Les Pouilles de Paolo Giordano : secte, sexe and sun
Trois garçons, une fille, beaucoup de possibilités. Avec « Dévorer le ciel », Paolo Giordano signe un roman incandescent au cœur des Pouilles.
Publié le 28/10/2019 à 11:40 | Le Point.fr
Il avait déboulé sur la scène littéraire à grand fracas, et une aura de petit génie. C'était en 2008, et Paolo Giordano, 26 ans et docteur en physique, venait de signer La Solitude des nombres premiers. Un roman singulier, poétique et doux autour de deux êtres blessés, incapables de communiquer avec le monde, qui mettent des années à se frôler et se chercher. Vendu à deux millions d'exemplaires en Italie, traduit en une trentaine de langues, il obtient le prix Strega (l'équivalent du Goncourt italien), qui n'était jamais allé à un auteur aussi jeune. « Cela m'a obligé à modifier l'image très définitive que je m'étais faite de moi-même, raconte-t-il aujourd'hui non sans nostalgie. J'étais persuadé que je vivrais une vie de chercheur, très monacale. Mais je me suis consacré à l'écriture, et j'ai dû beaucoup parler, moi qui étais très timide… »
Toutes nos vies sont un peu des paradis perdus
Une décennie plus tard, Dévorer le ciel, son quatrième roman, confirme avec éclat tous les espoirs qui avaient été placés en lui. Teresa, la narratrice, passe l'été chez sa grand-mère, dans les Pouilles. Dans la maison d'à côté vit une tribu hétéroclite : Cesare, sa femme, et les trois jeunes garçons qu'ils élèvent (dont l'un seulement est leur fils biologique). Dans une ambiance presque sectaire : Cesare s'est bricolé une religion, mêlant christianisme austère, proximité avec la nature, et foi en la réincarnation de tout être. Dans le somptueux décor des Pouilles, les enfants grandissent dans un mélange explosif de culpabilité et de désir d'exploration. « Toutes nos vies sont un peu des paradis perdus, celui de l'enfance », estime Giordano.
Entre Teresa et les garçons, la fascination s'installe. Au sein du quatuor, se nouent des liens mi-fraternels, mi-amoureux, qui se redessinent au fil des étés et des deux décennies qui suivent, entre séduction, trahisons, voire tragédie. Paolo explore la façon dont les brûlures et les passions de l'extrême jeunesse forgent un destin. « L'adolescence ne se termine jamais ! analyse-t-il. Pour moi, ce n'est pas seulement un âge de la vie, c'est aussi cette énergie qui te permet de vivre les choses pour la première fois, ce mélange de pureté, d'inconscience et de désir. » Il se glisse avec grâce dans la voix de sa jeune héroïne, et raconte l'éveil des sens avec une grande délicatesse – jusque dans une scène de sexe à plusieurs.
Comment une idée lumineuse devient-elle fanatisme, et violence ?
Enfants de leur temps, ses personnages se débattent avec un monde où ils peinent à trouver leur place. « Les jeunes se sentent inutiles aujourd'hui, et c'est un crime. Le roman parle de cette difficulté à laisser une empreinte sur le monde à cet âge. » Chacun va se chercher un idéal à sa mesure. Puisque les grandes utopies sont mortes, ne reste alors qu'à se chercher de nouvelles causes. « On a perdu l'espoir de changer le monde entier, on essaie de faire la différence dans un lieu plus réduit. » Dont les Pouilles, riches de ses oliviers centenaires, qui deviennent dans le roman le lieu de revendications écologistes. Mais tout combat, même le plus noble, peut virer du côté obscur. « Je n'ai jamais beaucoup cru aux utopies mais elles me fascinent, comme me fascinent tous ceux qui sont animés par de grandes idées de pureté, d'ordre, raconte Giordano… Comment une idée lumineuse devient-elle fanatisme, et violence ? » Pas de paradis perdu sans violence de la chute.
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