mardi 27 juin 2023

Georges Perec / « La vie est un livre » (Entretiens, conférences, textes rares, inédits)

 

 Perec © Christine Marcandier

Georges Perec : « La vie est un livre » (Entretiens, conférences, textes rares, inédits) 

Christine Mercadier / 16 mars 2020


Leséditions Joseph K publient un volume regroupant l’intégralité des entretiens et conférences de Georges Perec, de 1965, année de publication des Choses à 1981, accompagnés d’inédits et textes rares.

Il serait tentant de réduire ce volume à une suite mathématique inspirée des pratiques oulipiennes, en listant nombres et chiffres, à eux seuls impressionnants : 1100 pages, 181 textes, des milliers d’items liés à l’appareil critique — notes, entrées dans l’index des noms propres, références bibliographiques — et ces chiffres en cascade, auxquels ne peut et ne doit pas être réduit un livre, n’ont ici d’autre but que de souligner le travail prométhéen de Mireille Ribière et Dominique Bertelli.

Perec © Christine Marcandier

Le livre réunit donc tous les entretiens et conférences du vivant de Perec, publiés en France comme à l’étranger, les interviews radiophoniques ou télévisées sont retranscrites, leur sont adjoints des textes inédits, des lettres, des préfaces et autres documents. Tout est organisé chronologiquement, année après année, avec un énorme travail de remise en contexte de chaque archive. L’ensemble est bâti en deux parties : la première, la plus longue, regroupe les entretiens, la seconde rassemble des lettres, des comptes rendus, des préfaces, les articles et textes publiés dans Cause commune comme ceux parus dans Arts, Loisirs en 1966-1967.

Le livre est l’amplification du volume paru en 2003 chez Joseph K déjà, il ne fait pas doublon avec la récente Pléiade en deux volumes ni avec les fabuleux « posthumes », si contemporains, publiés par Maurice Olender dans sa « Librairie du XXIe siècle » au Seuil mais achève de convaincre, si besoin était, de l’infinie plasticité de cet écrivain majeur, que toute publication déplace, enrichit et recompose.

Perec © Christine Marcandier

Le livre est évidemment une somme indispensable pour tout amateur de Perec, permettant de disposer d’archives d’une richesse infinie sur l’auteur comme l’époque et de (re)découvrir ceux qui ont influencé ou entouré Perec (BarthesRoubaudUmberto Eco et tant d’autres). C’est, avant tout, un ouvrage aux itinéraires multiples qui s’offre comme un laboratoire d’écrivain, un état de l’édition ou de la réception critique, en se laissant guider par l’infinie curiosité de Perec pour les mots et les choses, la société, les lieux, le cinéma, les expériences formelles. On lira par exemple avec bonheur 30 banalités idiosyncratiques sur la ville de New York ou les textes publiés dans Arts, Loisirs qui sont une série autour de « l’esprit des choses » et des Mythologies à la Barthes : Perec se penche sur « l’indestructible Rolls », « symbole, s’il en fut, de l’éternité sur quatre roues » ; il analyse aussi « l’ultra-périssable » (le papier), fait l’« éloge du hamac », commente les bistrots, s’en prend à « la dictature du whisky », esquisse une théorie des gadgets et propose même un synopsis à Goscinny et Uderzo. C’est aussi dans ces pages qu’en janvier 1967 il revendique « le computeur pour tous », anticipation de nos smartphones (ici appelés des « ordinateurs de poche ») et des applications qui ont métamorphosé nos quotidiens, puisqu’il serait possible, prédit Perec, de « s’en servir à tout instant dans le métro (vous appuyez sur un bouton, et, hop, la machine vous dit quelle est la première direction à prendre, c’est fantastique ! » ; mais ces machines nous aideraient aussi dans le « choix d’un film à voir, d’un roman à lire, d’un restaurant à découvrir, d’un cadeau à faire, la disposition des convives autour d’une table, la répartition des chambres lors d’un week-end à la campagne – toutes ces décisions capitales, et bien d’autres ». « Moins aléatoire que les horoscopes, et tellement plus humain que l’I.F.O.P., le computeur pour tous, portatif, transistorisé et obligatoire, voilà la solution pour l’avenir ! »

Perec © Christine Marcandier

Dans un entretien donné en juin-juillet 1979 à une revue italienne, « Sono un « archivista », ma della invenzione che « crea » la realtà quotidiana » (p. 425-427 du volume), Perec explique que le titre La vie mode d’emploi lui est venu spontanément et qu’il n’a perçu que dans un second temps qu’il exprimait, « l’opposition entre la vie — la prolifération, le désordre — et l’emploi : le fait de trouver un ordre, une règle qui ne fonctionne pas, illusoire donc. La vie effervescente, chaotique, opposée à l’ordre que nous croyons mettre ». Là est, en creux, la poétique de ce volume. Il est une somme ordonnée, visant l’exhaustivité avec des index, ces index que Perec, dans le même entretien, définit comme « de la fiction scientifique » : « on peut construire les histoires au moyen de l’index ». C’est ce que fait ce livre aux accents borgesiens ou perecquiens : rebâtir le récit d’une œuvre, offrir des parcours et cheminements multiples, recomposer notre imaginaire et notre regard critique sur les œuvres de Perec depuis ce qu’en dit leur auteur. Si « la vie est un livre » — titre d’un entretien de Perec avec Jean Royer pour Le Devoir (Montréal) —, ce livre est une forme de biblio-biographie de l’auteur des Choses et de La Vie mode d’emploi, entre théorie et pratique de la création littéraire.

Georges Perec, Entretiens, conférences, textes rares, inédits, Textes réunis, présentés et annotés par Mireille Ribière, avec la participation de Dominique Bertelli, éditions Joseph K, novembre 2019, 1100 p., 39 €

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