vendredi 23 août 2019

Jeffrey Epstein / Un self-made-man aux appétits sans limites


Jeffrey Epstein en 2004. Photo Rick Friedman. Corbis. Getty 

Jeffrey Epstein : un self-made-man aux appétits sans limites

Par Isabelle Hanne, à New York et Aude Massiot  11 août 2019 à 21:06
Issu d’un milieu populaire, prof de maths, trader, multimillionnaire soucieux de briller parmi la jet-set… Epstein rêvait même d’immortalité.

Avec sa crinière argentée, ses allures de play-boy et son mode de vie clinquant, Jeffrey Epstein semblait être au centre de la vie mondaine new-yorkaise, au croisement des univers de pouvoir et d’argent, au début des années 2000. Transportant acteurs et ex-présidents à bord de son jet, possédant une île dans les Caraïbes, un ranch au Nouveau-Mexique, une luxueuse résidence à Palm Beach et l’une des plus grosses propriétés privées de Manhattan, le financier, mort samedi à l’âge de 66 ans, a longtemps mené grand train. Son extraction modeste, son enfance à Sea Gate, un quartier de la classe ouvrière à Coney Island (Brooklyn), ajoutant à sa mythologie. Inculpé pour exploitation sexuelle de mineures début juillet, il a été retrouvé pendu dans sa cellule de Manhattan samedi matin.
D’abord jeune prof de maths et de physique dans les années 70, Epstein devient trader puis associé dans une ex-grande banque d’investissement (Bear Stearns), avant de fonder, dans les années 80, sa propre entreprise de gestion financière. Il s’impose comme une figure de Wall Street, vante un épais portefeuille de clients (de plus d’un million de dollars) et fait grand cas de sa richesse, se décrivant comme «milliardaire». Les enquêtes réalisées quinze ans plus tard montreront qu’il a exagéré sa fortune, évaluée par le bureau du procureur de New York à 500 millions de dollars (446 millions d’euros). Entre «Cercle des poètes disparus»pour ses années dans l’enseignement, «Magicien d’Oz» ou «Gatsby le magnifique» pour son ambition ou son style dans les affaires : les comparaisons, dans les portraits qui lui sont consacrés par la presse américaine au début des années 2000, alors qu’il est au faîte de sa notoriété, témoignent de l’attrait et du mystère autour de sa personnalité. «Une vie pleine de points d’interrogation», notait déjà le New York magazine en 2002.


Cadeaux

Les accusations contre Epstein, début juillet, n’étaient pas nouvelles. Le financier avait été inculpé pour des faits similaires en Floride en 2007. Accusé de recourir aux services de mineures pour des «massages» et des relations sexuelles tarifées ou contre des cadeaux, dans sa propriété de Palm Beach, il avait plaidé coupable en 2008 dans le cadre d’un accord longtemps resté confidentiel, passé avec le procureur fédéral de Miami de l’époque, Alexander Acosta. Ministre du Travail de Donald Trump, Acosta avait dû démissionner mi-juillet, fustigé pour cet accord jugé très favorable à Epstein.
Les milliers de documents rendus publics vendredi par la justice new-yorkaise apportent de nouveaux détails sur les pratiques du financier. Et notamment la déposition, en 2015, de Johanna Sjoberg, une ancienne assistante de Ghislaine Maxwell, décrite comme la rabatteuse d’Epstein dans la première moitié des années 2000, dont le rôle était de fournir à Epstein plusieurs jeunes filles quotidiennement. «Il m’avait expliqué qu’il devait avoir trois orgasmes par jour, avait affirmé Sjoberg. Que c’était biologique, comme le fait de manger.» Les documents comprennent aussi un reçu d’achat sur Amazon, trouvé dans la poubelle de la villa de Palm Beach pour des livres, commandés au nom d’Epstein. Les titres sont évocateurs de la nature des relations sexuelles désirées par le prédateur, d’une Introduction réaliste à la sexualité sado-masochiste à une Feuille de route pour la servitude érotique en passant par un Guide pour les esclaves érotiques et leurs propriétaires.

Brutalité

Les pratiques d’Epstein, dont plusieurs employés de maison ont déclaré sous serment avoir nettoyé des sextoys dans les salles de massage en Floride, ont, au moins une fois, dérapé dans la brutalité. Une des victimes présumées, Virginia Roberts Giuffre, a fourni aux autorités un dossier médical du Presbyterian Hospital de New York, où elle avait été admise en 2001 après un violent épisode d’abus sexuel. A la fin des années 2000, Epstein avait tenté de revenir en grâce en multipliant les opérations de com et de philanthropie. Avec un certain succès. L’ancien président Bill Clinton, qui a fait plusieurs séjours à bord de l’avion privé d’Epstein pour des événements liés à sa fondation, a même affirmé qu’il ne savait «rien des crimes terribles pour lesquels Jeffrey Epstein avait plaidé coupable il y a quelques années en Floride, ni de ceux pour lesquels il a été récemment inculpé à New York».
Fasciné par le milieu scientifique, Epstein organisait des soirées dans ses villas avec des intellectuels ou chercheurs de renom, tels Stephen Hawking, avec qui il aimait s’afficher. Une enquête du New York Times,publiée fin juillet, avait révélé la dérive du self-made-man vers une sorte de mégalomanie transhumaniste et eugéniste. Entre un fort intérêt pour la cryogénie, et son effarant projet de donner naissance au maximum d’enfants portant son ADN, en ayant des relations sexuelles avec des femmes dans son immense ranch du Nouveau-Mexique. L’homme était peut-être complexé de n’être pas diplômé d’une université prestigieuse, un monde qu’il rêvait d’intégrer. Au point d’arborer des sweat-shirts avec le logo d’Harvard, où il n’a jamais étudié.
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