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre à Rio de Janeiro en 1960. STF/AFP

commun, René Maheu, qui en eut l'idée en jouant de l'homophonie de Beauvoir et Beaver («castor» en anglais).

On ne saurait reprocher à Simone de Beauvoir d'enjoliver le passé. Son style, parfois décrié à l'époque à cause d'une prétendue sécheresse, apparaît aujourd'hui d'une modernité stupéfiante. On est frappé par la sincérité constante de l'écrivaine.

«J'ai été flouée»

Ainsi, dans La Force de l'âge, qui revient sur les années 1930-1944, Sartre (un temps prisonnier de guerre) et Beauvoir apparaissent davantage comme des «spectateurs» passifs de l'actualité plutôt que des acteurs engagés dans la lutte contre l'occupant ou le régime de Vichy.

Tout au plus, Beauvoir indique écouter la BBC. On continue de fréquenter Le Flore (car il est chauffé!), on fait «des fiestas» (avec Michel Leiris notamment), on part à la montagne en hiver. «Un matin, je trouvai le magasin de sport où je faisais farter mes skis sens dessus dessous: la nuit, des maquisards l'avaient mis à sac», s'étonne la romancière qui constate «les maquisards faisaient la loi à Morzine».

Quand Simone de Beauvoir évoque dans «La force des choses» les désillusions de la libération, les promesses non tenues des guerres anticolonialistes, on distingue entre les lignes un grand désenchantement. Que penser du constat amer qui conclut ce texte: «Je mesure avec stupeur à quel point j'ai été flouée»?

Le réalisateur Claude Lanzmann aux côtés de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre en Égypte en 1967.
Le réalisateur Claude Lanzmann aux côtés de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre en Égypte en 1967. AFP/AFP

Le couple Sartre-Beauvoir

Concernant le couple singulier qu'elle forma avec Sartre, la romancière (qui passe sous silence les relations amoureuses qu'elle noua avec certaines de ses anciennes élèves) évoque en revanche sa liaison avec l'Américain Nelson Algren puis avec Claude Lanzmann.

«La présence de Lanzmann auprès de moi me délivra de mon âge», écrit-elle joliment en évoquant sa relation avec le cinéaste alors qu'il avait 27 ans et elle 44.

Quant à Sartre, elle dresse le bilan de leur vie pas si commune à la fin de La Cérémonie des adieux. «Sa mort nous sépare. Ma mort ne nous réunira pas. C'est ainsi; il est déjà beau que nos vies aient pu si longtemps s'accorder».

LE FIGARO




dimanche 25 octobre 2020

Simone de Beauvoir, aux racines du féminisme

 

Simone de Beauvoir

Simone de Beauvoir, aux racines du féminisme

L'auteure, née il y a 106 ans, figure parmi les penseurs marquants du XXe siècle, notamment à travers ses thèses sur la condition féminine. Un Doodle du moteur de recherche Google lui rend hommage.

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, dont la rencontre remonte à l'université, ont suivi des chemins intellectuels et personnels très liés.
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, dont la rencontre remonte à l'université, ont suivi des chemins intellectuels et personnels très liés. STF/AFP

Née il y a plus d'un siècle, elle reste au cœur des débats modernes. La personnalité de Simone de Beauvoir, auteure française née le 9 janvier 1908, est intimement liée à celle d'un autre penseur existentialiste du XXe siècle, Jean-Paul Sartre. Il est souvent difficile de dissocier l'une de l'autre. Les écrits de cette femme de lettres restent néanmoins une référence philosophique, souvent controversée, à l'heure de débats sur la théorie du genre et l'égalité entre hommes et femmes.

Cette Parisienne tombe très jeune dans l'écriture. Après avoir étudié les lettres et les mathématiques, la jeune Simone de Beauvoir s'intéresse à la philosophie. Agrégée dans cette matière en 1929, elle devient enseignante. Élevée de manière très pieuse dans sa famille, mais devenue athée très jeune, elle s'oppose fermement au mariage et développe sa pensée autour de la liberté et de l'autonomie des individus, plus particulièrement des femmes. Elle collabore avec d'autres intellectuels et artistes marquants du XXe siècle, dont Boris VianMaurice Merleau-Ponty et bien sûr Jean-Paul Sartre, à la revue Les Temps modernes, qu'elle a contribué à fonder. Ce qui ne l'empêche pas de travailler à sa propre œuvre littéraire et philosophique.

En 1949, elle publie son ouvrage le plus célèbre, Le Deuxième Sexe . Le livre, succès des ventes, avance des thèses très avant-gardistes pour l'époque et lui apporte à la fois le succès et, pour une plus grande part, la condamnation par certains. Simone de Beauvoir y évoque la condition féminine, les situations de domination de la femme, le tabou de l'avortement, considéré comme un crime à l'époque. Elle y défend l'idée que le rapport entre hommes et femmes est une construction sociale. Symbole de cette thèse, la phrase extraite de cet ouvrage désormais associée à Beauvoir: «On ne naît pas femme, on le devient.»

Figure du combat féministe

Un Doodle célèbre le 106e anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir.
Un Doodle célèbre le 106e anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir.

Armature idéologique du mouvement féministe, cet ouvrage et les idées défendues par Simone de Beauvoir marqueront le combat pour les femmes des années 1970. Prix Goncourt en 1954 pour Les Mandarins , la philosophe continuera jusqu'à sa mort, en 1986, à aborder les grands thèmes de société comme l'amour, la mort, l'euthanasie, en questionnant son propre vécu.

En 2008, le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes est créé en son honneur. Marque supplémentaire de sa présence dans la société contemporaine, le récent film Violette, de Martin Provost, s'attache à raconter la vie de Violette Leduc, amie proche de Beauvoir. Sandrine Kiberlain y interprète l'intellectuelle avec brio. En octobre, son nom est également apparu dans les personnalités féminines que les Français aimeraient voir entrer au Panthéon. Jeudi, c'est au tour de Google d'honorer la mémoire de cette intellectuelle hors-norme à travers un Doodle à son effigie.

Une actualité étonnante, bien loin des livres philosophiques. Comme de nombreux penseurs, sa personnalité a autant marqué que son œuvre. Une postérité qui traduit malgré tout l'importance de l'héritage qu'elle a laissé. Une pensée dont les questionnements - c'est sans doute le propre des intellectuels marquants - occupent encore aujourd'hui la société. En premier lieu, l'enjeu de la place des femmes, et de la réappropriation de leur individualité. La récente nomination de Jane Campion à la tête du Festival de Cannes rappelle que ce combat, loin d'être achevé, se poursuit à travers d'autres personnalités.

LE FIGARO


mercredi 14 octobre 2020

Ren Hang / Love

REN HANGLOVE, REN HANG

MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE

L’exposition « LOVE, REN HANG » présente pour la première fois en France l’œuvre d’un des artistes chinois les plus influents de sa génération.

Avec une sélection de 150 photographies issues de plusieurs collections d’Europe et de Chine, l’exposition « LOVE, REN HANG »  occupe tous les espaces du deuxième étage de la MEP.

Composée essentiellement de portraits – d’amis, de sa mère ou de jeunes chinois sollicités sur internet –  mais également de paysages et de nus, l’œuvre de Ren Hang est immédiatement reconnaissable. Ses photographies, si elles semblent mettre en scène ses sujets, sont pourtant le fruit d’une démarche instinctive. Leur prise de vue, sur le vif, leur confère légèreté, poésie et humour.


À travers une approche chromatique, l’exposition propose une plongée dans les différentes constellations oniriques de l’artiste : la présence du rouge, les couleurs acidulées, une salle consacrée à sa mère, une autre, plus sombre, dédiée à des prises de vue nocturnes. Enfin, une dernière salle rassemble ses travaux plus « osés », sur le corps, créant un lien, fort et organique, entre l’érotisme et la nature.



Ren Hang questionnait, avec audace, la relation à l’identité et à la sexualité. Artiste homosexuel, particulièrement influent auprès de la jeunesse chinoise, son ton considéré comme subversif ou qualifié de pornographique, représentait vis à vis d’un contexte politique répressif, l’expression d’un désir de liberté de création, de fraîcheur et d’insouciance. Sa vision, unique, faisait référence au « réalisme cynique » (mouvement artistique chinois né des événements de Tian’anmen en 1989).



Présentés en regard de cet important corpus photographique, de nombreux écrits de Ren Hang, qu’il partageait régulièrement sur son site internet, témoignent de son combat contre la dépression. « Si la vie est un abîme sans fond, lorsque je sauterai, la chute sans fin sera aussi une manière de voler ». L’artiste s’est donné la mort en 2017, à l’âge de 29 ans. Il avait été exposé dans de nombreuses galeries à travers le monde, et était régulièrement publié dans des magazines de mode tels que Purple et Numero.


MEP




lundi 12 octobre 2020

La poétesse américaine Louise Glück reçoit le Prix Nobel de littérature




La poétesse américaine Louise Glück reçoit le Prix Nobel de littérature

La New-yorkaise est récompensée pour une œuvre entamée à la fin des années 1960



AFP
Publié jeudi 8 octobre 2020 à 13:22
Modifié jeudi 8 octobre 2020 à 14:00


La poétesse américaine Louise Glück, 77 ans, a remporté jeudi le très convoité prix Nobel de Littérature, une récompense surprise couronnant son œuvre entamée à la fin des années 60.

Elle est couronnée «pour sa voix poétique caractéristique, qui avec sa beauté austère rend l'existence individuelle universelle», a annoncé l'Académie suédoise en décernant le prix, toujours accompagné d'une motivation laconique.

A découvrir, «Averno»

Louise Glück est «une poétesse du changement radical et de la renaissance», a salué le président du comité, Anders Olsson. L'enfance et la vie de famille de cette native de New York, la relation étroite entre les parents et les frères et sœurs, constituent une thématique centrale de son œuvre.

Louise Glück avait remporté le prix Pullitzer de poésie en 1993 pour son recueil The Wild Iris. L'Américaine, née à New York en 1943, ne figurait pas parmi les favoris, dont les noms circulaient depuis plusieurs jours dans la presse. Le Nobel est doté d'un montant de dix millions de couronnes suédoises, environ un million de francs.

En français, la traduction de cette poétesse est restée jusqu'ici confidentielle, faute de parution en volume. L'enfance et la vie de famille, la relation étroite entre les parents et les frères et soeurs, sont une thématique centrale de son œuvre.

Averno (2006) est son recueil magistral, une interprétation visionnaire du mythe de la descente aux enfers de Perséphone en captivité de Hadès, le dieu de la mort. Une autre réalisation spectaculaire est son dernier recueil, Nuit fidèle et vertueuse.

La 16e femme honorée

Deux ans après la Polonaise Olga Tokarczuk, Louise Glück est la 16ème femme à se voir décerner le prix d'un millésime 2020 des Nobel très féminin.

Avec trois lauréates lors des Nobel scientifiques, cette saison pourrait battre le record de femmes lauréates (cinq en 2009), alors que la paix vendredi et l'économie lundi restent à décerner.

Le prix littéraire a été dans la tempête

Après une série de scandales ou de controverses qui a terni depuis trois ans le plus célèbre prix littéraire au monde, la direction qu'allait prendre le Nobel de cette année était particulièrement imprévisible, selon les critiques.

L'an passé, le prix 2019 avait été attribué à l'écrivain autrichien Peter Handke, aux sulfureuses positions pro-Milosevic, provoquant une très vive controverse, s'ajoutant à un scandale sexuel qui avait déchiré l'Académie il y a trois ans, provoquant le report historique du prix 2018.

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Casa de citas / Manuel Borrás / Louise Glück


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