jeudi 29 septembre 2016

Sébastien Lifshitz / “Les Vies de Thérèse” ou les tout derniers instants d'une vie

“Les Vies de Thérèse” ou les tout derniers instants d'une vie


François Ekchajzer
Publié le 27/09/2016.


A sa demande, le cinéaste Sébastien Lifshitz a filmé les dernières semaines de Thérèse Clerc, figure du féminisme. “Les Vies de Thérèse” sont un miracle de pudeur et de délicatesse.
On n'imagine pas un chêne à terre. Quand, à l'automne dernier, le cinéaste Sébastien Lifshitz rend visite à Thérèse Clerc, il a conservé d'elle l'image d'une femme que rien ne saurait abattre. Cinq ans plus tôt, il avait filmé cette grande dame du féminisme pour les besoins des Invisibles, long métrage documentaire autour d'homosexuels nés dans l'entre-deux-guerres. S'il entretient, depuis lors, avec elle une relation suivie, il ignorait le cancer incurable qui la ronge jusqu'à ce qu'elle lui adresse une demande singulière par le biais d'une amie : celle de filmer les dernières semaines qu'il lui reste à vivre. De lever, dans un nouveau film, le déni entourant la vieillesse et la mort. 
« Il s'agissait pour elle d'un dernier geste politique »,explique Sébastien Lifshitz, qui reconnaît Thérèse dans ce projet inattendu, dont la difficulté le préoccupe. « J'étais venu pour refuser, se souvient-il. Mais elle m'a accueilli avec un sourire immense. Elle m'attendait dans son salon, très amaigrie. Je suis allé vers elle et je l'ai prise dans mes bras. Puis j'ai caressé son visage et elle m'a pris dans son regard. »

Eviter les écueils


Piégé, Sébastien Lifshitz a tôt fait d'identifier les écueils qui le guettent, au premier rang desquels l'obscénité que l'on risque à montrer une personne en état de faiblesse. Aussi nous rend-il les témoins du contrat qui les lie dès le tout premier plan de son documentaire Les Vies de Thérèse, centré sur le visage de Thérèse et dont le sien apparaît en amorce. « Elle expose sa demande, je lui fais part de mes réticences ; le spectateur se trouve ainsi autorisé à la regarder. C'était comme le chas d'une aiguille par lequel le film devait passer. »
Rien de déplacé dans ce documentaire, qui revisite le parcours intime et militant de Thérèse Clerc dans des flash-back composés d'archives, subtilement induits par des plans de sommeil. « Je l'amenais se coucher et je la regardais s'endormir. Son lit était une sorte de refuge où elle était débarrassée de la pesanteur de son corps, et un sourire se dessinait sur son visage. » Si l'on devine dans ces plans l'annonce de sa fin, l'esthétique du film cultive l'implicite et manie l'allusion avec un art qui le préserve de l'appesantissement. « Je ne voulais pas traquer sur elle les stigmates de la mort. Il y a ce gros plan qui la montre épluchant une clémentine. On l'a tourné avec un objectif particulier, qui laisse une part d'ombre très forte dans l'image. La mort y est sensible, mais sur un mode poétique. »
Cette délicatesse, qui baigne le film de bout en bout et participe de l'impression qu'il donne d'un voyage intérieur, se manifeste dans les silences de Thérèse plus encore que dans ses moments de parole. Comme lors de ce goûter où son regard se perd. « Juste après, deux amis sont venus la voir et elle a eu ce mot incroyable : "Voilà" — pour ainsi dire : on y est. Elle est morte quelques jours plus tard. » Le film nous le donne à comprendre quelques minutes après l'image de ce regard absent, et se termine en l'air, élégamment, dans un plan noir qui tire son éloquence de son refus affiché de conclure. 





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