mardi 10 août 2021

Perila, mondes et merveilles

 

Perila

Perila, mondes et merveilles

En magnifiant comme jamais les sons de la nature, du corps ou d’instruments de musique à l’aide d’un ordinateur, l’artiste russe fait naître un album en tout point inhabituel et désirable.


par Olivier Lamm

publié le 10 août 2021 à 6h24


Elle s’appelle Sasha Zakharenko, elle est originaire de Saint-Pétersbourg, vit et travaille à Berlin, et l’œuvre musicale qu’elle a commencé il y a trois ans sous le nom de Perila est un big-bang. Un big-bang à bas volume mais à très forte intensité, la musique de cette Russe engagée de mille manières dans la création (elle est aussi plasticienne, performeuse, programmatrice d’une formidable radio en ligne, Radio Syg.ma) possédant la faculté d’investir in extenso le cerveau de celui qui se donne la peine de le rendre disponible en amplifiant et magnifiant les choses jusqu’aux plus infinitésimales de l’environnement. Un morceau de How Much Time It Is Between You and Me ?, annoncé comme son premier album solo mais qui fait suite à une myriade de sorties et collaborations tout aussi longues et construites, s’appelle Blanket («couverture») et confirme cette intention qui fait merveilleux honneur à la musique expérimentale et à la simplicité de ses gestes, dont on refuse si souvent d’infirmer la légitimité : on s’y sent confiné comme sous une masse épaisse de membranes chaudes et rembourrées, dont les parois et mucosités se frotteraient à même le tympan pour créer un monde à la fois minuscule et gigantesque, fourmillant de détails et de complexités.

Don aigu d’attention au monde

Pour le faire advenir, Zakharenko use à égalité de son corps, de sa bouche, de la nature, du béton, d’un piano ou du temps qu’il fait – pluie battante qui s’acharne sur une plaque de tôle autant que soleil asséchant les sols pour tout transformer en poussière battante sur la bonnette d’un micro – puis d’un ordinateur, qui lui sert tout autant de filtre que de loupe et de creuset, la musicienne «liquéfiant» à dessein ses matières sonores pour confondre leurs particules sonores, jusqu’à la transmutation. L’ouverture de How Much Time…, titrée Air Like Velvet («de l’air comme du velours») est particulièrement spectaculaire à cet égard, métamorphosant des bourrasques en éruption volcanique, comme une démonstration de force de son savoir-faire poétique. Ailleurs, une rivière semble déchaîner un tsunami industriel, un opéra de voix fait remonter des basses abyssales depuis le centre de la planète, du gravier dans un tuyau de plomb intronise une ballade que ne renierait pas Björk, avec laquelle on ne serait pas surpris d’apprendre dans un futur proche que Zakharenko s’est mise à travailler.


C’est que si la Russe possède un don aigu d’attention au monde, la nature n’est jamais, dans ce disque hyper technologique, ni le propos ni l’endroit d’arrivée. Les mondes de Perila n’existent nulle part ailleurs que dans ses disques ; c’est leur pouvoir d’évocation, comparables à la meilleure fantasy, qui les rend si puissants et désirables, malgré l’absence notable, dans la plupart de ses morceaux, de centres de gravité qui viendraient en préciser les vertus, curatives ou subversives, ou les tonalités, solaires ou apocalyptiques. La musique de cet album en tout point inhabituel est aussi difficilement comparable à la musique qui lui ressemble le plus, l’ambient, puisqu’elle refuse obstinément de se laisser fondre dans le paysage sonore de celui qui l’écoute. C’est une musique faite de choses minuscules, mais qui a le pouvoir de tout changer, nous en premier.

Perila, How Much Time It Is Between You and Me ? (Smalltown Supersound)
LIBERATION



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