mercredi 18 mai 2016

Vargas Llosa, Latin lover




Mario Vargas Llosa

LA CHRONIQUE DE DANIEL RONDEAU

Vargas Llosa, Latin lover

L'EXPRESS
Par Daniel Rondeau, publié le 

C'est un dictionnaire écrit sur le papier libre du temps qui passe et qui commence par un paradoxe: "C'est à Paris, dans les années 1960, que j'ai découvert l'Amérique latine." Mario Vargas Llosa avait débarqué en France comme un jeune homme qui vient pour sa veillée d'armes littéraire. Depuis, il n'a jamais arrêté d'écrire, de lire, de voyager, de construire une ?uvre dont la souveraineté s'est affirmée. Et le continent qui l'a vu naître n'a cessé de grandir en lui. 
On trouve tout dans son Dictionnaire amoureux de l'Amérique latine: une série d'instantanés sur une terre longtemps partagée entre misère et opulence, une histoire de la littérature au XXe siècle, des curiosités et des vignettes (le condor), quelques rencontres magiques (Julio Cortazar, son mentor à Paris, Cabrera Infante, son voisin à Londres, Luis Buñuel, rencontré une première fois avec Rafael Alberti, Jorge Luis Borges, qu'il lisait en secret avec le sentiment de trahir Sartre), mais aussi une succession d'autoportraits de l'auteur, à diverses périodes de sa vie, dont la mise en perspective dessine un itinéraire. 
L'ensemble se lit comme une sorte de Chant général à la gloire de la littérature, et du roman en particulier. Un mélange de sérénité et de fermeté dans le jugement, la marque claire de l'auteur tiennent ce gros livre à l'écart des querelles et des enfantillages de salon qui réjouissent tant nos scribes moqueurs. Cette hauteur ne l'empêche ni de porter quelques coups de griffe (Sollers mentionné pour ses "romans mondains et érotiques") ni de dénoncer la tendance lourde qui a longtemps transformé le roman de création en France en "une branche mineure de la sémiotique ou de la linguistique"). Mais le fond de ce dictionnaire, souvent écrit à l'encre des journaux, est ailleurs, dans le catalogue des passions, toujours enchaînées à la réalité, d'une terre propice aux vertiges et à toutes les fusions. 
Gabriel Garcia Marquez est le premier nom que j'y ai cherché. J'étais curieux de savoir comment Vargas Llosa avait traité ce formidable écrivain, que l'on a souvent présenté comme son seul rival sérieux, et avec qui il est fâché depuis longtemps. L'auteur a eu la sagesse de choisir à son sujet un texte écrit pour saluer la parution de Cent Ans de solitude, en 1967. Marquez est traité pour ce qu'il est: un écrivain capable de "rivaliser avec la réalité d'égal à égal" et de faire exister dans la mémoire, l'imagination ou la conduite des hommes un monde "multiple et océanique". 
J'ai couru ensuite à Pablo Neruda. Mario Vargas Llosa avoue que c'est le seul écrivain "avec lequel il ne s'est jamais senti sur un pied d'égalité". Certains livres du poète chilien (Résidence sur la terre) lui donnent encore la chair de poule. Il nous fait entrer dans sa maison de l'Ile-Noire, peuplée de ses collections, et où Neruda chaque matin levait son drapeau, où figurait un poisson. Revenu sur mes pas, j'ai retrouvé Jorge Amado, mon ami brésilien, l'ami de tous ses lecteurs, et qui fut plus célèbre à Bahia que le roi Pelé. 
La promenade est longue, toujours stimulante. On croise chemin faisant Fidel Castro, Che Guevara, Fernando Botero et beaucoup d'autres, mais celui qui nous attend à chaque page, c'est l'auteur lui-même, généreux dans ses admirations et optimiste, comme Camus autrefois, face à l'Histoire, où les hommes ont toujours un rôle. 


L'EXPRESS




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire