mardi 19 septembre 2017

Marina Hands / Une adolescence retrouvée



Marina Hands : une adolescence retrouvée

Par Elizabeth Gouslan | Le 02 octobre 2009
Lucide et instinctive, l’actrice se livre

Elle joue Phèdre ou Lady Chatterley avec le même bonheur. DansMères et filles, élégante dissection d’une relation impossible, cette comédienne incandescente fait face à Catherine Deneuve et Marie-Josée Croze. Lucide et instinctive, Marina se livre.
L’effet Marina Hands. Longue, sculpturale, dotée d’une beauté scandinave qui aurait inspiré Ingmar Bergman ; son authenticité rayonne. C’est une fille du feu – au sens nervalien – qui doit se débarrasser de ses fantômes. Ils sont multiples : un père anglais avec lequel elle n’a pas vécu, une mère slave – l’actrice Ludmila Mikaël –, brûlante icône du théâtre français, et quelques complexes incompréhensibles en voie de guérison. À 32 ans, mademoiselle Hands affiche un C. V. d’excellence : Conservatoire, passage à la Comédie-Française, travail sur Shakespeare, Racine, Claudel, Schnitzler. Ses mentors ? Gérard Desarthe, Patrice Chéreau, Denys Arcand, Julian Schnabel. En Lady Chatterley, dénudée deux heures durant, elle décroche un César de la Meilleure Actrice en 2006 : scandaleuse et pure, surdouée et modeste, « gretagarbienne » et postmoderne.
La jeune réalisatrice Julie Lopes-Curval lui offre dans Mères et Filles,sonate d’automne pianissimo, l’un de ses plus beaux rôles. La voici donc, comédienne littéraire, flottant dans un décor rétro, égérie soudaine d’une nouvelle vague contemporaine. Avec son veston Christian Lacroix homme, ses santiags, sa dégaine de bobo de Greenwich et sa douceur pénétrante, Marina fait, lentement mais sûrement, main basse sur le cinéma…
Madame Figaro. – Vous portez cette délicate partition de la filiation mère-fille sur vos épaules. Le spectateur se sent guidé par vous, vous suscitez sa confiance…
Marina Hands. – C’est le film le plus important pour moi depuis L’Amant de lady Chatterley, de Pascale Ferran. J’adore travailler en binôme avec le metteur en scène. Je fais ce pari de suivre complètement sa ligne, ce qu’il veut et ce qu’il attend de moi, et donc je ne tombe pas toujours sur des choses qui vont m’épanouir ; mais comme je ne travaille qu’en confiance, je ne contrôle jamais rien, je ne regarde pas les rushs. Je suis dans le ressenti et j’avance comme ça.
On sent chez vous et dans vos compositions une vraie défiance vis-à-vis du narcissisme. D’où vient-elle ? De votre éducation ?
Dans mon cas, le narcissisme est plus destructeur que productif, car mon regard sur moi-même est extrêmement négatif, et je me suis rendu compte que les réalisateurs avaient une vision beaucoup plus douce et plus aimante de moi… !
À quel moment surgit-il, ce regard négatif ?
Quand il a fallu que je me définisse au moment de la crise d’identité, à partir de 16 ans. J’ai traversé des années de doute et d’errance, période de stagnation où je ne m’aimais pas. J’ai travaillé cela en thérapie, et c’est comme ça que j’ai trouvé ce métier où je me suis fuie pour mieux me retrouver par l’intermédiaire des personnages.
Fuir votre mère, Ludmila Mikaël, comédienne, et votre père, Terry Hands, metteur en scène shakespearien ?
Il y a eu une intimidation, c’est sûr. Mais quand j’ai senti que j’aimais jouer, les gens m’ont renvoyée à cette légitimité, et cela a construit ma façon de travailler, qui est toujours en rapport avec un autre. Peu à peu, je me suis dit : ah bon, alors je peux, alors j’ai le droit.

« Je n’avais pas le droit d’être médiocre »



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Le terrain maternel est tabou, en somme. Nous sommes là au cœur du film…
Oui, mais c’était complètement malgré elle, parce que s’il y a bien quelqu’un qui m’a toujours poussée dans cette voie, c’est ma mère. Moi, je me disais que je n’avais pas le droit d’embrasser cette profession et, en tout cas, pas celui d’être médiocre.
Dans Mères et Filles, il existe une violente opposition entre Audrey (que vous jouez) et Martine, sa mère, qu’interprète Catherine Deneuve…
À vrai dire, le caractère de cette mère-là est vraiment à l’opposé de la personnalité de ma propre mère.
Comment résumez-vous le personnage de Catherine Deneuve, femme traumatisée qui ne s’autorise pas à se réaliser en tant que mère de sa fille ?
Il y a chez elle une forme de distance qui peut s’apparenter à de la dureté et à une autorité, et qui crée ce problème de communication entre les deux. Audrey va casser la barrière, pour reconstruire leurs rapports sur des bases saines.
Aucune ressemblance, donc, avec votre propre histoire ?
Ma mère est complètement à l’écoute, cool, proche. Le point violent et difficile à gérer dans ma vie, c’était mon père. Ma mère est fusionnelle, elle. Ce ne sont pas nos rapports qui ont résonné en moi dans le scénario, c’est plus la transmission féminine entre générations. Ma grand-mère dans le film ressemble à ma grand-mère dans la vie. C’est une femme qui a été adoptée, et beaucoup de choses qui la constituent se retrouvent chez ma mère et chez moi. Du coup, je peux ressentir l’abandon ou l’affirmation de m’exprimer, d’exister.
Il y a dans le film une scène de tête-à-tête d’une dureté extrême entre Catherine Deneuve et vous. Les non-dits volent en éclats.
C’est bien écrit, n’est-ce pas ? Julie a choisi des actrices qui avaient toutes un rapport secret avec ce scénario. Je voyais ça dans les scènes avec Catherine et aussi avec Marie-Josée Croze (qui joue ma grand-mère, jeune, en flash-back). On avait toutes envie de travailler sur cette histoire et de réfléchir à nos propres relations mère-fille.
L’ombre de Chiara Mastroianni s’est-elle glissée dans l’aventure ?
Non, à aucun moment. D’ailleurs, je ne la connais pas. Je pense qu’il eût été impossible pour Catherine de jouer son rôle de mère avec sa propre fille. Le jeu entre enfants et parents est trop impudique.

« Catherine Deneuve n’est pas distante, elle est dans l’instant »



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Aviez-vous avec Catherine Deneuve des rapports de mère et de fille sur le tournage ?
Absolument pas. Par ailleurs, Catherine n’est pas distante, elle est dans l’instant, attentive aux autres, elle observe, elle est gourmande des gens et des personnalités. Et, en même temps, j’étais contente qu’elle ne ressemble pas à son personnage. Cela établissait une confiance entre nous. Il y avait un vrai plaisir du jeu, on libérait des choses sans qu’il y ait trop d’intensité dans nos rapports. Avec les personnalités en présence sur le plateau, on aurait pu basculer dans une grande noirceur.
Votre personnage, Audrey, enceinte, dit qu’elle n’aime que son travail de designer, qu’elle est trop affreusement égoïste pour être mère. Vous êtes-vous reconnue en elle ?
Oui, complètement, et beaucoup de copines, et ma mère aussi. C’est vrai que c’est tabou, même pour une fille de 30 ans aujourd’hui, mais, dans mon milieu, le milieu artistique, toutes ces aberrations sont normales et intégrées.
Un milieu d’égoïstes ?
D’égoïstes et de « défectueux » assumés ! On n’est pas dupes de nos défauts à nos âges, et on assume failles et contradictions. C’est ce que j’adore dans ce métier : l’antihéroïsme et la tolérance sont une bouffée d’oxygène. La singularité de chacun devient une mine d’or à explorer.
Audrey, vêtue sportswear, jamais maquillée, archidéterminée, vous ressemble-t-elle ?
Un peu. Je me suis amusée de certaines choses que j’ai enfin dépassées mais dans lesquelles je me suis longtemps empêtrée. Ces chemises larges, ces pantalons informes et l’absence absolue de coquetterie. J’étais ainsi : je souhaitais exister pour ce que j’avais dans la tête et pas pour mon apparence, je désirais sortir de l’image de l’objet sexuel, féminin. J’ai eu envie dans ma vie de contrer ça de façon extrême de 18 à 25 ans. Pas question d’être à la mode ; tout ce qui comptait, c’était l’intériorité. En fait, je rejetais l’être visible, je ne voulais pas que l’extérieur raconte quoi que ce soit.
C’était une négation de votre séduction ?
Oui, ou alors un orgueil suprême. J’avais besoin de jouer avec les codes. Tous les clichés sur ce qu’est la féminité, nier la part de masculinité chez la femme, la taxer de dominatrice dès qu’elle travaille, tout cela m’énerve terriblement. L’être humain possède deux pôles : féminin et masculin confondus. Mais c’est fini, j’ai dépassé ça en douceur. C’était un combat personnel.
Et maintenant ?
J’ai retrouvé mon adolescence, je suis retournée en arrière, je mets plus d’insouciance, plus de jeu dans les apparences. Je m’habille casual ou vamp : un fourreau noir, des robes courtes, longues, des souliers Christian Louboutin, des Jimmy Choo. Je raffole toujours des tailleurs-pantalons, des silhouettes androgynes. J’aime le mélange. Les hommes, d’ailleurs, devraient s’habiller davantage chez les femmes – Jean Paul Gaultier fait ça magnifiquement. J’adore quand, l’été, les hommes portent des paréos. Je trouve cela hypersexué, plus sexy que d’être juste le type dans son costard Hugo Boss et la fille en minirobe avec bijoux et paillettes !
De quoi vous méfiez-vous le plus chez vous ?
De ma douceur. Cette douceur peut me faire dire oui quand je veux dire non !

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