jeudi 18 juin 2015

Les Larmes amères de Petra von Kant

La chronique théâtre de Fabienne Pascaud

Chez Fassbinder, Valeria Bruni-Tedeschi confond agitation et émotion


Le réalisateur Thierry de Peretti adapte “Les Larmes amères de Petra von Kant”, une pièce du grand cinéaste allemand dans laquelle Valeria Bruni-Tedeschi interprète le rôle titre.
Publié le 03/03/2015.

L'exigu Théâtre de l'oeuvre est tout entier devenu la demeure de Petra von Kant, célèbre styliste de mode berlinoise des années 1970. La voilà d'ailleurs qui surgit du fond de la salle, tel un fauve éructant. Elle a mal à la tête, gémit et monte enfin sur un plateau rouge sang, protégé par la gigantesque tapisserie de La Dame à la licorne mais encombré de divan, miroir, porte-manteaux, réfrigérateur, aquarium et bouteilles d'alcool. Petra est belle, libre, talentueuse et d'aristocratique famille. Elle vient de rompre un mariage qui ne la satisfaisait plus. Elle martyrise ceux qui collaborent avec elle, telle Marlène, cette assistante d'autant plus troublante qu'elle restera muette tout au long de la pièce ( Lolita Chammah). Petra von Kant, dans la mise en scène brouillonne de Thierry de Peretti, c'est Valeria Bruni Tedeschi, incarnant avec une nervosité mal contrôlée le mal d'amour de son narcissique personnage. Petra s'est en effet soudainement entichée de Karine (Zoé Schellenberg) et découvre avec fièvre son homosexualité. Ainsi révélée à elle-même, elle souffrira vite des frasques de sa trop jeune compagne. Une fille de milieu modeste dont l'adolescence fut bousillée par l'assassinat de sa mère par son père, qui se suicida sitôt après le crime... L'interdit homosexuel de l'époque se double d'un affrontement de classe. Car Petra ne comprend rien aux difficultés de Karine, paumée dans son milieu chic. Pourfendant les moeurs petites bourgeoises de l'Allemagne des années 1960-70 et l'hypocrisie qui les entache, Les Larmes amères de Petra von Kant est une oeuvre politique, aussi. Racinienne et brechtienne à la fois. Désespérée et militante. Paradoxale.
Composée en 1971 par le protéiforme Rainer Werner Fassbinder, qui en tira le film du même nom dès 1972, elle sera le dernier spectacle de l'Antiteater, qu'il a créé en 1968 : un chaotique et iconoclaste collectif de « production théâtrale anti-autoritaire au sein d'une société fixée sur l'autorité ». On y joue brutalement des histoires terribles tirées des grands classiques, ou de l'Histoire — passée ou présente. Fassbinder et ses comédiens ne font pas dans la dentelle. Les spectacles non plus. Le plus souvent dans l'urgence et la violence. Peu de dialogues élaborés, par exemple, dans ces Larmes amères de Petra von Kant, plutôt un déluge de mots. Importent davantage les situations : solitude, trouble amoureux, terreur de perdre l'autre, manque qui serre le ventre, absolue déchéance où peut mener la passion. Encore ne faut-il pas s'y perdre... Or le désordre de la maison de Petra colle ici à celui de la mise en scène. Les acteurs y semblent livrés à eux-mêmes, à leurs trucs de sauvegarde et de survie. En femme possédée par l'amour, Valeria Bruni Tedeschi confond ainsi souvent agitation et émotion. Et son jeu hystérique est trop extérieur, répétitif, ne suscite rien d'autre qu'un agacement vite gêné. Mais fallait-il, aussi, la faire pisser, à deux reprises, assise sur une méchante poubelle, puis s'essuyer avec ce qu'elle a sous la main ? La matérialisation du chagrin n'est pas forcément dans ces outrances ridicules.


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