Grands films de fin du monde (4/5): «Stalker», voyage au cœur de la Zone
Le coronavirus propage un parfum de fin des temps. Un thème que le cinéma vénère. Avec «Stalker», Andreï Tarkovski suit trois naufragés spirituels dans leur cheminement labyrinthique au cœur d’un territoire sinistré. Le plus mystique des films apocalyptiques
Antoine Duplan
Publié jeudi 23 avril 2020 à 17:47
Modifié jeudi 23 avril 2020 à 21:14
La chute d’un météorite? Une visite extraterrestre? Au creux de cette contrée industrielle et militarisée s’est ouverte une singularité, une oasis de verdure dans la noirceur ambiante. C’est la Zone, un territoire interdit, un jardin sauvage dans lequel les fondamentaux de la physique n’ont plus court. L’espace se courbe, le temps faseye, le chemin le plus droit n’est pas le plus court. Au cœur de ce labyrinthe piégé se trouverait la Chambre où s’exauceraient les vœux des pèlerins.
Pour déjouer les maléfices de la Zone, il faut un Stalker, un passeur. Il guide l’Ecrivain, avide de gloire éternelle, et le Professeur, désireux de traduire le miracle en chiffres. Progressant selon des protocoles aléatoires, les trois hommes traversent des ruines, des prairies embrumées, des paysages gorgés d’eau où sombrent les vestiges de la civilisation. Ils croisent un grand chien noir évoquant quelque créature psychopompe. Pleins d’effroi, ils n’osent entrer dans le sanctuaire. Ils restent assis devant la Chambre où tombe la pluie. Ils font des ronds dans l’eau…
C’est à un roman des frères Strougatski (Pique-nique au bord du chemin) qu’Andreï Tarkovski emprunte l’argument de ce chef-d’œuvre poétique et métaphysique. Stalker métaphorise le naufrage économique, moral et spirituel d’un monde où «l’organe de la foi est atrophié». La méditation du cinéaste russe anticipe aussi de troublante manière la catastrophe de Tchernobyl: les premiers pompiers qui tentaient de circonscrire le sinistre se surnommaient «stalkers», et le périmètre radioactif autour de la centrale nucléaire est devenu la Zone…
Peut-être l’avenir appartient-il aux enfants, comme la fille du Stalker, petite mutante paraplégique qui a le don de télékinésie. Au dernier plan du film, elle déplace des verres par la pensée. Au loin passe un train, emportant avec lui des bribes de L’Hymne à la joie…
«Stalker», d’Andreï Tarkovski, avec Aleksandr Kaydanovskiy (1979), 2h42. Disponible en DVD
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