mercredi 17 février 2021

«L’Anomalie» d’Hervé Le Tellier remporte le Goncourt, et c’est bien normal

 


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«L’Anomalie» d’Hervé Le Tellier remporte le Goncourt, et c’est bien normal

La romancière camerounaise Djaïli Amadou Amal garde toutes ses chances pour le Goncourt des lycéens. Marie-Hélène Lafon, déjà couronnée en 2018 par le Goncourt de la nouvelle, obtient le Renaudot pour son «Histoire du fils»


Eléonore Sulser
Publié lundi 30 novembre 2020 à 13:55
Modifié lundi 30 novembre 2020 à 17:11

Hervé Le Tellier, un écrivain membre de l’Oulipo, qui fut chroniqueur dans l’émission Des Papous dans la tête mais aussi l’auteur quotidien d’un billet d’humour pour Le Monde, «Papier de verre», et encore, entre autres foisonnantes activités de plume, le cocréateur facétieux du faux philosophe Jean-Baptiste Botul qui mystifia Bernard-Henri Lévy, remporte le Prix Goncourt 2020 avec son roman L’Anomalie (Gallimard).

C’était le favori, et le délai que se sont donné les Goncourt dans l’annonce du prix, afin d’attendre la réouverture des librairies, n’y a sans doute rien changé. Le roman d’Hervé Le Tellier l’a emporté sans surprise – par huit voix contre deux à L’Historiographe du royaume (Grasset) de Maël Renouard. Les Impatientes (Emmanuelle Collas) de l’écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal et Thésée, sa vie nouvelle (Verdier) de Camille de Toledo étaient encore en lice. A noter que Djaïli Amadou Amal, avec son roman à trois voix sur la dure condition des femmes du Saël, conserve toutes ses chances de remporter le Goncourt des lycéens, qui doit être annoncé le 2 décembre.

Un roman boule à facettes

L’Anomalie partait favori et remporte donc le plus prestigieux des prix littéraires français. Rien d’anormal à cela. C’est un roman qui conjugue inventivité et qualité littéraire – sa construction est savante, il explore toutes sortes de styles et de rythmes narratifs différents, décline toutes sortes de genres littéraires (de la science-fiction au thriller en passant par le roman d’amour ou le roman philosophique) – et c’est également un formidable roman-feuilleton, un livre d’aventures plein de rebondissements, à l’image de Goncourt précédents, comme celui de Pierre Lemaître avec Au revoir là-haut en 2013. L’Anomalie est enfin, et l’histoire montre que les jurés du Goncourt ne sont pas du tout insensibles à cet argument, d’ores et déjà placé parmi les meilleures ventes de livres de cet automne 2020.

A quoi s’ajoute son thème presque apocalyptique qui brasse avec finesse, audace et humour toutes les incertitudes du temps présent: la post-vérité, les débordements populistes, les recompositions sociales, la condition des minorités, la globalisation, les avancées technologiques aussi fascinantes qu’inquiétantes et même les crises mystiques et religieuses qui secouent la planète des années 2020. Hervé Le Tellier est même parvenu à y glisser une touche de covid, c’est dire si L’Anomalie, roman miroir, boule à facettes du réel chamboulé qui est le nôtre, est en plein dans l’actualité.

En couronnant Histoire du fils (Buchet & Chastel) de Marie-Hélène Lafon, le Prix Renaudot a peut-être, pour sa part, répondu à une autre «actualité». Les jurés du Prix Renaudot font face en effet à de nombreuses attaques médiatiques. Ils sont accusés de n’avoir rien modifié à leur fonctionnement depuis qu’a éclaté à grande échelle – relancé notamment par la parution du Consentement de Vanessa Springora (Grasset, janvier 2020) – le scandale autour de l’attribution du Renaudot essai, en 2013, à l’écrivain Gabriel Matzneff, chantre de la pédophilie. Ces jurés, nommés à vie, se complaisent, écrivent à la fois Le Monde et le New York Times, dans un entre-soi très durable, très masculin et très parisien. Le choix – excellent au demeurant et très mérité s’agissant de Marie-Hélène Lafon – d’une lauréate femme et d’une romancière qui revendique haut et fort ses origines paysannes est, sans doute, le plus apaisant possible face à ce feu de critiques. L’autrice Dominique Fortier, avec Les Villes de papier (Grasset), a de son côté remporté le Prix Renaudot de l’essai.

LE TEMPS


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