mercredi 24 juin 2015

Les corps sensuels et la patte provocante de Pascal Rambert


Les corps sensuels et la patte provocante de Pascal Rambert


Fabienne Pascaud
Publié le 08/06/2015.


En trente-cinq ans de spectacle vivant, ce stakhanoviste a tout osé. Avec ses mots qui cognent, l'insaisissable Pascal Rambert en impose.
Il porte les mêmes mocassins Repetto blancs que Serge Gainsbourg. Comme lui, pieds nus dedans. Comme lui, décoiffé, maigre et l'air d'avoir pas mal fêté et bourlingué. Mais l'oeil bleu vif, insolent, moqueur, plein d'énergie. Le verbe rapide et torrentiel, aussi. A l'heure où les Bouffes du Nord lui consacrent un festival — avec à l'affiche cinq de ses spectacles les plus emblématiques —, Pascal Rambert, 52 ans, garde l'allure d'un adolescent. Il dit qu'il n'a vu ni la vie ni le temps passer — « mais une vie totalement immergée dans l'art, quelle chance ! ». Qu'il n'y a pas un jour — en trente-cinq ans d'écriture, de théâtre et de danse — où il n'ait répété. Qu'il n'a pas changé. Qu'il garde toujours la même vitalité qu'à 12 ans, du temps où il vivait à Nice, sa ville natale, dans la station-service de ses parents. C'est à Nice justement qu'à 18 ans il éprouve ses trois chocs fondateurs : les Molière montés par Antoine Vitez, Ein Stück von Pina BauschPar les villages de Peter Handke selon Claude Régy... Avec ces trois artistes-là, Rambert découvre qu'on a le droit de tout oser. Il découvre l'ampleur, l'audace des grands récits personnels, des grands poèmes, des voyages dans le langage.







Alors il entre immédiatement en théâtre, ou plutôt en spectacle vivant, car ses créations aux allures d'installation théâtrale sont d'emblée globales. Corps, mouvements, verbe, espace, éclairage : tout s'y articule. Dès 22 ans, après quelques mises en scène de grands classiques, l'actuel patron du Théâtre de Gennevilliers monte ses propres pièces, drues, bavardes, provocantes, sensuelles. Elles s'appellent déjàDésir, ou Les Lits... Rambert aime jouer de la passion, du choc des mots et du sexe. Avec un réalisme cru qui flirte avec le fantastique. Curieux et dangereux théâtre que le sien, aujourd'hui joué dans le monde entier. Des hommes et des femmes de son âge, souvent artistes comme lui, y disent, en longs monologues chahutés, leurs désillusions et leurs rages. Face à l'amour, la création, la politique. Pas de séparation entre réalité et fiction. Depuis des années, Rambert écrit d'ailleurs sur mesure pour des comédiens qui l'inspirent ; et ses personnages de fiction portent souvent le même prénom que leurs interprètes dans la « vraie » vie ; voir Clôture de l'amour, créé au Festival d'Avignon 2011, ou Répétition au Festival d'automne 2014.
Quand ses excès, ses outrances de dandy ont fini par agacer, au milieu des années 1990, l'homme-orchestre est parti travailler au Japon et aux Etats-Unis. Regarder ailleurs, écouter ailleurs. Il est curieux des autres. Leur pique ce qu'il peut. Six années de suite, à Gennevilliers, il a lui-même animé des ateliers d'écriture chaque mardi soir, tant il avoue que n'importe quelle phrase peut déclencher son propre imaginaire. Ne dit-il pas qu'il a conçu son théâtre comme une chatière par où l'on entre dans l'inconnu et dont on sort sans difficulté... Lui aussi est comme un chat. Insaisissable, fugace. Et pourtant ses mots cognent, crachent, accrochent. C'est dans et par la langue que Rambert se construit, lui qui se nourrit du corps des acteurs, de leur bouche, de leur timbre, de leur énergie pour écrire ses pièces. Lui qui se dit criminel de la langue.




TELERAMA


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