samedi 1 mars 2014

Mort de la nouvelliste canadienne Mavis Gallant

Mavis Gallant

Mort de la nouvelliste canadienne Mavis Gallant


Le Monde.fr | |Par Josyane Savigneau

La nouvelliste canadienne Mavis Gallant est morte le 18 février à son domicile parisien. Elle était âgée de 91 ans.





C'est l'une des plus grandes nouvellistes de langue anglaise, publiée pendant plus de quarante ans par le New Yorker - une centaine de nouvelles, à partir de 1951. Mais elle n'a jamais eu en France, où pourtant elle vivait depuis cette même année 1951, la reconnaissance qu'elle méritait. Elle n'a été traduite pour la première fois qu'en 1988 (Rue de Lille, éd. DeuxTemps/Tierce) – une dizaine de titres suivront dont plusieurs sont disponibles en poche (« Folio », Gallimard). Extrêmement discrète, peu sociable, elle n'avait pas non plus cherché à être publiée. Selon elle,« les Français ne savent pas lire les nouvelles car ils les abordent comme les chapitres d'un roman. » Le peu d'écho qu'ont en effet en France les nouvellistes semble lui donner raison, même si on peut espérer que le prix Nobel attribué en 2013 à Alice Munro, elle aussi canadienne et nouvelliste, amène plus de lecteurs à découvrir ce genre littéraire.

LA DISTANCE NÉCESSAIRE

Elle était née Mavis de Trafford Young, le 11 août 1922, d'un père britannique et d'une mère américaine. Bien que protestants, ses parents l'envoyèrent dans une pension catholique et francophone dès l'âge de 4 ans. Quand son père mourut, elle avait 10 ans, sa mère était déjà sur le point de se marier avec un autre homme. On lui avait caché la mort du père. Elle qui répugnait à se confier disait toutefois qu'elle avait longtemps attendu qu'il vienne la chercher.

Après ses études elle commence à Montréal une carrière de journaliste et se marie avec John Gallant, dont elle gardera le nom. Elle divorce très vite et se promet de refuser désormais mariage et enfants. Elle tiendra parole. Quand leNew Yorker accepte sa première nouvelle, elle décide de partir pour l'Europe et de se consacrer à l'écriture. Après un passage par Venise, Budapest et Dubrovnik, elle s'installe à Paris, où elle restera jusqu'à sa mort.

Il suffit de la lire pour savoir qu'elle a mis depuis longtemps, entre elle et la sottise du monde, la distance nécessaire à l'écriture et à la vie. Précision, délicatesse, ironie, minutie... Toute l'étrangeté d'une situation en quelques mots ; un portrait en peu de traits et de gestes ; un groupe humain, l'état d'une société, une vie de couple en un paragraphe. Mavis Gallant n'aimait pas qu'on la voie comme une exilée, une personne déplacée, Mais, comme souvent ses personnages, elle est entre deux mondes, entre deux manières de penser, de parler, d'écrire. En écoutant son français parfait, avec une pointe d'accent indéfinissable, en entendant le balancement de ses phrases, le choix du mot le plus juste, le plus aigu, on se demandait comment elle avait fait pour « protéger » son anglais, la pureté de sa syntaxe, qui demeure intacte.

ON «NE CHOISIT PAS» SA LANGUE D'ÉCRITURE

Elle s'en est expliquée dans un beau texte, paru dans Le Monde en 1998 :«Pourquoi ne pas, tout simplement, rédiger mes histoires sur Paris en français ? Parce qu'on ne choisit pas la langue dans laquelle on écrit. Marguerite Yourcenar et Saint-John Perse ont passé l'un et l'autre des dizaines d'années en Amérique, mais leur langue créatrice est restée le français. La langue de l'imagination a des racines qui lui sont propres. Elle se nourrit d'autre chose encore que de ce qu'on sait et de ce qu'on est. On ne triche pas avec ça (...) Depuis des années, j'entends parler et je parle le français plus que l'anglais. Je rêve dans les deux langues, et au quotidien je pense en français. Mais la fiction me vient en anglais, même quand mes personnages ne savent pas un mot d'une autre langue que le français. Je suis née à Montréal dans un milieu de langue anglaise, mais je parle le français depuis l'enfance. Pourtant, j'ai du mal à l'écrire. »

En dépit de sa réputation, de la publication régulière de ses nouvelles dans les magazines et du soutien de grands écrivains, comme John Updike, la plupart de ses recueils étaient devenus introuvables aux Etats-Unis jusqu'à ce que la New York Review of Books republie en 2002, 2003 et 2009 trois livres, comportant des nouvelles choisies par Michael Ondaatje et Russell Banks – qui a aussi préfacé ses Nouvelles canadiennes (éd. Bernard Pascuito, 2006). Bien sûr, tous ceux qui ont eu la chance de lire Mavis Gallant aimeraient que les nombreux articles de la presse anglo-saxonne pour annoncer sa mort donnent enfin plus de visibilité à cette œuvre singulière et délicate.

DATES

1922 : 11 août, naissance à Montréal.
1951 : s'installe à Paris.
1988 : premier livre traduit en français.
2004 : reçoit le PEN/Nabokov Award.
2014 : 18 février, mort à Paris.







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