dimanche 21 novembre 2021

Baudelaire, le spleen de la modernité / Son dernier souffle à 46 ans


Charles Baudelaire


Baudelaire, le spleen de la modernité: son dernier souffle à 46 ans

WEBSÉRIE 9/9 - Le Figaro Hors-Série consacre un numéro exceptionnel au poète maudit. Après plus d'un an de lutte pour surmonter l'attaque cérébrale qui a diminué son corps, Charles s'abandonne à la mort.

Au mois de mars 1866, avec Félicien Rops et Auguste Poulet-Malassis, Baudelaire visitait l'église Saint-Loup de Namur, qu'il tient pour le chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, quand soudain, pris de malaise, il a trébuché sur une marche et s'est affaissé. Dès le lendemain, ses amis l'ont ramené à Bruxelles. Il semble se remettre de cette indisposition mais, à la fin du mois, Charles est victime d'une attaque cérébrale qui paralyse la moitié de son corps. Prévenu par Auguste, Narcisse Ancelle se rend aussitôt à son chevet. Baudelaire est bientôt admis dans une maison de santé, l'institut Saint-Jean-et-Sainte-Elisabeth. Il souffre désormais d'aphasie et répète sans cesse « Cré… nom ». Son regard, cependant, montre qu'il n'a rien perdu de son intelligence.

Bientôt sa mère arrive également à Bruxelles. Charles supportant de plus en plus mal l'obligation que lui font les sœurs de se plier au rituel religieux de l'institut, ses amis décident de le réinstaller à l'hôtel du Grand Miroir avant de le rapatrier à Paris.
Accompagné par Caroline Aupick et sa servante Aimée, soutenu par le peintre Alfred Stevens, Baudelaire arrive gare du Nord et il est aussitôt conduit dans un hôtel du quartier. Trois médecins vont venir l'examiner. Ils conseillent de le transporter dans la maison de santé du Dr Emile Duval. Il y est admis le 4 juillet 1866.

Au début, Charles se montre plutôt enjoué et partage ses repas avec d'autres pensionnaires. Tous ses amis viennent le voir. Une fois par semaine, Nadar l'emmène même dîner en ville, mais, au bout de quelques mois, il faut renoncer à cette sortie. Elle le fatigue. En revanche, il semble retrouver un certain allant quand Apollonie Sabatier vient lui jouer au piano un air du Tannhäuser de Wagner. Il regarde ses mains courir sur les touches. Se souvient-il de leur brève liaison ? Cela avait été un fiasco. En réalité Charles n'avait jamais souhaité faire d'elle sa maîtresse. Elle était une « passante » et aurait dû le rester. Malgré la blessure qu'il lui a infligée, elle est demeurée son amie. Une muse.

Parfois, les yeux fermés, Baudelaire songe aux autres femmes qui ont croisé sa route. Elles ne lui auront laissé d'autre souvenir qu'une fragrance comme Emmelina, la dame créole. Plus souvent il pense à son père et se récite, sans mot dire, « Vous étiez du bon temps (…) / des abbés, des rocailles, / Des gens spirituels, polis et cancaniers… ». Il veut croire que son père et la fidèle Mariette seront ses intercesseurs auprès de Dieu. En revanche, il n'éprouve plus que rarement de la tendresse pour sa mère. Elle qu'il a tant aimée et qu'il aime encore, peut-être. Mais chaque jour ou presque, elle l'irrite à cause d'une paire de pantoufles, d'une brosse, de vétilles. Il se met alors en colère, s'agite avec tant de frénésie que le Dr Duval finit par conseiller à Caroline Aupick de rentrer à Honfleur.

Après son départ, Charles, mot après mot, sort de son aphasie. Il parvient bientôt à former quelques phrases. La guérison serait-elle proche ? Baudelaire a lui-même fixé une date butoir : le 31 mars. Il a barré la date sur son calendrier. En attendant, ses amis pressent Auguste Poulet-Malassis de publier une troisième édition des Fleurs du mal. Ce dernier hésite, car il est toujours sous le coup de sanctions judiciaires en France et ne peut donc, sans risque, revenir à Paris.

Les jours passent. Tantôt Baudelaire parle de retourner à Honfleur, tantôt il envisage un voyage à Nice. Mais plus le mois de mars approche, plus Charles s'assombrit. Bientôt, chacun comprend qu'il ne croit plus à son rétablissement. Il semble résigné. Il l'est peut-être. Ou bien abattu. Il ne quitte plus son lit. Son regard, toujours aussi attentif quand un ami vient lui serrer la main, est empli de tristesse. Immobile, il semble attendre un signe ou peut-être le tocsin.

Prévenue de l'état dans lequel se trouve son fils, Caroline Aupick revient à Paris le 21 mai 1867. Charles ne manifeste aucune joie de la revoir, mais il ne s'irrite plus contre elle. Contre personne d'ailleurs. Il reste immobile, les yeux grands ouverts. Nul ne sait s'il se récite des poèmes ou une prière. Le 31 août, à onze heures du matin, muni des sacrements qu'il avait lui-même demandés, Baudelaire lève l'ancre.

LE FIGARO

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