dimanche 14 mars 2021

« Le pays des autres » / Leïla Slimani et le goût amer du « citrange »

 

Leila Slimani


« Le pays des autres » : Leïla Slimani et le goût amer du « citrange »

Après son Goncourt de 2016 pour « Chanson douce », Leïla Slimani change d'horizon et d'ambition. Premier volet d'une trilogie, « Le pays des autres » est une fresque au souffle puissant dans le Maroc des années 1944-1956.


Coup de foudre en Alsace. En 1944, Mathilde, dix-neuf ans, une belle fille joyeuse et robuste, tombe amoureuse d'Amine, séduisant commandant marocain de l'armée française, plus âgé qu'elle. A dix-neuf ans, Mathilde a envie de vivre l'aventure, enfin. Après leur mariage éclair, c'est le grand départ pour le Maroc. Pour la jeune femme qui avait fantasmé une vie idyllique dans une « Afrique » de rêve, les déceptions s'accumulent. En attendant qu'Amine puisse récupérer la ferme de son père, Mathilde s'installe dans sa belle-famille à Meknès. Le choc est brutal, le mode de vie frugal et la religion pesante.

Puis une fois à la campagne, les terres se révèlent ingrates, les éléments capricieux. Toutes les expérimentations agricoles d'Amine virent au fiasco. L'argent file. Mathilde doit faire des miracles pour tenir la maison, habiller les enfants. Son mari se noie sous le travail, révèle la face dure, violente de son caractère. A l'école, leur petite Aïcha subit les humiliations des autres petites filles qui moquent ses cheveux frisés. Métis, elle est un peu comme le « citrange », cet oranger sur lequel son père a greffé une branche de citronnier. Il y a des bons côtés aussi dans cette vie souvent austère, et Mathilde, d'un tempérament tenace, s'en empare dès qu'elle le peut. La décolonisation, qui mènera à l'indépendance du Maroc, est en marche qui porte son cortège de violences. Entre les deux communautés, la tension monte. Mathilde et Amine se retrouvent pris entre deux feux.

S'inscrire dans l'Histoire

Après deux romans serrés et acérés situés dans le Paris contemporain, « Dans le jardin de l'ogre » en 2014 et « Chanson douce », Goncourt reçu en 2016 à l'âge de trente-cinq ans, Leïla Slimani a voulu se lancer un défi. Respirer le grand air. Sentir des odeurs nouvelles. Changer de pays. S'inscrire dans l'Histoire. Naviguer entre une foule de personnages. La romancière s'inspirera pour l'écrire de la vie de sa grand-mère et de son grand-père, des souvenirs d'enfance de sa mère aussi. « Le pays des autres » est une fresque attachante au goût âpre qui ne cède pas aux simplifications et multiplie les points de vue. Elle est portée par un style à la fois sobre et envoûtant et des personnages complexes qui rêvent d'une vie simple. Ce roman, sous-titré « La guerre, la guerre, la guerre », est le premier volet d'une trilogie. Le deuxième se passera sous Hassan II, pendant les « années de plomb » 1970-1980, avec Aïcha comme personnage central ; le troisième, entre 2005 et 2015, avec les enfants d'Aïcha et de son plus jeune frère Selim. On a hâte de faire leur connaissance.

Le pays des autres

de Leïla SlimaniGallimard, 366 pages, 20 euros. Sortie le 5 mars

Thierry Gandillot


LES ECHOS



 



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