Virginie Efira : "Je serais partante pour refaire un enfant"
Interview Ghislain Loustalot
Dans le prochain Verhoeven, l’actrice franco-belge incarne une nonne lesbienne. Scandale garanti. Elle se confie à Paris Match.
Paris Match. En à peine douze ans, vous avez tourné dans 25 films et pourtant le doute était présent. Depuis quand vous sentez-vous enfin légitime ?
Virginie Efira. Sur certains tournages de comédies, j’allais à la cantine en me disant : “Il faut que tu sois drôle pendant le déjeuner. Assure…” Mais je ne sais pas faire ça. Pour des rendez-vous avec des metteurs en scène, j’ai voulu paraître intelligente, le meilleur moyen de ne pas l’être. Ça paralyse, surtout pour quelqu’un qui n’est pas forcément à l’aise en groupe. Le film “Victoria”, présenté à Cannes en 2016, a été un déclic intime. J’étais enfin en accord avec moi-même. Je ne me suis plus sentie ni inférieure ni supérieure aux autres. Je n’ai plus éprouvé cette forme de honte ou de gêne liée à leur jugement.
Quand on évoque certaines comédies, vous dites : “Je n’aime pas le côté ‘j’enlève mon cerveau’.” Vous en avez beaucoup refusé ?
Je suis fan de celles de Frank Capra ou de James L. Brooks. J’aime cette sensibilité qui est juste, émouvante et raconte une part de notre existence. J’ai refusé quelques films, peut-être même en ai-je accepté, de ceux qui enfoncent les portes ouvertes, obéissent, par exemple, aux stéréotypes du couple normé : l’homme forcément infidèle, la femme pilier de la famille refuge. Mais, bon Dieu, qui a envie de défendre des trucs pareils ?
On vous voit de plus en plus dans des drames. Est-ce un choix ?
Finalement, c’est doux de jouer des rôles si durs. J’avais depuis toujours ce fantasme d’oubli de soi. On peut parler d’abandon, de lâcher-prise qu’il me semble plus compliqué à trouver dans le rythme des comédies. Je ressens chez moi une évolution. Je grandis, j’ai de plus en plus de désirs.
Il y a six ans, alors que vous étiez enceinte d’Ali, vous disiez : “J’ai une forme de mélancolie et ce qui m’intéresse c’est de jouer avec elle, avec l’intime.” Dont acte. D’où vient cette mélancolie ?
De l’idée très triste que rien ne dure, y compris les plus belles choses, que tout passe et a une fin. Il y a aussi l’idéal amoureux auquel on n’a pas forcément accédé, les chemins de vie qu’on n’a pas pris. Mais tout cela crée également l’élan vital. Moi, j’essaie trop de tout comprendre, je suis cérébrale, voire un peu chiante. Et puis, même si je n’ai pas connu la souffrance, j’ai quelques atomes crochus avec elle.
Vous êtes présentée comme l’une des stars de 2019. Est-ce à cause du film très attendu de Paul Verhoeven dans lequel vous incarnez Benedetta Carlini, une religieuse homosexuelle du XVIIe siècle ?
Je n’ai aucun doute sur le fait que le film, tiré d’une histoire vraie, aura un impact conséquent. Il traite d’un tabou ultime dans l’Eglise. Du procès fait à une femme à cause de son homosexualité. Paul Verhoeven l’a écrit pour moi. Au début je n’y ai pas cru. En lisant le scénario, je m’arrêtais toutes les trois pages, je n’en revenais pas. J’ai tourné plus de douze semaines. Je n’ai jamais joué de partition aussi spéciale, je ne m’étais jamais vue ainsi. Cela a été une expérience marquante. J’aurai vécu ça.
Je sais que ce film va déranger, remuer là où c’est compliqué. Il touche à la sexualité et au sacré
Scandale assuré à la sortie ?
C’est un film de Verhoeven, donc forcément sulfureux. Scandale ? Le mot est daté. Tout est scandale, plus rien ne l’est. Je sais que ce film va déranger, remuer là où c’est compliqué. Il touche à la sexualité et au sacré.
Avant “papa” ou “maman”, votre fille Ali a apparemment su dire “au revoir”. Parce que vous partiez beaucoup en tournage ?
Non, puisque je l’ai toujours emmenée avec moi. Pendant le tournage de “Benedetta”, dans le sud de la France, elle était à l’école, tout près. Si elle a su dire “au revoir” très vite, c’est peut-être qu’elle a senti vers quoi je la porte. L’idée qu’elle soit autonome et heureuse, seule, m’a toujours beaucoup importé. Ne pas avoir peur de dire “au revoir”, avoir confiance en soi, aller vers l’autre, s’adapter, rester ouverte au monde, c’est le plus grand service que je puisse lui rendre.
Est-ce qu’elle a déjà, à un peu moins de 6 ans, une perception de ce qu’est le cinéma, de votre métier ?
Plus jeune, quand elle venait sur les plateaux et qu’elle me voyait avec des acteurs enfants, elle me disait : “Et pourquoi je ne suis pas dans l’histoire, moi ? Je suis ta vraie fille.” Elle sait maintenant comment se déroule un tournage, elle voit que c’est parfois très répétitif. Avec la notoriété, cela a été moins simple. Elle ne comprenait pas pourquoi les gens me disaient bonjour dans la rue. J’ai eu une petite frayeur quand elle m’a lancé, il y a un an : “Mais tu es connue ! Et moi je suis connue aussi ?” Je lui ai expliqué que ce n’était pas forcément intéressant de l’être mais bien plus important d’exercer un métier qu’on aime.
Si j’ai une bonne critique, je l'envoyer à mon père comme si j’envoyais encore mon bulletin de notes
Faites-vous déjà son éducation cinématographique ?
Nous voyons beaucoup de films, ce sont autant de terrains de discussions. Nous avons regardé la plupart des chefs-d’œuvre de l’animation japonaise que j’adore. Mais aussi “Tootsie” ou des comédies américaines des années 1980 et 1990 comme “Big”, avec Tom Hanks. Le “Roméo + Juliette” de Baz Luhrmann est son film préféré en ce moment. C’est un peu violent mais, étant habituée à voir des effets spéciaux sur les tournages, elle sait ce qui est faux. J’explique aussi, je dédramatise.
Vous lui transmettez, on imagine, ce que vos parents vous ont appris. Eux, que pensent-ils de votre évolution ?
Ma mère, qui s’est remariée il y a deux semaines, n’est pas très objective me concernant. Récemment, en allant au cinéma, elle n’a pas pu s’empêcher de dire à la caisse : “Ma fille a deux films à l’affiche.” Mais, comme elle est un peu typée, ils lui ont répondu : “Ah, vous êtes la maman de Leïla Bekhti.” Blague à part, elle est très attentive et sensible aux choix de films un peu plus profonds que je fais. Mon père est très pudique. Il ne me le dira jamais, mais quand il découvre un article sur moi, il le lit à toute la famille. Il voit le chemin parcouru. Si j’ai une bonne critique, je peux la lui envoyer comme si j’envoyais encore mon bulletin de notes. Parvient-on un jour à se détacher du regard de ses parents ?
Etes-vous aujourd’hui une femme heureuse, épanouie, amoureuse ?
Oui, oui et oui.
Le mariage, jee ne suis ni pour ni contre. Ce n’est pas une obsession
Dans “Un amour impossible” de Catherine Corsini et bientôt dans “Sibyl” de Justine Triet, Niels Schneider joue votre amoureux. Dans la vie aussi apparemment…
Je suis désolée, mais ça ne vous regarde pas.
Vous avez déjà été mariée. Pourriez-vous retenter l’aventure ?
Je ne suis ni pour ni contre. Ce n’est pas une obsession, pas un fantasme pour moi. En revanche, j’aime l’idée d’engagement total, de liens forts. Je serais partante pour refaire un enfant, par exemple.
Aujourd’hui, vous avez, semble-t-il, minci. Vous êtes plus belle que jamais. C’est l’amour ?
Ça vient des rôles, en réalité. Quand j’ai tourné “Un amour impossible”, il y avait des scènes de nu et je me suis rendu compte de quelques blocages, comme si je ne me sentais pas libre de faire ce que je voulais avec mon corps. Sachant ce qui m’attendait avec Verhoeven, je me suis mise à faire du sport, j’ai perdu un peu de poids pour me sentir à l’aise, libre et totalement disponible. Bon, je ne suis pas tombée dans l’anorexie non plus.
Un prof vous a demandé un jour si vous vouliez faire du peep show. Avez-vous été victime, par la suite, de comportements déplacés de la part d’hommes détenant le pouvoir ?
J’avais 15 ans à l’époque de cette vanne déplacée et le pire c’est que j’en ai ri. Aujourd’hui, ce genre de plaisanterie devient plus compliqué à faire. Mais la pression existe, a toujours existé. J’y ai échappé parce que je suis arrivé tard, à 30 ans, dans le cinéma. Mais j’ai eu de nombreux témoignages d’actrices qui m’ont raconté ce qui leur était arrivé plus jeunes, quand elles étaient en demande et que le pouvoir des hommes avait tout loisir de s’exercer sur elles. J’ai été sidérée.
Je ne suis pas une révolutionnaire mais il y a des limites de décence à respecter
Pourquoi avoir demandé la nationalité française il y a deux ans ?
Pour pouvoir voter dans le pays où je vis, où je travaille et où je paie mes impôts. Mais j’ai pu garder la nationalité belge.
Etre française, dans ce pays où rien n’est simple, ça vous plaît ?
Vous connaissez un pays où tout est simple ? Passez-moi l’expression, c’est un peu la merde partout... Moi, ça me plaît d’être aussi française. Ici, les oppositions et le débat politique sont omniprésents et ça m’intéresse. L’époque dans laquelle on vit n’est pas que désespérante, elle est riche aussi. Un monde est en train de disparaître, tandis qu’un autre tarde à émerger. Dans cet interstice naissent des rêves, mais aussi des monstres.
Certains acteurs ont soutenu les gilets jaunes…
Oui, et toute la classe politique a essayé de les récupérer. Classique. Une fois, je suis allée manifester avec les intermittents du spectacle et on m’a prise pour une Martienne. Je peux être solidaire, même si je ne rencontre pas les mêmes problèmes. Est-ce que je peux les comprendre totalement ? Peut-être pas, même si j’ai vécu longtemps avec 1 200 euros par mois et quelques crédits à rembourser… Mais j’essaie. Je sais qu’il y a une trop grande différence entre les plus défavorisés et les plus riches. Je ne suis pas une révolutionnaire, je ne bouleverse rien, je suis à l’intérieur du système. Mais il y a des limites de décence à respecter. Un jour, ma fiscaliste m’a dit qu’elle était embêtée parce que j’allais devoir payer plus d’impôts, comme si elle pensait que mon but était d’en payer moins. J’ai trouvé cela totalement choquant.
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