jeudi 7 mai 2020

Anaïs Nin / "Une vigueur et un désordre dans la volonté de tout dire"

Anaïs Nin et Rupert Pole, l’un de ses deux maris, en 1950.
Anaïs Nin et Rupert Pole, l’un de ses deux maris, en 1950.

ANAÏS NIN, «UNE VIGUEUR ET UN DÉSORDRE DANS LA VOLONTÉ DE TOUT DIRE»

Par Claire Devarrieux— 3 avril 2020 à 17:06

Entretien avec Agnès Desarthe.

Agrégée d’anglais, la romancière Agnès Desarthe (la Chance de leur vie, 2018) est aussi traductrice. Elle a donné la version française de plus de trente livres, parmi lesquels, aux éditions de L’Olivier, les Oiseaux du ciel d’Alice Thomas Ellis, et récemment, Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout d’Alice Munro. Sa traduction de l’Intemporalité perdue et autres nouvelles est un modèle de charme et de fluidité.
Traduire ces nouvelles, est-ce une idée de vous ?
La proposition est venue de Claire Do Sêrro qui dirige la littérature étrangère chez Nil et Robert Laffont. Elle a beaucoup insisté. Elle semblait si sûre de son intuition (d’après elle, j’étais la traductrice idéale pour ce texte) que j’ai accepté de lire le manuscrit de ces nouvelles inédites alors que je n’avais pas de temps à leur consacrer à l’époque.

Qu’aviez-vous lu d’Anaïs Nin auparavant ?
Rien. Pourquoi le cacher ? Mais alors que j’hésitais encore à la traduire, un ami à qui j’en ai parlé m’a dit : «Sans elle, je n’aurais jamais survécu à mes 14 ans.» Cette phrase m’a amusée. Cela constituait pour moi comme une première lecture par personne interposée.
Et maintenant, fait-elle partie des auteures que vous aimez ?
Je l’aime à travers ces nouvelles pour lesquelles j’éprouve un mélange inédit d’attendrissement et d’admiration. Elle avait 27 ans quand elle les a écrites. Ce n’est pas si jeune et pourtant il y a une vigueur et un désordre dans la volonté de tout dire, de tout embrasser qui paraîtraient presque adolescents dans certaines. J’ai aimé son humour, son sens de la caricature et l’audace avec laquelle elle produit, l’air de rien, un discours parfaitement éclairé sur la création et sur la littérature. Des histoires comme «Alchimie» ou «La chanson dans le jardin» constituent de véritables bijoux qui tiennent autant de l’essai critique que de la nouvelle.
Ce recueil vous a-t-il amenée à lire d’autres textes de Nin ?
Il le fera. Je n’en doute pas. Le chemin de lecture est ouvert. Le temps de regagner le bivouac après avoir parcouru les pistes débroussaillées par Jack London et les sentiers de douanier arpentés par Maupassant et je m’y lance.
Passer du temps en sa compagnie a-t-il été agréable ? Difficile ? Les deux ?
Cette rencontre avec Anaïs Nin, a constitué un moment d’amitié littéraire radieux. Elle m’a déroutée, amusée, instruite, étonnée. J’avais l’impression que l’on ressent parfois quand on passe un moment avec un enfant surdoué pour lequel on éprouve un sentiment protecteur auquel viennent s’ajouter une goutte d’effroi et quelques soupçons d’incrédulité. «Comment ça marche dans ta petite tête ?» a-t-on envie de demander, terrassé par la nouveauté de ce que l’on découvre.
Il y a aussi un plaisir particulier à lire et traduire, comme si c’était une parfaite inconnue, une figure littéraire qui a le statut d’icône. Je suis, d’une certaine façon reconnaissante à ma propre ignorance, à cette faille dans ma culture qui m’ont fait l’ignorer et m’ont permis de l’aborder sans préjugés. Sa réputation, bonne ou mauvaise, sulfureuse ou provocatrice, n’a pas pu altérer mon approche. Je suis venue vierge à Nin et peut-être était-ce le meilleur moyen de m’entendre si bien avec elle.
LIBÉRATION

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