vendredi 6 novembre 2015

Le Prix Médicis décerné à Nathalie Azoulai


Nathalie Azoulai
Le Prix Médicis décerné 
à Nathalie Azoulai

Par Mohammed Aissaoui
Mis à jour le 05/11/2015 à 17:11
Publié le 05/11/2015 à 13:19



CRITIQUE - La romancière de Titus n'aimait pas Bérénice a été couronnée ce jeudi par le prix littéraire. Hédi Kaddour et Delphine de Vigan faisaient également partie des 11 auteurs français en lice

Nathalie Azoulai a été couronné ce jeudi par le Prix Médicis pour son livre Titus n'aimait pas Bérénice. 11 auteurs français étaient en compétition, dont Hédi Kaddour (Les Prépondérants, qui a reçu le Grand Prix de l'Académie française) et Delphine de Vigan (D'après une histoire vraie, qui a reçu le prix Renaudot).


La critique du livre:
Cela arrive parfois: un époux abandonne sa maîtresse pour retrouver sa femme. Chez la romancière Nathalie Azoulai, cela donne une phrase lapidaire pourtant emplie du mystère de l'amour: «Titus aime Bérénice et la quitte.» Nous sommes en 2015. La narratrice s'appelle Bérénice et son amant Titus la quitte pour ne pas quitter Roma, son épouse légitime, la mère de ses enfants, qu'il n'aime plus depuis longtemps. Pour se consoler de ce chagrin, le comprendre, l'expliquer, notre Bérénice 2015 va plonger dans Bérénice 1670. Sur cette simple idée, Nathalie Azoulai réussit un coup de maître. Les Anciens savent mieux que personne mettre les mots justes sur nos vagues à l'âme, autant puiser chez eux. Pour mieux peindre la douleur, plonger dans le sentiment amoureux, le chagrin, les souffrances, rien de tel que les tragédies du XVIIe siècle. Alors, la narratrice (ou Azoulai) va chercher la consolation, ou plutôt la vérité, chez Racine, dans sa vie, dans son œuvre. Elle écrit, avec sérieux mais en souriant aussi: «Elle trouve toujours un vers qui épouse le contour de ses humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie… Racine, c'est le supermarché du chagrin d'amour (…).» En s'appuyant sur l'auteur d'Andromaque, Azoulai scrute, détaille, décrit et, peut-être est-ce encore plus fort, souligne ce qui est impossible à écrire: le degré invisible des sentiments, l'intensité des choses, la profondeur de l'âme.

«Le lit du texte»

Il y a deux grands pans qui se mêlent dans ce magnifique récit: le premier est cette quête au plus près du sentiment amoureux, pourquoi toujours ce trio infernal? A aime B qui aime C…, et pourquoi (presque) jamais A qui aime B qui aime A? Le second pan est cette biographie toute personnelle, mais magistrale de Jean (Racine). Elle en décrit la source. Même s'il était orphelin de père et de mère, il a été à bonne école. Ses maîtres sont Claude Lancelot, Pierre Nicole, Jean Hamon, Antoine Le Maistre… Mais elle n'en cache rien, surtout pas sa vanité, l'orgueil bouffi, les relations courtisanes avec le roi, la concurrence exacerbée avec les autres grands dramaturges, la jalousie envers Corneille et Molière (un petit exemple: «Mais un mois plus tard, Molière meurt enfin»!). Avec ces trois-là, plus La Fontaine et Furetière, l'époque était incroyablement riche. L'entrée de Racine à l'Académie française telle que le raconte Azoulai est une scène d'anthologie. Dans toutes les pages, les phrases sont faites de grâce, elles dansent, se chuchotent, se relisent, se soulignent tels des aphorismes. La romancière dit beaucoup du travail du tragédien (ses traductions, sa façon de «ne pas perdre une miette» des confessions), de son approche pour atteindre «le lit du texte». Une superbe master class! L'œuvre de Racine est inépuisable.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire