mardi 29 juin 2021

"Elle" de Paul Verhoeven fait-il l’apologie du viol ?


 


"Elle" de Paul Verhoeven fait-il l’apologie du viol ?

Yannick VelyParis Match ||Mis à jour le 


Présenté en compétition au dernier Festival de Cannes et dans les salles françaises depuis le 25 mai dernier, le nouveau film du réalisateur de «Basic Instinct» provoque la polémique.

Attention, la suite du texte comporte de nombreux spoilers sur le film

Le cinéaste néerlandais Paul Verhoeven a toujours secoué les consciences. De ses premiers films réalisés aux Pays-Bas (notamment «Spetters», qui ressort en DVD le 8 juin) au film de science-fiction «Starship Troopers», considéré par certains critiques américains aveugles au second degré, comme un film de propagande nazie, le réalisateur de «Total Recall» a toujours alimenté le feu de la polémique. Son dernier long métrage, «Elle», adaptation du roman «Oh…» de Philippe Djian, n’échappe pas à la controverse. Alors que l’on aurait pu imaginer les ligues catholiques hurler contre la vision des nouveaux fidèles, trader le jour, violeur la nuit, ce sont certaines féministes qui sont montées au créneau pour dénoncer un film qui surferait «sur la vague malheureusement bien connue de la culture du viol», pour reprendre le début de l’argumentaire de Delphine Aslan. Co-porte-parole et cofondatrice de FièrEs, association féministe portée par des lesbiennes, des biEs et/ou trans, cette dernière, dans une tribune rédigée collectivement par les militantEs de FièrEs, fustige le film et sa réception critique dans un long texte intitulé «"Elle" fait bander les critiques ; il est à gerber.» Elle explique ainsi avoir vu un film «qui se donne des airs de film profond, un film qui assume son sexisme, un film qui légitime la culture du viol. Cette légitimation ne passe pas uniquement par le traitement des viols de l'héroïne et de sa relation à son violeur.»

Delphine Aslan donne ensuite sa définition du «thriller féministe», qualificatif donné au film par des critiques lors de sa présentation à Cannes. «Vous voulez savoir ce qu'est un thriller féministe ? Ce serait un film où l'héroïne poursuit son violeur, le retrouve, découvre qui il est, l'émascule, le défigure, le fait enfermer ou se venge d'une manière ou d'une autre.» Dernier point intéressant, car c’est précisément ce que filme Paul Verhoeven dans «Elle», en tout cas ce que nous y avons vu, une «vengeance» contre la société patriarcale, l’émancipation d’une femme de son passé et de son entourage masculin – de son père, de son ex-mari, de son amant et même de son fils qui devra quitter ses jupons pour ceux d’une autre. Aussi, son violeur sera ridiculisé, émasculé symboliquement vu qu’elle devient la maîtresse du jeu puis «puni» par le scénario. La dernière scène du film offre d'ailleurs une clé de lecture : Michèle Leblanc (Isabelle Huppert) et Anna (Anne Consigny) se retrouvent et envisagent une vie à deux, entre femmes.

Pour Verhoeven, il faut montrer l'arme du crime

La tribune de Delphine Aslan appuie néanmoins là où cela fait mal, dans la réception par le public masculin d’une scène d’agression sexuelle. On se souvient de la polémique qui a suivi la sortie en salles d’«Irréversible» de Gaspar Noé et sa longue et horrible scène de viol, qui, plus de dix ans après, se retrouve sur les sites de vidéos pornographiques. Mais c’est justement ça, aussi, qu’interroge Paul Verhoeven par son cinéma, nous poussant à ne pas détourner le regard. Dans «Au jardin des délices», livre d’entretiens paru aux éditions Rouge Profond, le cinéaste explique, après avoir déclaré que «l’égalité des sexes n’était encore qu’une utopie », pourquoi il filme l’acte de la manière la plus réaliste possible : « Le viol n’est rien de plus qu’une expression de violence. Or, si le viol est filmé de manière elliptique, il devient impossible de montrer "l’arme du crime" ! (…) Filmer le mal trop souvent tu, c’est entrer dans une forme de résistance.» A de nombreuses reprises, dans sa filmographie, le Néerlandais a filmé des femmes fortes qui prenaient le contrôle de leur vie par leur sexualité, de «La Chair et le sang» à «Blackbook». L'accuser de vouloir surfer sur la culture du viol est méconnaître sa filmographie, ne pas prendre en compte qu'il joue consciemment du malaise que ces images provoquent depuis plus de trente ans.

PARIS MATCH



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