Virginie Efira |
Virginie Efira : "Tant que j’avais honte de moi et de mon histoire, ça ne marchait pas"
Divine dans Benedetta, de Paul Verhoeven le film sulfureux très attendu à Cannes, l’actrice démontre une nouvelle fois sa puissance de jeu et son culot. En nonne lesbienne du XVIIe siècle, elle sème magistralement le trouble. Rencontre avec une âme généreuse.
• Le 24 juin 2021
Une rencontre passionnante pour un film qui ne l'est pas moins. À l’ère des exercices promotionnels s’apparentant parfois à des speed datings en palace, Virginie Efira nous donne rendez-vous chez elle, dans l’Est parisien. La conversation n’est pas minutée, elle préfère échanger, prendre le temps de la réflexion. Lequel n’est pas superflu pour aborder Benedetta, thriller clérico-érotico-féministe de Paul Verhoeven, en compétition cette année à Cannes.
La comédienne y prend le voile d’une nonne italienne du XVIIe siècle qui, sur le point d’être béatifiée suite à un supposé miracle, découvre les plaisirs de la chair avec une novice du couvent. Évidemment transgressif, malicieusement hérétique, parfois grand-guignolesque (quand Jésus entre dans la danse) et surtout politique, le corps de la femme se métamorphosant ici en arme de destruction dans une société d’hommes, d’interdits et d’hypocrisie.
Malgré des films récents s’affranchissant des codes (Victoria, Adieu les cons …), l’actrice et égérie Cartier ne s’était jamais autant mise en danger : la partition est charnelle, jusqu’au-boutiste, ambivalente. Elle l’embrasse de tout son être. Son visage de madone pleine de grâce (on comprend pourquoi Verhoeven l’a choisie) s’éclaire à la moindre évocation de ce qu’elle considère comme un chef-d’œuvre. Passionnée. Passionnante. Intarissable. Jusqu’à ce que son amoureux, l’acteur Niels Schneider, rentre à l’improviste de sa balade. «Je ne vais plus savoir parler, alors…» Il en faudrait bien plus pour brider sa nature généreuse qui, depuis toujours, transpire dans ses choix. Rares sont les comédiennes à donner autant, face caméra comme en coulisses.
Audace
«Avant même de lire le scénario, je savais que je ferais Benedetta : Paul Verhoeven, quand même ! Non seulement je gardais un excellent souvenir de mes quelques jours de tournage d'Elle, mais c’est aussi un cinéaste dont j’admire depuis toujours l’énergie et la créativité. Comme un Billy Wilder, il a intégré un système et a su le démonter de l’intérieur, souvent avec humour. Il agrandit les horizons du spectateur sur le plan idéologique, esthétique, psychologique en questionnant les institutions qui croient détenir la vérité, et en révélant la part sombre et impulsive en chacun de nous. Benedetta s’attaque à de nombreux tabous, notamment l’idée d’une foi compatible avec une sexualité. Cela en chiffonnera certains, mais, à 83 ans, Paul n’a peur de rien.»
Polémique
«Jusqu'ici, je n'ai pas tourné de choses tranchantes ou fait preuve d’une parole clivante… Je suis assez consensuelle. Ce film, lui, ne l’est pas. Mais à 40 ans, il est plus facile qu’à 20 d’accepter qu’on ne plaira pas à tout le monde. Et même si choquer le bourgeois ne m’intéresse pas - c’est franchement ringard -, je suis nostalgique d’une époque où l’on ne cherchait pas l’uniformisation du goût et de la pensée. Serai-je assez armée pour me défendre s’il y a une petite part d’agressivité à mon encontre à la sortie ? Je ne sais pas. Mais peu importe. Ce film, je le comprends et je me sentirais beaucoup plus mal d’avoir tourné un truc populaire qui véhicule une pensée dégueulasse. Ça m’est arrivé, et je ne le veux plus.»
Spiritualité
«Benedetta n'est pas une critique stérile de la foi mais pose un regard pertinent sur l’institution et son rapport à la femme, à l’enfermement… Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse et, quand j’essaie de définir ma spiritualité, je me trouve absurde, comme quelqu’un qui citerait Spinoza sans l’avoir lu. Mais la notion de foi m’intéresse plus que celle de dogme. Je crois en une forme d’élévation qui n’est pas concentrée sur une figure unique.»
Nudité
«On ne me prendra jamais ce que je n’ai pas envie de donner. Je sais où je place ma pudeur. Par exemple, embrasser quelqu’un dans un film me semble plus intime qu’être nue. Au début de ma carrière, je traversais quasiment une faille spatiotemporelle pour les scènes de baiser… Chez Paul Verhoeven, il y a non seulement une extrême bienveillance, mais aussi une réflexion passionnante sur le pouvoir du corps des femmes, leur désir, leur plaisir. Nous nous réapproprions enfin ce territoire autrefois dévolu aux hommes, et Paul l’a toujours très bien raconté. Benedetta devient la maîtresse du monde en accédant à la jouissance, et à travers elle survient une question passionnante : si la femme détenait le pouvoir, en ferait-elle bon usage ? Ne se croirait-elle pas elle aussi investie d’une forme d’impunité ?»
«Je me suis longtemps trouvée trop solide, trop grosse, mais le point de vue de Justine Triet dans Victoria m’a aidée à m’affranchir de ce complexe… Par ailleurs, la beauté au cinéma n’est pas la beauté de la mode. Elle doit s’émanciper des codes marketing et donner à voir des corps différents. Cela dit, je n’ai pas toujours été à la hauteur de cette idée que je revendique, politiquement et charnellement. J’ai travaillé mon physique avant des tournages pour correspondre à une norme et ne pas être trop encombrée par moi-même.»
Évolution
«J’ai toujours travaillé avec l’idée du présent. À l’époque de Nouvelle Star, je savais très bien que Desplechin ou Verhoeven ne m’attendraient pas à la réception de M6. Je n’y voyais aucune injustice. J’essayais de prendre le meilleur des fictions télé qu’on me proposait, et, petit à petit, le cinéma est arrivé : j’avais le visage rond et un capital sympathie qu’on jugeait adéquat dans des comédies romantiques. C’était mon emploi, je ne résistais pas, mais, dans ce rôle qui m’était assigné, j’essayais d’être en phase avec ce que je suis. Sans ces premiers films et sans mon passage dans l’émission Rendez-vous en terre inconnue où elle m’avait vue, Justine Triet n’aurait peut-être pas pensé à moi pour Victoria… Avec le recul, j’ai compris ceci : tant que j’avais honte de moi et de mon histoire, tant que je traînais mon complexe intellectuel, ça ne marchait pas. Tout a changé quand j’ai réalisé que mon parcours créait une identité, mais que cette identité n’était pas figée.»
Cannes
«Ce festival signifiait tellement pour moi quand j’en étais loin. J’y suis d’abord venue avec les moyens du bord, pour chercher des financements pour un film belge, tout en essayant vainement de m’incruster en soirée… C’était l’inaccessible jusqu’à Victoria. Des artistes que j’admirais ou des plumes que je lisais allaient commenter notre travail dans un cadre qui, déjà, lui donnait une certaine aura… Aujourd’hui, je n’ai évidemment plus le regard plein d’étoiles de la petite fille de 6 ans qui rêvait de cinéma, j’y mets plus de distance, mais je profite de l’honneur qui nous est fait avec Benedetta. Ce film, c’est le chef-d’œuvre d’un artiste libre qui n’a plus rien à perdre et qui ose tout, au risque de déplaire. La réception du film sera un spectacle en soi, et Cannes lui donne une exposition à la hauteur de son ambition et de son génie.»
Avenir
«J’adore jouer et me raconter mon propre film à l’intérieur du film d’un autre. J’ai récemment tourné pour Régis Roinsard (En attendant Bojangles), Guillaume Canet (Lui), Serge Bozon (Don Juan) et Rebecca Zlotowski (Les Enfants des autres), et j’ai conscience de ma chance. Cependant, l’attaque psychologique généralisée pendant le confinement m’a mise face à ma médiocrité. Je voulais écrire et, évidemment, je ne l’ai pas fait… Face au rien, je n’étais rien. Totalement dépendante des autres. Ça ne peut pas durer. Car, dans quinze ans, qui sait si l’on voudra encore de moi pour jouer ? En France, les actrices sont sans doute mieux loties qu’ailleurs, et j’ai attendu 40 ans pour avoir des rôles vraiment intéressants, mais seuls quelques noms tirent leur épingle du jeu après 50 ans. Les choses évoluent, mais mieux vaut être moteur et prendre son destin en main. Je réfléchis à la production peut-être d’une série.
Virginie Efira porte un body Alexandre Vauthier, un collier Ligne Tennis en platine et diamants, Cartier, des escarpins Christian Louboutin.
Réalisation Cécile Martin. Coiffure Rudy Marmet. Maquillage Khela. Manucure Nelly Ferreira.
Philip Gay |
Maternité
«Ma fille entre-t-elle en ligne de compte dans mes choix d’actrice ? Jamais et toujours. Cela me chagrinerait qu’on l’embête à cause de mes films, mais je ne peux pas accepter que des rôles accessibles à un enfant de 8 ans ! Et puis je n’adhère pas à l’idée d’une maternité sacrificielle, réductrice. En revanche, devenir mère a précisé mon désir d’actrice : qu’est-ce que je veux lui raconter en tant que femme et individu ? Comment lui inculquer des principes si je ne me les applique pas ? Dans le futur, je ne souhaite pas qu’elle agisse pour me plaire. Aussi, je dois lui montrer l’exemple et assumer mes envies. Ce que j’espère lui transmettre, ce sont ces valeurs : la liberté d’expression, l’affirmation de soi, l’acceptation de son corps… Et je considère mes rôles comme un témoignage de ma personnalité et de mes convictions.»
Benedetta, de Paul Verhoeven. Sortie le 9 juillet.
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