vendredi 4 janvier 2019

Amants célèbres / Neruda et Matilde Urrutia

Matilde Urrutia et Pablo Neruda

Amants célèbres
Pablo Neruda et Matilde Urrutia

Au Mexique, Pablo Neruda noue en 1949 une liaison secrète avec la soprano Matilde Urrutia qu'il a déjà rencontrée trois ans plus tôt et qui deviendra la dernière élue de son cœur, après sa rupture en 1955 d'avec Delia Del Carril, peintre argentine. Elle lui inspire pour des poèmes d'amour d'une fulgurante beauté Cien sonetos de amor(La Centaine d'Amour).

Qu’est-ce qui peut être meilleure preuve d’amour que d’être poète et d’écrire une centaine de sonnets à sa bien-aimée ? Pablo Neruda aime Mathilde Urrutia, cette fille du sud du Chili, celle avec qui il se mariera et pour qui il écrira cette Centaine de sonnets en 1959. Il lui écrit en octobre 1959 « Ma dame très aimée, grand fut ma souffrance à t’écrire ces sonnets mal nommés, qui m’ont coûté grand’peine et grand’douleur, mais la joie de te les offrir est plus ample qu’une prairie. Voilà donc mes raisons d’amour et cette centaine est à toi : sonnets de bois qui ne sont là que de cette vie qu’ils te doivent ».
Mathilde est tour à tour fleur « violette », « rose de sel », « œillet », puis châtaigne, pain, vie, amour, géographie « ma petite planète, géographie, colombe », mer, lune, bois… C’est sa beauté qu’il chante. Puis ils s’installent, c’est la vie et les saisons qui passent. Neruda éloge la ménagère, le rire qui inonde la maison. Il l’appelle dans ses moments d’absence « Mathilde, où donc es-tu ? La lumière de ton énergie m’a manqué ». page 145. Puis c’est la nuit, les rêves, le sommeil, mais aussi la peur d’un nouveau monde, de nouveaux jours, de la mort.
Des sonnets très profonds, des sonnets sonnant l’amour, l’amour d’un poète immortalisé


En 1992, les restes de Neruda et de Matilde sont transférés à Isla Negra. Là, ils sont enterrés face au Pacifique tant aimé, sur le site de leur demeure, non loin d'une petite embarcation qui, tel un bateau ivre, est posée sur la terre ferme. Une embarcation qui leur servait de bar à ciel ouvert et qui dit comme le poète a bien vécu.

Matilde Urrutia et Pablo Neruda

Extrait d’un sonnet 
(Poème 10)


Suave es la bella como si música y madera,
ágata, telas, trigo, duraznos transparentes,
hubieran erigido la fugitiva estatua.
Hacia la ola dirige su contraria frescura.

Douce est la belle, comme si musique et bois,
agate, toile, blé, et pêchers transparents,
avaient érigé sa fugitive statue.
À la fraîcheur du flot elle oppose la sienne.

El mar moja bruñidos pies copiados
a la forma recién trabajada en la arena
y es ahora su fuego femenino de rosa
una sola burbuja que el sol y el mar combaten.

La mer baigne des pieds lisses, luisants, moulés
sur la forme récente imprimée dans le sable;
maintenant sa féminine flamme de rose
n'est que bulle abattue de soleil et de mer.

Ay, que nada te toque sino la sal del frío!
Que ni el amor destruya la primavera intacta.
Hermosa, reverbero de la indeleble espuma,

Ah que rien ne te touche hormis le sel du froid!
Que pas même l'amour n'altère le printemps.
Belle, réverbérant l'écume indélébile,

deja que tus caderas impongan en el agua
una medida nueva de cisne o de nenufár
y navegue tu estatua por el cristal eterno.

laisse, laisse ta hanche imposer à cette eau
la neuve dimension du nénuphar, du cygne
et vogue ta statue sur l'éternel cristal.

Matilde Urrutia et Pablo Neruda

Et voici l’un des derniers poèmes de Pablo Neruda, écrit à l'hôpital

Mathilde, les ans ou les jours
endormis, fiévreux
ici ou là,
cloué
la moelle cassée
éveillé peut-être
ou perdu, endormi:
chambres d’hôpital, fenêtres étrangères
blouses blanches et discrètes
l'engourdissement dans les pieds.

Puis ces voyages
et ma mer à nouveau
ta tête à mon chevet,
tes mains volantes
dans la lumière, dans ma lumière
sur ma terre.

Ce fut tellement beau de vivre
quand tu vivais

Le monde est plus bleu, plus terrestre
la nuit, quand je dors
énorme, dans le creux de tes mains.





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