Le roi sans royaume de Corinne Desarzens
En femme de passion, la romancière livre un roman fragmentaire entre dénonciation, récit de voyage irnonique, histoire d’amour et roman familial
Isabel R.
Publié vendredi 20 mai 2011 à 20:40
Un roi. Sans royaume, sans feu ni lieu, sans couronne, roi de ses douleurs, roi par son élégance, sa dignité, son détachement. C’est ainsi que Corinne Desarzens reçoit les requérants d’asile venus d’Erythrée, de Somalie, du Soudan, dès qu’elle croise leur regard, dans la ville de Nyon où elle habite. Elle est une femme de passion. Ce besoin d’aimer, d’admirer, et d’agir en conséquence, elle l’a investi dans des domaines hétéroclites: la langue romanche en voie d’extinction; le vin; les cigares; Madagascar; l’Irlande. Une abondante bibliographie témoigne de ces engouements. Gris du Gabon, son ouvrage précédent (L’Aire, 2010), marque un tournant: la romancière prend conscience, très concrètement, du sort des réfugiés en Suisse. Le traitement qu’ils reçoivent la choque au plus profond: hypocrite, lâche, déguisé de bons sentiments. La langue est son arme, elle écrit, dans l’urgence, quitte à bâcler, comme elle dit elle-même.
Un Roi s’inscrit dans cette ligne. Il se donne comme roman, mais comme toujours, chez Corinne Desarzens, ce livre est une pelote d’éléments autobiographiques. Orienté selon les points cardinaux, composé de fragments numérotés et hétéroclites, c’est à la fois une dénonciation, un récit de voyage ironique, une histoire d’amour (voire deux), un roman familial en filigrane. L’ouverture, à l’aéroport de Gondar, est splendide, une entrée abrupte dans l’altérité, un changement d’angle, une autre façon de voir le temps. Retour en Suisse où la narratrice assiste à une séance d’information sur le traitement à réserver aux requérants, les conditions d’accueil et de rejet. Elle enchaîne sur son engagement aux côtés des bénévoles. Et lui arrive ce que son caractère entier laissait attendre: elle tombe en amour de ces gens, d’un «roi» en particulier. L’entente est difficile, ils ont appris la méfiance, elle ne peut pas beaucoup. Il y a dans ce chapitre des fulgurances et des lourdeurs didactiques, un tissage de détails quotidiens très réussi et de généralités que plombe la référence récurrente au renard du Petit Prince.
Trop pugnace pour se laisser décourager par l’échec de cette relation, la narratrice décide de découvrir ce pays dont elle ne sait rien, au prétexte de porter un message à la parenté de son ami. Elle se joint à un petit groupe de touristes, qu’elle décrit joliment, en rupture avec le ton du début. En Ethiopie aussi, elle succombe: à la beauté des gens, aux odeurs, aux sons, aux paysages. Et à son guide, dans une histoire d’amour impossible et foudroyante. Des réminiscences de lectures, la silhouette de Rimbaud, des bribes de passé à exorciser, une réflexion sur le droit pour tous à se déplacer, des rencontres: Un Roi est un livre généreux, engagé, d’une naïveté assumée mais quand même agaçante. Un livre à l’image de Corinne Desarzens, attachant.
Une dénonciation, un récit de voyage ironique, une histoire d’amour (voire deux), un roman familialen filigrane
LE TEMPS
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