Martin Amis
La Zone d'intérêt

Disons qu'il s'agit d'une étude de caractères, mais menée façon Amis, c'est-à-dire par le recours à une forme de représentation caricaturale, tendance grotesque ; par le recours aussi à l'élaboration savante, virtuose même, de trois voix parfaitement singulières qui se partagent la narration, décrivant le quotidien du camp, déployant l'intrigue sentimentalo-comique. Il y a Paul Doll, le commandant du camp ; Angelus Thomsen, un officier SS, neveu du secrétaire personnel de Hitler, par ailleurs amoureux fou d'Hannah, la femme de Doll ; et Szmul, un déporté juif polonais affecté au Sonderkommando, chargé d'évacuer les cadavres hors des chambres à gaz (« On appartient au Sonderkommando [...], on est les hommes les plus tristes de l'humanité »).
La farce a-t-elle sa place à Auschwitz ? Dans la postface du roman, une phrase connue de Primo Levi, citée par Amis, retient notamment l'attention : « Peut-être que ce qui s'est passé ne peut pas être compris, et même ne doit pas être compris, dans la mesure où comprendre, c'est presque justifier. » Sous ses dehors burlesques — un burlesque qui provoque non le rire, mais l'effroi, la révulsion, le désespoir — et servi par une prose d'une extrême sophistication, La Zone d'intérêt s'offre bel et bien à lire comme une méditation sur cette parole de Levi, comme une réflexion jamais fantasque mais audacieuse jusqu'à l'insolence du romancier perspicace, ténébreux et hautement sarcastique qu'est Martin Amis. — Nathalie Crom
| The Zone of interest, traduit de l'anglais par Bernard Turle, éd. Calmann-Lévy, 392 p., 21,50 €.
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