Amy Winehouse |
Dans un documentaire choc présenté à Cannes en séance de minuit, Asif Kapadia rentre dans l'intimité de la chanteuse Amy Winehouse, décédée par overdose en 2011.
Difficile d'imaginer séance de minuit plus glaçante. Tous ceux qui ont bataillé ferme pour une place dans le grand théâtre Lumière, histoire d'attaquer leur nuit avec un documentaire funky, montrant« Amy Winehouse comme vous ne l'avez jamais vue », sentiront le piège de la curiosité se refermer sur eux. On peut parier qu'ils redescendront les marches au ralenti, avec une envie folle d'aller pleurer seuls dans leur chambre. Amy d'Asif Kapadia, à qui l'on devait déjà un film remarqué sur Ayrton Senna, est un film bouleversant, suffoquant et dérangeant.
Projeté sous les sunlights, au cœur de la turbine cannoise, cet hommage à la diva soul londonienne, overdosée au coeur de l'été 2011, met en lumière avec une crudité rare la foire aux célébrités qui a l'a brûlée en quelques années. Attaqué de toutes parts par les proches de la chanteuse (notamment le père que le film montre comme un pauvre type profiteur et inconscient), le réalisateur jure qu'il n'a jamais voulu dévoiler autre chose que la nature même d'un talent en souffrance. Mais son entreprise le dépasse déjà. La bande-annonce qui se diffuse à vitesse grand V sur la toile chauffe les esprits et creuse le lit du succès avec les images d'une très jeune Amy innocente, annonçant qu'elle deviendra folle si on fait d'elle une star (« je serai incapable de le gérer »). La mécanique surpuissante est bien huilée. Elle balayera tout cet été. Le film est déjà annoncé, en avant-première, dans le plus grand festival rock d'Angleterre, à Glastonbury. Et la sortie, début juillet, va relancer grand train l'infernal battage médiatique qui a lessivé la chanteuse.
Asif Kapadia est un documentariste accrocheur. Son film regorge d'images saisissantes, d'autant plus inédites qu'elles ont été filmées dans l'intimité de la chanteuse. Tous les proches d'Amy Winehouse (même ceux qui dénoncent le film aujourd'hui) sont de la partie et livrent leur témoignage en voix off. On se demande sans cesse quels pactes diaboliques ont été scellés pour qu'il nous soit permis de voir la fille soul d'East Finchley voguer d'appartements en chambres d'hotels, d'auditions en coulisses, de cuite en cuite et d'amoureux en amoureux. Amy Winehouse avait à peine treize ans et une sucette à la bouche qu'une mini-caméra la filmait déjà, prenant des poses de princesse pour chanter Happy Birthday à une copine. La caméra est encore là pour les premières maquettes, les équipées glauques en bagnole, les joints, les angoisses visionnaires (« s'il vous plait, oubliez-moi, je ne suis bonne que pour la musique »), les blagues, les sketches en chambre, la provoc dessalée (« je vais tellement me torcher qu'on me ramènera en brouette »), les baisers, les crises de nerfs... Et même les centres de désintoxication. Filmés de l'intérieur par Blake, le beau gosse de Camden avec qui elle a abordé le versant dur de la drogue (crack et héroïne) et pour qui elle était prête à se damner (« je ferai tout comme toi »). Le pic de la déprime est atteint quand son ange noir, qui maigrit et se décompose au fil de l'histoire, demande à sa douce de chanter, rien que pour lui, dans la chambre de la clinique, une version ultime de Rehab (le tube d'Amy Winehouse sur la désintoxication)
Tous ces documents ont pour effet de nous river à l'écran, sans qu'on en soit fier pour autant. Leur principale vertu est de nous faire communiquer, dans une intimité rarement vue, avec la musique et ses sources. Amy est une oeuvre mutante qui tient du journal filmé, de télé-réalité et de la vidéosurveillance. Les différents complices de la chanteuse ont livré leurs secrets : les bandes fantastiques d'une première audition dans les bureaux d'une maison de disques, ou celles de l'enregistrement deBack To Black avec Mark Ronson dans un studio de New York. La chanteuse se remet très mal d'une rupture avec son chéri toxique et lui écrit chanson sur chanson. L'instant poignant où elle chante Back To Black, qu'elle vient d'écrire sur le coin d'une table, a peu d'équivalents dans l'histoire du documentaire musical.
Il y en aura d'autres puisqu'Amy Winehouse est une des premières icônes filmée partout et par tout le monde, de sa naissance (ou presque) à sa mort. Amy d'ailleurs se détourne de la musique à mi-parcours. Pour ne s'intéresser qu'aux ravages de la célébrité. Et pour cause, la chanteuse n'arrive plus à composer. Elle est traquée, espionnée, bousculée par la presse tabloïd. Elle dépérit mais doit alimenter le business qui continue à tourner à plein tube. Son père l'emmène se reposer sur une île mais invite une équipe de télé-réalité. « Papa, si c'est de l'argent que tu veux, je t'en donne... », lui dit sa fille excédée devant les caméras. Le naufrage ultime sur la scène d'un festival de Belgrade, où on l'a poussée à venir, est un épilogue stupéfiant. Elle est en pleine détresse, incapable de chanter, voire de bouger. Des dizaines de milliers de personnes la conspuent. Et l'infernale machine médiatique — les moqueries, les sermons les confidences — s'emballe à nouveau. Ensuite, rideau. Son cœur lâche. Le nôtre avec.
TÉLÉRAMA
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