CRITIQUE
Emmanuel Carrère
La classe de neige
Ne levons pas le voile...
Pour consacrer une chronique à l'admirable roman d'Emmanuel Carrère, La classe de neige, il faudrait être de ces critiques pour lesquels l'?uvre n'est qu'un prétexte. Il faudrait pondre un de ces papiers où seuls comptent le brio de l'accroche, le piquant des digressions, le charme du vagabondage littéraire. Il faudrait multiplier les fines références où l'abondance de noms propres évoque la rafle ou le raout et provoque d'étincelants télescopages. A la dernière ligne, il suffirait de répéter que le livre est admirable pour que le lecteur, ensorcelé par l'article, coure chez le libraire acheter un ouvrage dont, au fond, le critique n'a rien dit.
Dire quoi que ce soit de cette passionnante Classe de neige, c'est déjà lui faire du tort. On souhaiterait que, à l'instar du journaliste qui peut lire sur épreuves, chaque lecteur ne sache strictement rien du contenu. Mais il est trop tard: l'admiration, la passion ici avouées intriguent, alertent, «isolent» déjà cette Classe de neige, alors qu'il faudrait l'aborder détendu, comme l'histoire ordinaire d'un garçon de huit ans et demi, Nicolas.
En revanche, ce qu'on peut affirmer, c'est que dans le nouveau livre de cet écrivain de 39 ans on retrouve tout ce qu'on a tant aimé dans ses ouvrages précédents: La moustache, Le détroit de Behring ou Hors d'atteinte? ... Avec ce roman, qui est son premier depuis huit ans, Emmanuel Carrère confirme son exceptionnelle aptitude au renouvellement. Et l'art du conteur y atteint un nouveau sommet.
Tâche ingrate que de parler pour ne rien dire. Vaines précautions que toutes ces cachotteries puisque, entre la rédaction de cet article et sa parution, la rumeur aura fait perdre au lecteur cette innocence qui aiguise la sensation. S'il s'agissait d'un polar, notre mutisme serait facile à comprendre, mais en l'occurrence on veut simplement conserver au déroulement de l'intrigue ses surprises. Et à ses différents niveaux - le vécu et le rêvé - leurs secrets. Maudits soient ceux qui lèveront le voile!
Inventaire
Avouons simplement que, dans ce récit construit et conduit à la perfection, il est question de petits bracelets brésiliens, de matériel chirurgical, de fête foraine, de poches gonflées de médicaments, de pipi au lit, d'éjaculation nocturne, d'un livre intitulé Histoires épouvantables, d'une main en étau sur une nuque, d'un clochard qui brandit un couteau, de la petite sirène, de la fée bleue de Pinocchio et de la cascade d'inventions d'un gamin craintif qui veut se mettre en valeur aux yeux d'un camarade intimidant...
Avouons simplement que, dans ce récit construit et conduit à la perfection, il est question de petits bracelets brésiliens, de matériel chirurgical, de fête foraine, de poches gonflées de médicaments, de pipi au lit, d'éjaculation nocturne, d'un livre intitulé Histoires épouvantables, d'une main en étau sur une nuque, d'un clochard qui brandit un couteau, de la petite sirène, de la fée bleue de Pinocchio et de la cascade d'inventions d'un gamin craintif qui veut se mettre en valeur aux yeux d'un camarade intimidant...
Voilà exposés quelques éléments qui, pêle-mêle, n'ont rien d'indiscret... Encore que... Ah! Qu'il serait bien d'être cru sur parole, de simplement déclarer: «A lire absolument! Voici une ?uvre aussi intelligente qu'originale, où observation et imagination se conjuguent diaboliquement!»
En un mot comme en cent ce livre est, tel le geste fréquent du moniteur dans les cheveux de Nicolas, ébouriffant.
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