vendredi 16 janvier 2015

Hervé Boggio / Libre comme Werth

León Werth

Libre comme Werth

Par Hervé BOGGIO
Le Républicain Lorrain
Le 06/01/2013 à 05:00

Le Vosgien Léon Werth aurait à jamais disparu des écrans radars de la littérature française sans l’éditrice Viviane Hamy. Une injustice évitée de justesse pour cet écrivain qui fut avant tout un homme libre. 

Léon Werth ne reste célèbre que par la grâce de Saint-Ex et de son Petit Prince , lequel lui est dédicacé. Une notoriété par procuration, en quelque sorte. Un cadeau de Pique-la-Lune – surnom d’Antoine de Saint-Exupéry – en témoignage d’une indéfectible amitié : « À Léon Werth. Je demande pardon aux enfants d’avoir dédié ce livre à une grande personne. J’ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde. […] Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l’enfant qu’a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. (Mais peu d’entre elles s’en souviennent.) Je corrige donc ma dédicace : À Léon Werth quand il était petit garçon ».
Ce petit garçon, né à Remiremont dans les Vosges en 1878, a eu son heure de gloire littéraire. Il fut aussi une de ces figures singulières, libres, inclassables, et pour tout dire rares, du paysage intellectuel français d’avant la Seconde Guerre mondiale. Léon Werth a d’abord été un surdoué – grand prix de philosophie au concours général – et un révolté, abandonnant les brillantes études auxquelles il était promis pour mener une vie de bohème qu’il gagne comme critique d’art, activité qu’il poursuivra jusqu’à sa mort. En 1913, avec son roman La Maison blanche, il est finaliste pour le Goncourt face à Alain-Fournier. Tous deux verront le prix leur échapper au treizième tour de scrutin, au bénéfice d’un certain Marc Elder qui sombrera dans l’oubli.
Comme tous les hommes de sa génération, Werth est confronté, quinze mois durant, à l’horreur des tranchées. Un trauma, mais aussi l’occasion d’exercer avec éclat la liberté qu’il revendique en mettant sa plume au service de deux ouvrages décapants : Clavel soldat et Clavel chez les majors . Ces deux récits sont « parmi les plus lucides sur la peur et l’ennui, le dégoût du bourrage de crâne et des foules qui s’y plient », souligne Gilles Heuré, biographe de l’écrivain. Jean Norton Cru lui-même, auteur du monumental Témoins , rend hommage à la « vérité » de Werth même s’il est par ailleurs critique. Une vérité qui déplaira fortement pourtant, au-delà des clivages partisans. Ce qui participe d’une certaine logique puisque l’auteur n’a jamais fait, et ne fera jamais, allégeance à aucune chapelle. « Léon Werth était un homme libre. Trop peut-être et c’est sans doute ce qu’il a payé ! », estime Gilles Heuré.
Pourtant, la pression est forte dans les années vingt et trente. À la suite du congrès de Tours en 1920, les communistes lui font de l’œil. Il regarde ailleurs… En 1928, lorsqu’il publie Cochinchine , dénonçant avec vingt ans d’avance le « régime d’arbitraire et d’oppression » de la colonie, il prend encore tout le monde à rebrousse-poil. À l’aube des années 1930, il est de ces rares consciences qui apportent leur soutien aux prisonniers du régime soviétique et notamment à l’écrivain Victor Serge. Le tout en restant farouchement antifasciste : de quoi faire l’unanimité contre soi.
Sa soif de liberté n’en est pas moins sourcilleuse, intransigeante. Et l’homme est, de surcroît, capable de colères noires : « Son caractère ombrageux et sa plume souvent assassine n’ont pas aidé à sa notoriété, malgré l’appartenance à des réseaux qui passent un temps par la revue Monde ou la puissante NRF . Mais à chaque fois, il finit par se fâcher avec ses soutiens », explique encore son biographe.
Juif, de gauche, Werth fuit Paris en 1940 pour se réfugier à Saint-Amour, dans le Jura, où il possède une propriété. Là, il rédige durant quatre années une sorte de journal qui sera publié en 1946 sous le titre Déposition . Une œuvre d’une singulière lucidité sur l’Occupation et la réalité du régime de Vichy dont il saisit presque instantanément la nature. L’ouvrage sera salué, par Lucien Febvre notamment, fondateur avec Marc Bloch de l’école historique des Annales . Puis il sera oublié. Tout comme l’aurait été Werth lui-même après sa mort en 1955, malgré une œuvre critique et littéraire considérable, si l’éditrice Viviane Hamy n’était allée y voir de plus près. Celle-ci l’a sorti de la « cohorte talentueuse des écrivains de "second rayon" » où il était noyé, affirme Gilles Heuré. Le voilà rendu à la place singulière qu’il méritait.
L’Insoumis , Léon Werth (1878-1955)
par Gilles Heuré (Viviane Hamy ).
De Léon Werth (notamment) :
- Clavel soldat
- Clavel chez les majors
- Caserne 1900
- Voyage avec ma pipe
- Cochinchine
- La Mais on blanche
- Déposition
- 33 jours
- Le Promeneur d’art
- Saint-Exupéry tel que je l’ai connu.
Tous ces ouvrages sont publiés aux éditions Viviane Ham y .
« Tout ce que j’ai vu, je l’ai dit. Et quand j’étais indigné, j’ai fait effort pour ne conter que les faits et non pas mon indignation. » ( Cochinchine , Léon Werth)

LE REPUBLICAIN LORRAIN


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