AMY WINEHOUSE
MORT D’UNE DIVA DESTROY
BIOGRAPHIE
Cette petite Anglaise avait la voix des grandes dames de la soul. Et leurs fêlures. L’alcool, la drogue, le mal de vivre l’ont tuée à 27 ans.
Le 27 juillet 2011 | Mise à jour le 27 juillet 2011DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE À LONDRES AURÉLIE RAYA
Le corps, recouvert d’un drap bordeaux, semble frêle sur cette civière. La journée s’achève, il fait beau à Londres. Samedi 23 juillet, aux alentours de 20 heures, deux hommes en costume sombre déposent la dépouille d’Amy Winehouse à l’intérieur d’une ambulance privée. Des photographes, des passants, des voisins regardent la scène, sans commentaire. Les services de secours, puis la police ont constaté le décès de la chanteuse, trouvée inanimée et seule dans son lit, dans sa maison de Camden Square, quatre heures plus tôt. Aucune trace de drogue ni d’alcool, selon les déclarations du légiste, deux jours après la mort de la star. C’est son garde du corps qui aurait donné l’alerte. Sa mère, Janis, lui avait rendu visite dans la journée de vendredi. Elles se voyaient encore, malgré les tourments, la peine que la mère ressentait en constatant l’état de délabrement de la fille. Quand la nouvelle s’est confirmée, Janis a déclaré : « Il s’agissait d’une question de temps. Elle semblait complètement ailleurs. Malgré tout, je suis sous le choc. Quand je l’ai laissée, elle m’a dit en partant : “Je t’aime, maman.” Je suis heureuse de l’avoir vue une dernière fois. » Son père, Mitch, était dans un avion, direction New York, pour participer à un festival de jazz. A peine débarqué, il est remonté dans le premier vol pour Londres, accablé. « Je rentre. Je dois être au côté d’Amy. Je ne dois pas craquer. Ma famille a besoin de moi. »
Tout le monde, la presse, les fans, les amis, la famille, redoutait le coup de fil de l’annonce de sa mort. Même si Amy aurait joué de la batterie et pratiqué des vocalises avec entrain, ce vendredi, d’après une voisine, et consulté le soir même son médecin qui n’aurait rien décelé d’anormal, tout était possible avec elle. Aussi versatile qu’imprévisible, elle allait mal. En mai, elle avait séjourné pour la quatrième fois au moins dans une clinique de désintoxication à Londres, The Priory. Elle avait pu y faire pénétrer une bouteille de vodka. Amy devait se soigner avant de débuter une tournée européenne de douze concerts. Le premier, à Belgrade, le 18 juin, fut un désastre. Elle titubait, miaulait des paroles inaudibles. La foule l’a huée, comme souvent. La tournée a été annulée et Amy, depuis, traînait son cafard chez elle. Recluse, elle sortait peu dans son quartier adoré, Camden. La patronne d’un boui-boui, au coin de sa rue, explique qu’Amy lui a acheté un Coca light, trois jours plus tôt, en plaisantant : « Si je vous commande de l’alcool, surtout ne m’en servez pas. » L’ultime apparition publique de miss Winehouse remonte au mercredi 20 juillet. Elle est montée sur scène, au côté de sa filleule Dionne Bromfield, chanteuse de 15 ans, lors du festival iTunes au club The Roundhouse. Amy a dansé vaguement, secoué les bras, pressé la foule d’acheter le CD de Dionne. Mais quand celle-ci lui a tendu le micro, Amy s’est enfuie. Elle avait 27 ans. Elle intègre, de ce fait, le « stupide club 27 », surnom donné par la mère de Kurt Cobain à ce groupe de musiciens légendaires morts à cet âge précoce : Robert Johnson, Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison et Kurt Cobain. Il n’y a pas de fatalité – aucun n’est décédé de maladie ou d’un accident de la route –, mais un hasard malheureux. Tous étaient fragiles, alcooliques, drogués, écorchés, vidés par la célébrité, mal à l’aise dans le quotidien. Lorsque Keith Richards a appris la mort de son comparse, Brian Jones, il a eu ces mots : « Ce n’est pas surprenant. On connaît tous des gens dont on sait qu’ils n’atteindront pas 30 ans. Brian en faisait partie. » Amy aussi.
Se déguiser en serveuse des années 50
Son itinéraire est celui d’une enfant gâtée, puisque dotée d’un don, la voix. Elle a grandi à Southgate, quartier populaire du nord de Londres, au sein d’une famille de confession juive. Les disques tournaient en boucle à la maison. Son père, Mitch, est un chauffeur de taxi fan de Frank Sinatra, de Dinah Washington et de jazz. Sa mère est pharmacienne. Lorsqu’ils se séparent, Amy a 9 ans et son frère, Alex, 13. Amy grattouille la guitare de son aîné lorsqu’il s’absente, écrit des bribes de chansons et forme son premier groupe à 10 ans, avec sa copine Juliette Ashby, sur le modèle du duo R’n’B qu’elles adorent, Salt-N-Pepa. Elle ne voulait pas spécialement devenir musicienne mais aimait se déguiser en serveuse des années 50, comme dans le film « American Graffiti ». A 12 ans, elle s’inscrit au cours de théâtre de la Sylvia Young Theatre School. Son père assiste à une représentation. « Je pensais que j’allais voir ma fille jouer la comédie. Puis, elle s’est mise à chanter sur scène. Je n’en revenais pas. Je ne savais pas qu’elle possédait une tessiture pareille », dira-t-il au magazine « Rolling Stone », en 2007.
Les ennuis commencent à l’adolescence. Amy est virée du théâtre à cause de ses piercings et d’une conduite erratique. Elle fume des joints, quitte l’école à 15 ans, année de la mort de sa grand-mère chérie, Cynthia, et de son premier tatouage, une Betty Boop dans le dos. « Mes parents ont alors compris que je n’allais faire que ce que je voudrais. » Elle écoute du hip-hop et du jazz, compose, chante. Un copain de copain lui propose d’enregistrer des maquettes dans un studio, libre quelques heures par semaine. Amy signe, à 17 ans, un contrat avec Island Records, la maison de disques de Bob Marley et U2. Simon Fuller, l’inventeur des Spice Girls et de l’émission de télé-réalité « Pop idol », devient son manager, bluffé par son aplomb et son talent. Son premier album, « Frank », sort en 2003. Ce mélange de mélodies R’n’B, hip-hop, de sons jazzy, avec des paroles souvent crues pour évoquer l’amour et ses affres, est un succès critique et populaire en Angleterre. Amy est la révélation de l’année. C’est l’époque où elle sert du thé aux journalistes pendant les interviews. L’époque où elle est en chair, ronde, mignonne, marrante. Elle a 20 ans, fume des pétards, boit quelques bières. Elle rencontre Blake Fielder-Civil dans un bar de son voisinage. Elle tombe follement amoureuse de ce garçon maigre, à l’allure de petite frappe, qui vivote en tant qu’assistant sur des tournages de vidéoclips. Ils se déchirent, se battent des nuits entières, s’entaillent les veines, se quittent pour se réconcilier au lit. Selon des déclarations de Blake, il l’aurait initiée au crack et à l’héroïne. Elle se fait tatouer son prénom sur la poitrine. Des gamins de foire, livrés à eux-mêmes. Ils se séparent quelques mois plus tard. Il va voir ailleurs. Elle aussi. « J’étais désespérée à l’idée de l’avoir perdu. Je voulais mourir. Je n’ai jamais aimé quelqu’un comme lui. »
Incapable d’attitude
Amy est jalouse, dépressive. La chronique de cette dépression est l’unique matière de son deuxième album, « Back to Black », en 2006. Un disque incroyable, sixties et contemporain, classique dès la première écoute. Le monde s’entiche de sa voix rauque, puissante, vibrante, et du personnage au maquillage outrancier, couvert de tatouages de pin-up seins à l’air, qui arbore une choucroute démente et un air blasé. Cette créature de poche, anglaise, blanche et juive, vibre de la même soul qu’Aretha Franklin et toutes les grandes chanteuses noires américaines. Mais « Rehab », la chanson d’ouverture avec son célèbre refrain, « They tried to make me go to rehab but I said no, no, no », ne sont pas des figures de style. L’entourage d’Amy, maigre comme un bâton, voulait la forcer à suivre une cure de désintoxication. Elle a refusé. C’est en racontant l’anecdote dans la rue à son producteur, Mark Ronson, qu’ils ont eu l’idée du morceau. Le succès est à la hauteur de la qualité de « Back to Black », immense. Winehouse s’en fout. Elle consomme des stupéfiants et boit de plus belle. Cette authenticité, cette mise à nu permanente, cette attitude qualifiée de rock’n’roll, alors qu’elle est incapable d’attitude, ont contribué à la faire aimer du public. Elle semblait cool. Elle détonnait dans un univers lisse où la moindre starlette déclare, après avoir vendu deux disques, vivre un rêve et se coucher avec les poules pour préserver sa peau. On l’aimait quand elle envoyait promener Bono sur scène, sniffait une fiole placée dans ses cheveux tout en chantant, ruinait les plans marketing. Mais elle jouait sa vie. Elle aurait tout envoyé valser pour Blake, sa drogue dure, son obsession ridicule à force de l’évoquer à chaque phrase. Ils se sont retrouvés après la sortie du disque, se sont mariés sur un coup de tête, à Miami, en mai 2007, malgré les réticences de son père, Mitch. Elle se disait alors prête à tout arrêter pour fonder un foyer et s’occuper de son homme, pourtant très inactif. Une bagarre avec le propriétaire d’un bar, que Blake a voulu solder en proposant au type 200 000 livres, les sépare quelques mois après : il est condamné à deux ans de prison pour avoir perverti le cours de la justice. Amy est inconsolable : « Je suis seule, je m’ennuie, mon homme est parti. »
L’année 2008 est son annus horribilis. Concerts atroces quand ils ont lieu, séjours en urgence à l’hôpital pour abus d’alcool et de drogue, découverte d’un emphysème, de vidéos sur YouTube où elle s’amuse, hagarde, avec des souriceaux en compagnie de son ami, l’autre junkie célèbre, Pete Doherty… Amy plonge. Elle qui n’a jamais désiré abandonner son cher quartier de Camden, malgré l’argent amassé, se terre dans sa modeste maison. La reconnaissance a attisé ses peurs au lieu de les calmer. Quand j’ai attendu une semaine devant chez elle en novembre, elle émergeait dans l’après-midi, et rien. Les poubelles étaient pleines de cadavres de bouteilles de vodka et de boîtes de pizzas. Les dealers défilaient. Sa mère l’avait mise en garde, la provoquant en lui demandant dans quel cimetière elle souhaitait être enterrée. Sa famille, sa maison de disques ont essayé de la soigner en l’envoyant ailleurs, loin de ses démons. Elle a vécu près d’un an sur l’île de Sainte-Lucie, dans les Caraïbes. « Je l’ai croisée là-bas, raconte un journaliste. Elle paraissait en forme, heureuse. Elle devait donner un concert deux jours plus tard, au cours d’un festival de jazz. La catastrophe. Elle a englouti d’une traite une jarre de rhum-Coca, puis s’est endormie sur les enceintes. » Les mois, les années ont défilé. Le nouveau disque n’a jamais vu le jour, malgré des rumeurs d’enregistrement à Sainte-Lucie. Elle a divorcé à son retour en Angleterre, fin 2009.
Ses proches avaient repris confiance avec l’apparition, l’an dernier, d’un boyfriend, Reg Traviss, réalisateur de films d’horreur, adoubé par papa. Il l’avait quittée en janvier, affolé par ses abus, avant de renouer en mars. Il aurait décidé de mettre un terme à leur histoire très récemment, après avoir surpris Amy au téléphone avec l’éternel Blake, emprisonné cette fois-ci pour un cambriolage minable à Leeds. Elle venait d’emménager dans sa demeure de 2 millions de livres, près de son pub préféré, le Hawley Arms. Trois étages, un studio, une salle de sport, et la promesse d’un nouveau départ. Amy haïssait la célébrité et la solitude. Lucide, elle pouvait se montrer très drôle. Elle aimait le bruit des pubs, le billard, les années 60, les juke-box, les chaussures à talon plat, les chats, le poulet de KFC, le maquillage cheap, les femmes plantureuses et les garçons sans forme. Son entourage, sa maison de disques, ses gardes du corps, même Blake, personne, sauf elle, n’est à blâmer dans cette tragédie. C’est triste. De ce gâchis, surnage la musique. Et cet album merveilleux, maintenant légendaire, « Back to Black ».
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