samedi 3 août 2019

“Happy End” / Nouveau coup d’éclat de Haneke ou concentré indigeste de ses obsessions ?




“Happy End” : nouveau coup d’éclat de Haneke ou concentré indigeste de ses obsessions ?


Michael Haneke reprend sa charge contre la bourgeoisie dans une farce familiale glaçante. Pour quel résultat ? Nos critiques sont divisés.

POUR

Après deux Palmes d’or, Le Ruban blanc (2009) et Amour(2012), Michael Haneke a toujours le regard aussi acéré. Mais il a moins besoin de prouver sa maestria en nous soumettant à un traitement de choc. Dans Happy End, il revisite ses grands thèmes, la violence, l’enfermement et la mort, à travers une comédie noire. Un puzzle humain parfois glaçant et pourtant ludique, un jeu de piste dans la grande demeure de grands bourgeois, à Calais.
Isabelle Huppert joue la chef, femme de tête qui veut aller de l’avant. A quoi bon ? Tout fout le camp. Son père vient de rater sa tentative de suicide et prépare la suivante. Son fils boit et, au lieu de se préoccuper de l’entreprise familiale, la néglige. Son frère est très occupé par sa maîtresse musicienne, avec laquelle il explore des fantasmes d’avilissement, et par sa fille, une gamine quelque peu soupçonnée d’avoir tué sa mère à coups de tranquillisants… Ces personnages sont ceux d’une farce sombre et débridée. Mais la maîtrise est partout. D’abord, chez les comédiens, qui évitent les écueils de la dérision comme de la sursigni­fication. Mathieu Kassovitz, qui interprète le frère, se fait le reflet d’un monde lisse, où tout n’est que neutralité apparente et mensonge. Jean-Louis Trintignant, en patriarche déterminé à mourir, dans la dignité ou dans l’indignité, embrasse déjà un néant qu’il n’essaie pas de faire passer pour une forme de sagesse philosophique. Même la jeune Fantine Harduin sait tenir, sans le simplifier, son personnage de petite fille qui joue avec la vie et les tranquillisants. Haneke, lui aussi, garde de la mesure.
S’il réaffirme sa vision d’une société occidentale mortifère, il n’en appelle pas à la condamnation de ses bourgeois. Il en fait des aveugles, buttant sur une vie qu’ils ne savent plus voir et dont même la dureté leur échappe. C’est l’effondrement général, mais on prépare un mariage. Où des migrants qui errent dans la ville finiront par trouver une place saugrenue, invités à s’asseoir à une table. Tout se mêle, le décorum d’une classe sociale qui n’est plus dans le vrai et la brutalité de la réalité. L’inconscience joyeuse et la tragédie. Un film d’une lucidité tranquille, jamais sentencieuse, sur une perte généralisée des repères. — Frédéric Strauss

CONTRE

Les inconditionnels du cinéma de Haneke, ces masochistes, seront aux anges. Happy End est un concentré des obsessions déprimantes et des figures de style glaciales du maître autrichien, jusqu’à l’autocitation — le personnage de Trintignant explique avoir étouffé son épouse malade pour apaiser ses souffrances, comme dans Amour. C’est bien là le problème, tant le pot-pourri vire au radotage. En matière de satire de la bourgeoisie, Buñuel et Chabrol étaient plus percutants et, surtout, moins sinistres. Les scènes qui se voudraient provocantes, à l’instar des échanges Facebook salaces entre Matthieu Kassovitz et sa maîtresse, sont grotesques. Plus gênant encore, l’embarras des bourgeois face à l’intrusion des migrants semble être partagé par Haneke lui-même : ces pauvres figurants, le film les accueille in extremis, à la sauvette. Et ne sait pas quoi en faire. — Samuel Douhaire

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