Sommeil,
une nouvelle de Murakami Haruki,
sombre et mystérieuse comme la nuit
Par Kaeru
Ce livre est un bijoux, un plaisir que l'on s'offre, solitaire et complexe. Ce texte de Murakami, assez court, intitulé Sommeil a été ré-édité avec des illustration de l'artiste allemande Kat Menschik. Voici le récit étrange de dix-sept nuits consécutives d'insomnie qui changent profondément la vie monotonement d'une japonaise. Une épouse et une mère modèle, qui durant ces moments de liberté que l'absence de sommeil lui octroie, se souvient qu'elle est aussi une femme.
Écrit à la première personne, avec ce style simple et elliptique qui caractérise l'écrivain, cette nouvelle est à la fois reposante et angoissante, comme la nuit. La dimension factuelle donne à l'histoire une froideur presque clinique, pourtant, dans le quotidien de cette femme, on entrouvre la porte de son cœur.
Aucune introspection, pas de sentimentalisme, et avec juste quelques détails, l'auteur arrive à nous transmettre la solitude poignante de la narratrice.
Le jour, elle accomplit les tâches ménagère, s'occupe de son enfant, de son mari, avec attention. Pourtant, l'amour qu'elle proclame semble vide, stérile. Elle est aliénée à cette vie, aux nécessités et aux corvées qu'elle accomplit comme un bon soldat, sans jamais remettre en cause son existence.
Une nuit, elle se réveille d'un cauchemar violent dont elle ne garde aucun souvenir. C'est fini, elle ne dort plus. Elle ne connaît plus la fatigue. Elle dévore des livres, se replonge avec délice dans Anna Karénine qu'elle avait découvert adolescente, avec un verre de Cognac et quelques carrés de chocolat. Elle déguste. Elle analyse, elle réfléchit. Elle profite. Elle s'interroge aussi sur cette vie bien rangée et sur l'absence surnaturelle du sommeil qui l'a un beau jour déserté.
Liberté et solitude
L'ambiance oscille entre l'énergie positive presque grisante de cette liberté nouvelle, et une lourdeur obscure avec la conscience aigue que cette situation défit les lois du possible. La narratrice découvre ce qu'elle aime, prend plaisir à ses nuits qui deviennent sont espace-temps, son intimité. Pourtant, elle sait qu'il n'est par normal d’arrêter de dormir. Une angoisse sourde se distille peu à peu et teinte la magie de ce temps retrouvé.
Comme la nuit, la vie de la jeune femme devient merveilleuse et inquiétante, suspendue, et surtout, partagée entre le quotidien du jour, minuté, dédié aux autres sans pour autant avoir d'échange, et la vie nocturne où elle choisit son rythme, où elle s'écoute. Mais quel est le prix de cette liberté soudaine ? Quand les lois naturelles sont ainsi détraquées, tout peut alors arriver.
Les illustrations fantastiques de Menschik, sensuelles, aux compositions éclatées, épousent le texte et offrent une respiration, une image pour changer des lettres. Du bleu profond et de l'argenté pour varier du noir des mots.
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