samedi 1 mai 2021

L'exploit de Nomadland dans une cérémonie des Oscars qui rend son éclat au cinéma



L'exploit de Nomadland dans une cérémonie des Oscars qui rend son éclat au cinéma

 

Meilleur film, meilleure réalisation, meilleure actrice, le road-movie de la Chinoise Chloé Zhao et Frances McDormand réalise un triplé historique. Anthony Hopkins crée un séisme en décrochant la statuette du meilleur acteur au terme d'une cérémonie qui a tenté de se réinventer.

Par Constance Jamet
Publié le 26/04/2021 à 06:34, mis à jour le 26/04/2021 à 10:06

Soirée de premières fois aux Oscars. La 93e édition qui se déroulait en direct était la première grande cérémonie à avoir lieu «en présentiel» depuis le début de la pandémie. La première à tenter un changement de formule sous la houlette de son réalisateur Steven Soderbergh. En lice pour six trophées et favori de la soirée, Nomadland a surpassé toutes les attentes et a réalisé un triplé historique en remportant les statuettes de meilleure actrice, meilleure réalisation et meilleur film.

Nomadland fait entrer sa réalisatrice, la Chinoise Chloé Zhao, dans l'histoire. Elle devient la seconde femme en neuf décennies d'Oscars à recevoir le titre de meilleure réalisatrice, treize ans après l'exploit de Kathryn Bigelow pour Démineurs. Chloé Zhao est la première cinéaste de couleur et asiatique à être ainsi distinguée. Humble comme toujours, l'heureuse élue a livré un très beau discours : «Comment avancez quand les choses sont difficiles ? Je repensais à un jeu de récitation de poèmes chinois avec mon père. Un de ceux-ci dit 'les personnes à la naissance sont profondément bonnes'. C'est vrai, j'ai toujours trouvé de la bonté dans les personnes que j'ai croisées. Cette statuette est pour les gens qui croient à cette bonté. C'est vous qui m'inspirez».

Une heure et demie plus tard, elle est remontée sur scène, accompagnée de sa star et productrice Frances McDormand, pour accepter la statuette du meilleur film. «Merci aux héros de Nomadland de nous avoir enseigné la résilience la résistance et la bonté», a redit Chloé Zhao. Frances McDormand a exhorté le public à se rendre en salle voir tous les films nommés puis a hurlé comme un loup comme dans une des scènes culte du film.

Elle a été rappelée immédiatement sur le podium pour recevoir le trophée de la meilleure actrice devançant Viola Davis, Andra Day, Carey Mulligan et Vanessa Kirby. Une surprise pour certains car son dernier Oscar remonte à peu de temps en 2018. Très brève, elle a évoqué «la voix épée d'un acteur». Ce sacre pour Nomadland est un exploit. Oscarisée pour Fargo et Les panneaux de la vengeance, Frances McDormand devient la première actrice à triompher à trois reprises dans la catégorie rôle principal. Une prouesse que seule a égalée Katharine Hepburn. Productrice de Nomadland, Frances McDormand a aussi reçu une statuette au titre de meilleur film, ce qui lui en fait quatre en sa possession.

Conscients que le suspense de ce dimanche se jouait sur les sections meilleur acteur et actrice, les organisateurs ont remis ces prix en dernier. Le trophée du meilleur acteur a provoqué un séisme. Annoncé comme le vainqueur inéluctable, le défunt Chadwick Boseman, musicien habité et hanté dans le blues de Ma Rainey, a dû s'incliner face à Anthony Hopkins, père sénile dans The Father. Comme à son habitude, le Gallois de 83 ans qui devient le lauréat doyen de cette catégorie, n'était pas présent. C'est son deuxième Oscar, trois décennies après celui du meilleur second rôle dans Le Silence des Agneaux.

La diversité cantonnée aux seconds rôles

Ces surprises dans les catégories principales empêchent le grand chelem que certains attendaient sur le plan de la diversité dans les catégories interprètes. Cette poussée s'est finalement limitée aux seconds rôles avec les victoires de Daniel Kaluuya (Judas And The Black Messiah) et Youn Yuh-jung (Minari).

Daniel Kaluuya, Oscar du meilleur acteur dans un second rôle masculin. A.M.P.A.S / REUTERS

Seul lauréat parmi les acteurs qui ne faisait aucun doute, l'acteur britannique qui a prêté sa fougue dans Judas And The Black Messiah au leader des Black Panthers Fred Hampton, assassiné par le FBI en 1969, a triomphé dans la catégorie meilleur second rôle. «Merci Fred pour ta lumière, d'avoir nourri des enfants, de m'avoir montré le chemin, que la concorde, l'union nous animent quand on veut nous séparer. Merci Dieu, je ne serai pas là sans sa protection et à ma mère qui m'a tout donné, y compris la droiture. Merci à mes parents qui ont couché ensemble pour m'avoir», a-t-il conclu sous l'œil amusé et consterné de ses proches.

Surnommée la Meryl Streep sud-coréenne et grand-mère facétieuse et rustre dans Minari, récit du rêve américain d'une famille d'immigrés coréens, Yuh-Jung Youn a décroché l'Oscar du meilleur second rôle et n'était pas en reste. Comme aux Bafta, les César britanniques, où elle se moquait du snobisme des Anglais, l'heureuse élue a cabotiné en déclarant d'abord sa flamme au remettant Brad Pitt, également producteur de Minari: « Où étiez-vous pendant le tournage Brad ? C'est un honneur de vous rencontrer. Ce soir, je pardonne à tous ceux qui écorchent mon prénom. Généralement je regarde les Oscars de ma télévision, être ici seule sur scène je ne peux y croire. Je ne crois pas à la compétition. Comment je peux gagner devant Glenn Close que j'admire tant. Ce soir, j'ai un peu plus de chance que mes quatre conommées mais vous êtes merveilleuses. Cette récompense est enfin pour mes deux garçons qui m'ont toujours poussé à travailler et à sortir. Maman a bien bossé ».

Bonne soirée pour les Français

Ces Oscars ont aussi été fastes pour les talents français en lice. Nommé à six reprises, The Father (Le Père) du dramaturge français Florian Zeller a remporté la statuette de la meilleure adaptation devançant la favorite de la soirée Chloé Zhao et son Nomadland. «C'est un tel honneur», a souligné le romancier, en direct de Paris, où on lui a remis son trophée. Il a remercié son coauteur le scénariste des Liaisons dangereuses Christopher Hampton, avant de rendre hommage à son acteur principal : «J'ai écrit pour Anthony Hopkins qui est le plus grand comédien du monde. Ce n'était pas facile pour moi qui suis français comme vous l'entendez. Cela me semblait impossible mais tout est possible. Merci Anthony d'avoir rendu ce rêve possible et d'avoir donné tout au père toute ton énergie».

Nicolas Becker a remporté avec ses collaborateurs l'Oscar du meilleur son pour Sound of Metal, le poignant voyage sensoriel d'un musicien de rock metal en train de perdre l'audition. Quelques instants plus tard est montée sur scène l'équipe du court métrage Colettequi retrace le travail de mémoire effectué par une jeune historienne et une nonagénaire normande dont le frère, résistant comme elle, est mort en camp de concentration à dix-sept ans.La productrice française du documentaire Alice Doyard a dédié cette victoire aux «femmes du monde entier» avant de finir sur une pirouette «Vive la France».

Espoirs douchés pour Netflix

En lice dans les sections meilleur réalisateur et meilleur film étranger, Thomas Vinterberg a vu son ode à l'alcool Drunk couronné du second trophée. «Cela dépasse tout ce que j'imaginais sauf que j'ai toujours imaginé quand je préparais des discours dans les gares et les toilettes des écoles. C'est un film qui raconte comment il faut lâcher prise dans sa vie, comme j'ai dû le faire avec ce projet. Merci à mes producteurs de m'avoir laissé raconté comment quatre ivrognes apprennent à des jeunes à boire», a salué le Danois qui a perdu sa fille au début du tournage, «ce film devait célébrer la vie. Ma fille qui devait être dans Drunk. Elle me manque je l'adore. Ida ce film est pour toi, tu fais partie de ce miracle», a-t-il confié en réprimant ses larmes.

Chloé Zhao n'a pas été la seule réalisatrice primée. Révélation du thriller vengeur et féministe Promising Young Woman où brille Carey Mulligan, la Britannique Emerald Fennell est repartie avec le trophée du meilleur scénario. Le très philosophique Soul de Pixar décroche deux prix, celui du meilleur film d'animation et de la bade originale. Espoirs de Netflix, Mank et Le Blues de MaRainey se contentent de deux récompenses techniques chacun, comme le très immersif Sound Of MetalLes Sept de Chicago d'Aaron Sorkin est le seul favori à cinq nominations ou plus à repartir les mains vides. Malgré la fermeture des salles, Netflix devra attendre pour décrocher le titre de meilleur film et a échoué à imposer ses acteurs. Mais avec cette trophées dans son escarcelle est le studio le plus performant de la nuit

Le coup de balai de Steve Soderbergh

Sous l'égide du chef d'orchestre, Steven Soderbergh, ces Oscars ont un peu bousculé, si ce n'est dépoussiéré, leur scénographie, gagnant en souplesse. Les numéros musicaux mettant en valeur les chansons en lice ont été regroupés dans une émission séparée, diffusée avant la cérémonie. Mais le temps gagné sur cette manœuvre a été reperdu par la volubilité des lauréats, heureux de ne pas avoir à faire tenir leurs remerciements en 45 secondes. Un petit quiz musical a fait grand bruit en permettant à Glenn Close, gracieuse perdante, de montrer ses talents de rappeuse.

Cette séquence légère a précédé le clip «in memoriam» commémorant les disparus de l'année. Jean-Claude Carrière, Bertrand Tavernier et Michel Piccoli ont été cités, comme la comédienne britannique Helen McCrory, décédée la semaine dernière. En lice pour le trophée du meilleur acteur, Chadwick Boseman a clôturé le montage.

Les quelque 170 nommés, remettants et leurs accompagnateurs conviés dans la gare d'Union Station et dûment testés étaient répartis, à la bonne franquette, autour de tables façon cabaret. Les présentateurs ont exalté le pouvoir cathartique et d'inspiration du cinéma en cette année de confinement, dévoilant des anecdotes autour des nommés, l'origine de leur amour du 7e art, se demandant quels étaient leurs grigris. L'ordre des récompenses a été bousculé pour éviter le tunnel des récompenses techniques. Plus besoin d'attendre les derniers moments de la cérémonie pour connaître le nom de la meilleure réalisation, révélée très vite. De même, les catégories interprètes n'ont pas été regroupées mais dispersées au fil de la soirée.

Les allusions politiques, relative àViola Davis, Chris Evans et Mariah Carey réagissent à la condamnation de Derek Chauvin, le policier reconnu coupable du meurtre de George Floyd, étaient présentes mais plus en retrait par rapport à d'autres années. À l'image de la comédienne Regina King qui ouvrait la soirée : « Nous y sommes, quelle drôle d'année dont nous ne voyons pas encore le tunnel», s'est-elle exclamée. «On pleure tant de disparus. Si le procès de Derek Chauvin avait tourné autrement, j'aurais troqué mes talons pour des chaussures de marche. Je sais que vous zappez quand des célébrités font des harangues politiques mais je suis la mère d'un fils noir. Toutefois, nous sommes ici pour célébrer le cinéma».



Retrouvez le palmarès complet des Oscars 2021 :

Meilleur film: Nomadland

Meilleur réalisateur: Chloé Zhao pour Nomadland

Meilleure actrice: Frances McDormand pour Nomadland

Meilleur acteur: Anthony Hopkins pour The Father

Meilleure actrice dans un second rôle: Youn Yuh-Jung pour Minari

Meilleur acteur dans un second rôle: Daniel Kaluuya pour Judas and the Black Messiah

Meilleur film étranger: Drunk (Danemark)

Meilleur film d'animation: Soul

Meilleur documentaire: La sagesse de la pieuvre

Meilleur scénario original: Promising Young Woman - Emerald Fennell

Meilleur scénario adapté: The Father - Christopher Hampton et Florian Zeller

Meilleur court métrage d'animation : If Anything Happens I Love You

Meilleur court métrage documentaire : Colette - Anthony Giacchino et Alice Doyard

Meilleure photographie : Mank - Erik Messerschmidt

Meilleure chanson originale : Fight For You interprété par H.E.R - Judas et the Black Messiah

Meilleure musique de film : Soul - Trent Reznor, Atticus Ross et Jon Batiste

Meilleur son : Sound of Metal - Nicolas Becker, Jaime Baksht, Michelle Couttolenc, Carlos Cortés et Phillip Bladh

Meilleur montage : Sound of Metal - Mikkel E. G. Nielsen

Meilleurs effets visuels : Tenet - Andrew Jackson, David Lee, Andrew Lockley et Scott Fisher

Meilleure création de costumes : Le blues de Ma Rainey - Ann Roth

Meilleurs décors : Mank - Donald Graham Burt et Jan Pascale

Meilleurs maquillages et coiffures - Le Blues de Ma Rainey - Sergio Lopez-Rivera, Mia Neal et Jamika Wilson

LE FIGARO




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