mardi 20 avril 2021

King Kong contre Godzilla / Une rivalité titanesque pour exorciser le blues du Covid

Les mordus de monstres ont pu croquer à pleines dents la première bande-annonce du film dont la sortie est prévue en mars. Copyright 2021 LEGENDARY AND WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. ALL RIGHTS RESERVED. GODZILLA TM & TOHO CO., LTD.

King Kong contre Godzilla : une rivalité titanesque pour exorciser le blues du Covid


Colossal objet de divertissement, la confrontation entre les deux géants de la pop culture revient en mars dans une nouvelle production.

Par Simon Cherner
Publié le 26/01/2021 à 11:56

C'est peut-être la définition suprême du «grand spectacle». Au sommet du mont Fuji, deux monstres sacrés du cinéma à sensation s'affrontent dans une lutte à mort : d'un côté, le champion japonais Godzilla - Gojira en japonais - ; de l'autre, le champion américain King Kong - indissociable de l'Empire State Building. Les deux créatures gigantesques se déchaînent l'un contre l'autre avec force prises de catch, coups de pied préhistoriques et autres improbables gavages de platanes. Cette fracassante rencontre est le point d'orgue d'un des meilleurs tokusatsu - ces films japonais à effets spéciaux - et qui font encore le délice des spectateurs découvrant le généreux classique de 1962 réalisé par Ishirō Honda : King Kong contre Godzilla.


Derrière le divertissement pur et simple du long-métrage japonais se dessine néanmoins, quelque chose de supplémentaire. Quelque chose qui, irrémédiablement, fascine. Un intérêt et une appétence telle, que - après des années d'attente - ce combat iconique fera bientôt l'objet d'une réactualisation hollywoodienne dont les mordus de monstres ont pu croquer à pleines dents la première bande-annonce dévoilée ce week-end.

Aux sources du prochain blockbuster, et contrairement à lui, le King Kong contre Godzilla de 1962 est un film de la Tōhō, la maison de production japonaise à l'origine de la saga au très long cours consacrée, depuis 1954, au plus japonais des monstres contemporains : Godzilla. Et presque paradoxalement, il s'agit pour Warner - qui distribue le prochain Godzilla vs Kong - d'un quasi-retour aux sources, puisque l'histoire consistant à se faire opposer le gigantesque lézard nippon avec l'éléphantesque singe géant tire son origine non pas du Pays du Soleil Levant mais... des États-Unis.

Idée américaine, réalisation japonaise

Le projet du film traînait à l'origine dans les cartons de Willis O'Brien (1886-1962), un des pionniers de la stop motion à qui l'on doit les effets spéciaux du Monde Perdu de 1922, puis du King Kong sorti en 1933. «C'est le chef-d'œuvre de Willis O'Brien, l'un des pionniers des effets spéciaux», estime Pascal Pinteau dans Effets spéciaux : Deux siècles d'histoire (Bragelonne, 2015). «Il a été l'un des inventeurs de l'animation de marionnettes en trois dimensions. La structure en rotules métalliques du squelette remplaçait alors celles en bois et la peau en caoutchouc mousse recouvertes de latex , la pâte à modeler des premiers visages.»



Sortie en 1963, la version américaine de King Kong contre Godzilla dispose d'un nouveau montage, de scènes additionnelles et d'une musique différente par rapport à la version japonaise d'origine sortie en 1962. Everett / Bridgeman images

À la toute fin de sa carrière, autour de 1960, le cinéaste caressait l'espoir de refaire un film en stop motion qui opposerait «son» King Kong démesuré à une version géante de la créature de Frankenstein. L'idée était de décliner en version géante la série de films des studios Universal - comme Frankenstein rencontre le loup-garou (1943) ou, dans un registre plus comique, Deux Nigauds contre Frankenstein (1948) - où se côtoyaient à l'écran des monstres vedettes. Malgré la nouvelle vague de films d'épouvantes qui déferlaient alors depuis la fin des années 1950 en provenance des prolifiques studios britanniques de la Hammer, le projet fit long feu. Ce n'est qu'une dizaine d'années plus tard que débarqua finalement le projet, récupéré par la Tōhō et réalisé de l'autre côté du Pacifique.

Le King Kong contre Godzilla sort l'année du trentième anniversaire des studios japonais. Il reprend le principe de l'affrontement titanesque jusque dans sa titraille, sur le modèle des productions occidentales, à la manière des matchs de boxe. Le concept est tellement séduisant qu'il sera repris dès le film suivant, le quatrième de la saga, en annonçant Mothra contre Godzilla. Des rings à la diplomatie internationale, l'heure était à la bipolarisation du monde et le cinéma n'échappa pas à cette tendance.


Divertissement grand spectacle - quoique de série B - le film sort en plein pic de la Guerre froide, deux mois avant la crise des fusées de Cuba. Dans King Kong contre Godzilla, le gigantesque «Kaiju» est d'ailleurs libéré des glaces d'un iceberg par un sous-marin nucléaire américain. Tiré de son sommeil, la créature fonce droit vers le Japon où il affronte le King Kong, qu'une équipe de production japonaise en mal d'audimat a capturé sur son île.

Les déchaînements apocalyptiques des deux monstres dont le duel s'achève par un match nul ambigu - équilibre de la terreur oblige - ont conduit à d'audacieuses analyse politiques. «Godzilla a surgi de l'océan Arctique et a attaqué l'île japonaise d'Hokkaido, au nord du pays, comme l'auraient fait les Soviétiques. King Kong, un monstre du Pacifique sud intégralement lié aux États-Unis, a aidé les Japonais à repousser l'attaque», assure Michael Schaller dans le New York Times , à la sortie du Godzilla de Roland Emmerich en 1998.

Besoin de catharsis

Du traumatisme des bombardements nucléaires de 1945, qui hantent le Godzilla de 1954, aux affrontements manichéens de la Guerre froide, toile de fond des dizaines de films subséquents, la saga a toujours puisé dans l'actualité pour se revivifier. Le prochain Godzilla vs Kong arrive fort à propos en cette période de pandémie mondiale. Une étude américano-danoise estime que les fans de films d'horreur ont moins souffert que les autres du confinement et des restrictions sanitaires qui ont cours. Dans ce contexte, on aurait tort de se refuser de si gargantuesques catharsis.

LE FIGARO


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