Souvenirs de Gainsbourg en boule à neige
Le bédéaste Joann Sfar réussit, de peu et aux points, le pari fou de «Gainsbourg (vie héroïque)»
T.J.
Publié mercredi 20 janvier 2010 à 00:41
Si une seule personne a bénéficié du flop, commercial et artistique, de Coluche par Antoine de Caunes, c’est bien le bédéaste Joann Sfar. Depuis cette catastrophe industrielle, il est en effet exclu de produire, en France, une biographie à prétentions réalistes. C’est dire que Sfar a pu laisser libre cours à sa fantaisie naturelle et que c’est de là, des inventions les plus débridées, que naît l’affection que Gainsbourg (vie héroïque) finit par emporter. Mais c’est une victoire aux points, et après décompte, dans une narration chronologique d’une grande platitude, une alignée de vignettes sans grande surprise sinon celle de recréer, systématiquement, des saynettes que les amateurs même les moins érudits de Gainsbourg connaissent déjà.
Gainsbourg et Fréhel, Gainsbourg et Vian, Gainsbourg et Gréco, Gainsbourg et Bardot, Gainsbourg et Birkin, Charlotte et les flingues, les copains gendarmes et les anciens combattants, l’achat du manuscrit de «La Marseillaise» et la rencontre avec Bambou: entre art de la transgression, voire de la transcendance, et travail d’imitation, la balance penche plus souvent vers le second. Si bien qu’il reste de Serge Gainsbourg, outre la performance stupéfiante d’Eric Elmosnino dans le rôle-titre (lire en page 12), ce qu’il reste du Sacré-Cœur ou de l’Arc de Triomphe dans une boule à neige. Tout dépend alors du talent de l’artiste qui aura sculpté la miniature et des libertés qu’il aura osé prendre face à son modèle. Il se trouve que Joann Sfar regorge de talent et que la liberté d’adaptation est sa marque, dans la bande dessinée, depuis deux décennies.
Une volute un peu aigre
Comme Oliver Stone avec The Doors (sans doute la bio d’artiste la plus proche de ce Gainsbourg ironiquement stipulé vie héroïque), Sfar s’amuse à construire à partir d’images connues voire iconiques, une vision qui s’autorise toutes les digressions. Ainsi, pour le plus intéressant, de ces marionnettes étranges qui collent aux talons du chanteur: une figure de Juif, type Monsieur Patate, derrière le petit Lucien Ginzburg (le petit Vaudois Kacey Mottet Klein révélé par Ursula Meier dans Home); un double affiné et pervers, futur Gainsbarre, derrière l’épaule du Gainsbourg encore hésitant; sans compter toutes les femmes qui, de Gréco-Mouglalis à Bardot-Casta, tiennent davantage du fantasme punaisé dans la chambre de l’éternel ado Sfar que de l’incarnation.
Voilà un film qui ne répond à aucune question. Et qui n’en pose pas non plus. Mais il parvient à faire remonter, comme la neige quand on secoue la boule, une volute de ce que fut Gainsbourg. Volute un peu aigre de Gitane sans filtre plutôt que fumée ample et vraiment exotique de Havane.
Gainsbourg (vie héroïque), de Joann Sfar (France 2009), avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Laetitia Casta, Doug Jones, Anna Mouglalis, Mylène Jampanoï, Sara Forestier, Kacey Mottet Klein. 2h10.
LE TEMPS
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