lundi 27 juillet 2015

Asif Kapadia / Amy Winehouse compartimentait sa vie de façon très hermétique

Asif Kapadia : 

“Amy Winehouse compartimentait sa vie de façon très hermétique”



Bruno Icher
Publié le 13/07/2015. Mis à jour le 13/07/2015 à 16h26.

Bien des proches ont découvert une Amy qu'ils ne connaissaient pas en visionnant le documentaire consacré à la chanteuse disparue en 2011. Son réalisateur explique sa méthode de travail.
Après avoir séduit le Festival de Cannes, le documentaire consacré à Amy Winehouse a réalisé un beau démarrage en salles. Son réalisateur, Asif Kapadia, également auteur en 2010 d'un film sur Ayrton Senna, le pilote brésilien de Formule 1, revient sur cette expérience et sur une époque où les images envahissent chaque parcelle de la vie privée.
Un regard précieux, alors qu'au même moment, deux autres films consacrés à de jeunes stars disparues tragiquement font parler d'eux aux Etats-Unis – avant, peut-être, de faire leur apparition en France. Il s'agit de Kurt Cobain : Montage of Heck de Brett Morgen, recueil d'images et de témoignages sur la vie et la disparition du leader de Nirvana, et de I am Chris Farley de Brent Hodge, consacré à la jeune vedette duSaturday Night Live disparue en 1997.
Amy semble être un film consacré à Amy Winehouse mais aussi à son époque…
Avant de réaliser le film, je ne m'intéressais pas particulièrement à Amy Winehouse ni à sa carrière. Je veux dire par là que je connaissais ses chansons et que, comme tout le monde, j'avais connaissance, par la presse, de ses difficultés. De plus, j'ai longtemps vécu dans un quartier très proche du sien, dans le nord de Londres, mais c'est à peu de choses près, les seuls liens que j'avais avec elle, ce qui est très peu. Pour ce film, c'est le label d'Amy [Universal, NDLR] qui est venu à moi et m'a proposé le projet. Ils avaient vu et aimé mon précédent film, consacré à Ayrton Senna.
Il y avait un cahier des charges ?
Non. Je n'aurais pas accepté dans ce cas. Avant de me lancer, je leur avais dit que je poserais toutes les questions, et elles étaient nombreuses, mais que je ne savais pas où tout cela allait nous mener. Dès que j'ai commencé à travailler, j'ai été surpris par le caractère extrême de tout ce qui tournait autour d'elle, comme les éléments d'un drame. Ensuite, j'ai fait comme je fais toujours : à l'instinct.
Le travail de recherche des images a probablement été considérable…
Vous n'avez pas idée… Des centaines d'heures. Mais ce n'était pas surprenant et, d'une certaine manière, cela m'a rassuré. Comme tous les documentaristes, je considère que plus il y a de matériel, mieux c'est. Quand on veut construire un documentaire comme un drame, ce qui semblait convenir à l'évocation du destin d'Amy, cette abondance de matériel permet de nombreuses possibilités de montage. Bien entendu, on ne sait pas quel film on a entre les mains avant d'avoir tout vu. Sur ce point précis, j'ai eu également toute liberté. Les producteurs n'attendaient pas le film à une date précise, j'aurais été bien incapable de leur en donner une.









Vous avez interrogé une centaine de personnes. Certains témoins ou proches ont-ils refusé de témoigner ?
Oui. Ils se comptent sur les doigts d'une main. Je le regrette bien sûr mais, compte tenu de tous les témoignages que nous avons récupérés, j'ai tendance à penser que ceux qui nous ont fait défaut n'auraient pas changé grand-chose au film. Le seul personnage qui manque vraiment et qui, j'en suis certain, aurait pu livrer une vision singulière d'Amy, c'est son frère aîné, Alex. Mais il n'a pas répondu à nos appels. C'est Mitch, le père, qui m'a dit qu'Alex ne souhaitait pas me parler. Point final.
Justement, quelles sont vos relations aujourd'hui avec le père d'Amy Winehouse, qui a fait des déclarations très critiques envers le film ?
Ce n'est pas simple, comme vous pouvez l'imaginer, mais je ne souhaite pas vraiment faire de commentaires sur ce point. Je constate surtout que ceux qui ont découvert le film se rendent compte de la complexité de cette histoire tragique.
Dans une interview donnée au Guardian, Nick Shymansky, qui a été le manager d'Amy, disait qu'il avait découvert dans le film certains aspects de la vie de la musicienne qu'il ne connaissait pas…
Il n'est pas le seul proche d'Amy dans ce cas. En fait, j'ai le sentiment que personne, même le cercle intime, ne voyait le problème dans son intégralité. Dans le film, nous avons croisé les informations et les témoignages, mais personne d'autre n'était vraiment en position de le faire. Nick, qui nous a beaucoup aidé, a été surpris par cette dimension. Je me souviens que lorsque je lui disais que j'allais interviewer telle ou telle personne, il me répondait parfois : « Qui ? Je n'en ai jamais entendu parler. » Ce qui signifiait que cela n'avait aucun intérêt. Or, une des dimensions les plus fascinantes d'Amy était justement qu'elle compartimentait sa vie de façon très hermétique. C'est aussi une des raisons pour lesquelles les témoins proches ne se rendaient pas vraiment compte de l'ampleur de sa consommation d'alcool, mais aussi de drogue.
Amy Winehouse est-elle la première star de l'ère selfie et YouTube ?
Elle est surtout la première à en avoir autant subi les conséquences. Je pense que même Britney Spears ou Lindsay Lohan, qui n'ont pas été épargnées, n'ont pas subi ça. Amy n'a pas eu de chance : le monde changeait et c'est elle qui en a été la principale victime. La dépression était sans doute en elle mais je ne sais pas qui peut résister à cela. Ce qui m'intéresse beaucoup, c'est que le film montre des facettes que nous ne connaissions pas : le fait qu'elle soit une aussi bonne guitariste en plus d'être une auteure fantastique, dotée d'un tel sens de l'humour.









A partir de cette expérience, à une époque où tout le monde filme et se filme sans cesse, pensez-vous que cela va changer le travail du documentariste ?
Je ne suis pas très inquiet à ce sujet : j'aurai toujours du boulot. Beaucoup de gens filment, tout et tout le temps, mais ils n'ont pas toujours quelque chose à dire. Le fait de disposer de tout ce matériel est intéressant mais on sait ce qu'on veut dire seulement lorsque le film est achevé. Pas avant. Cela dit, que ce soit pour Senna ou pour Amy, je me suis rendu compte que beaucoup de gens possédaient des images sur leur ordinateur, mais qu'elles n'étaient plus exploitables à cause des changements de formats. C'est assez extraordinaire parce que nous sommes tous persuadés du contraire. Que les images que nous stockons sur nos disques durs sont éternelles. En fait, rien ne vaut la bonne vieille bobine de celluloïd.




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