mardi 24 février 2015

Audrey Fleurot / La femme fatale d'à côté

Audrey Fleurot
Audrey Fleurot, la femme fatale d'à côté

Hélène Marzolf
Publié le 24/11/2014. Mis à jour le 25/11/2014 à 09h27.
Belle garce manipulatrice dans “Un village français” ou “Engrenages”, Audrey Fleurot est dans la vie une trentenaire simple et nature. Dont l'ascension pourrait bien se confirmer au cinéma.
Installée à la terrasse du café, elle prévient d'emblée toute éventuelle déception : « J'ai conscience que lorsqu'on est actrice on est censée renvoyer quelque chose d'un peu mystérieux, une sorte de fantasmagorie. Mais moi, je vous le dis tout de suite, je suis la fille la plus terre à terre du monde. »
Audrey Fleurot n'est ni iconique, ni évanescente, et s'en excuserait presque. Magnéto encore éteint, elle insiste, l'air embêté : au cas où vous poseriez la question, elle n'est pas trop du genre à « mettre du temps à sortir d'un rôle »,entretient un rapport « artisanal » à son métier, et surtout avoue se méfier d'elle dans l'exercice imposé de l'interview, entre la peur d'être trop sincère et celle de « raconter des trucs très cons ».
On pouvait s'y attendre. Comme la Fabienne Tabard deBaisers volés, Audrey Fleurot est une femme, pas une apparition. Le seul point commun entre l'actrice de 37 ans et les rôles de garces vénéneuses qui l'ont imposée à la télévision, c'est ce physique impressionnant, prompt à susciter des fantasmes dans lesquels elle affirme « ne pas se reconnaître ».





Feutre lie-de-vin sur la tête, grandes lunettes de soleil, chevelure de feu cascadant sur les épaules, voix chaude, Audrey Fleurot possède l'aura intemporelle d'une actrice hollywoodienne. Pour le reste, elle semble plus proche de la trentenaire nature, chaleureuse et cash qu'elle interprète dansLes Gazelles – film girly sur les célibataires modernes. Avec la même propension à prendre à rebrousse-poil le mythe de l'éternel féminin.
« Quand je lis des interviews d'actrices qui racontent qu'elles se lèvent à 6 heures du mat' pour faire une salutation au soleil, puis boivent du jus d'herbe avant de grattouiller leur guitare ou de relire tout Schopenhauer, franchement, je n'y crois pas ! Moi, s'il est tôt, je me réveille dans le coaltar, et je pars sur un tournage avec les fringues de la veille et des patchs anticernes dans la poche ! »
Plus prompte à l'autodérision qu'à l'automythification, l'actrice se plaît, d'interview en interview, à rappeler qu'enfant elle était « ingrate physiquement ». Au naturel, elle correspond en tout point au portrait que dresse d'elle son entourage professionnel : une fille « franche », « directe », « terrienne », « bourrée d'humour ». C'est une sorte de « Katharine Hepburn française, avec une gouaille à la Arletty », s'enflamme son partenaire d'Un village français Richard Sammel. Qui, comme ses autres camarades, loue son « charisme » et sa « présence extrêmement forte ».
Depuis quelques années, cette « présence » s'impose de plus en plus. Sans encore jouer les premiers rôles, Audrey Fleurot pimente les films choraux, affirme une singularité. A la télévision, elle explose dans les nouvelles saisons d'Engrenages et d'Un village français, où elle reprend, avec un inimitable mélange de froideur et d'émotion, ses deux personnages fétiches : la machiavélique avocate Joséphine Karlsson et la trouble Hortense Larcher, amoureuse d'un officier nazi.
Au Théâtre Edouard-VII, elle révèle un formidable abattage face à Eric Elmosnino et Guillaume de Tonquédec dans Un dîner d'adieu, un vaudeville virevoltant, disséquant la perversité des liens amicaux. Enfin, depuis qu'elle a été repérée dans Intouchables (un petit rôle d'assistante de François Cluzet), elle creuse, au cinéma, une veine plutôt humoristique, souvent dans des comédies de filles : on l'a vue en hilarante et touchante apprentie catcheuse (Les Reines du ring), en présidente des Etats-Unis (Mais qui a re-tué Pamela Rose ?), ou en beauté frigide (Sous les jupes des filles).




« C'est une des comédiennes les plus protéiformes que je connaisse »,s'enthousiasme Philippe Triboit, qui l'a dirigée dans Un village français etEngrenages. Audrey Fleurot peut se targuer d'avoir réussi à abolir certaines frontières : issue du théâtre subventionné, elle s'impose dans le monde codifié et boulevardier du théâtre privé. A l'instar d'un Reda Kateb (repéré dans Engrenages) ou d'un Guillaume de Tonquédec (M. Lepic de Fais pas ci, fais pas ça), elle fait partie de cette poignée d'acteurs télé désormais courtisés par le grand écran : « Pendant longtemps la qualité médiocre des fictions ­ télé atteignait, par capillarité, les acteurs qui avaient à jouer des choses moyennes, analyse Philippe Triboit. L'évolution des séries françaises change parallèlement le regard du cinéma. »
Pas encore totalement : alors que, dans le monde anglo-saxon, les acteurs circulent d'un registre et d'un écran à l'autre, le décloisonnement, en France, reste limité. Et, encore aujourd'hui, mieux vaut être miss météo talentueuse (Louise Bourgoin) ou humoriste décalé (Omar Sy) qu'estampillé « fiction télé » pour percer au cinéma. « Je n'ai toujours pas accès aux films d'auteur, concède Audrey, fan de Xavier Dolan.J'ai essayé de rencontrer les réalisateurs avec lesquels j'avais envie de travailler, ils ne m'ont même pas répondu ! »
Lucide mais sans aigreur, elle reconnaît avoir eu ses rôles les plus complexes à la télévision et sourit encore en pensant à certaines réflexions balancées par le milieu :« Il m'est arrivé de me retrouver dans des soirées où les gens me disent : "Vous êtes formidable, mais pourquoi vous ne faites pas de beaux films ?" Comme s'ils ignoraient qu'on dépend du désir des autres. »





L'année dernière, elle a d'ailleurs choisi de ne rien tourner au cinéma. « On m'a proposé des comédies pas drôles, ou des premiers films superbes mais qui n'arrivent pas à se monter parce qu'ils sont trop inclassables et que le cinéma aime pouvoir catégoriser les choses. » Cette façon de tout mettre dans des cases la désarçonne. « Où que soit un comédien en France, il est dans une position inconfortable. Quand j'ai commencé à tourner pour la télévision, certaines personnes du milieu théâtral m'ont fait sentir que si je préférais me pros­tituer, c'était mon choix ! »
Son image tout sauf « fille d'à côté » ne facilite pas les choses : « J'ai conscience qu'on ne m'envisage pas dans tout. Au théâtre c'est plus facile, le problème de l'apparence s'y pose moins. Vous pouvez jouer un enfant, une vieille, vous pouvez porter des perruques, un costume, on peut plus facilement projeter n'importe quoi sur vous ! »
C'est littéralement sur scène qu'est née sa vocation artistique. Elevée loin du show-business, Audrey Fleurot a eu, très tôt, le déclic, en accompagnant son père, pompier à la Comédie-Française, à une représentation : « Ça reste un souvenir très fort ! Comme j'assistais au spectacle depuis un strapontin de service, je voyais les changements de décor, ça me plaisait de regarder ce qui se passait devant et derrière la scène. »





La jeune fille met pourtant un moment à trouver son mode d'expression. « J'ai fait l'école du cirque, et puis je me suis rendu compte que je n'avais pas un physique de circassienne. Après, j'ai voulu faire de la danse, mais, là encore, j'ai vite compris que je n'avais pas un corps de danseuse. » Ce sera le théâtre : l'Ensatt à Lyon, puis dix ans de théâtre subventionné, avec des metteurs en scène comme Gérard Desarthe ou Laurent Pelly, jusqu'à ce qu'Alexandre Astier l'engage pour jouer la dame du lac dans Kaamelott.
Première expérience grand public et personnage culte, entre Bécassine glamour et pimbêche d'époque. D'autant plus notable qu'elle apparaissait sous forme d'hologramme ! « Depuis, j'ai eu la chance de toujours beaucoup travailler », dit celle qui, à certaines périodes, pouvait enquiller plusieurs tournages dans la même journée.





De la scène, elle a conservé, selon sa partenaire des Gazelles, Camille Chamoux, « la rigueur, la faculté d'apprendre très vite les textes ». De sa longue expérience des tournages de séries télé, une propension à l'efficacité. « Quand vous devez produire dix minutes d'images utiles par jour, vous n'avez pas le temps d'avoir d'états d'âme. » Audrey Fleurot est l'incarnation de cette catégorie d'acteurs multifonctions, rodés à l'esprit de troupe, aux processus de création industrielle.
« Elle a un côté très physique, un peu surdimensionné par rapport à ce qu'elle joue. Cela démultiplie ce qu'elle renvoie à l'écran, une beauté forte, mais aussi une forme de rudesse », dit Philippe Triboit. « Il y a dans son jeu quelque chose d'à la fois très féminin et très viril », précise Bernard Murat.
Cette dimension « physique », l'actrice la peaufine, depuis treize ans, à travers la pratique intensive du tango. « Je pars régulièrement faire des marathons de tango partout dans le monde. J'y retrouve une communauté internationale de danseurs. On investit soit un bel hôtel, soit un endroit où l'on installe des dortoirs pour se reposer deux ou trois heures avant de redanser. C'est assez extrême comme aventure, mais c'est très addictif ! »





La comédienne rêve de mêler cette passion à sa pratique d'actrice, en participant à des comédies musicales ou en montant un cabaret. « Je ne suis pas au bon endroit à la bonne époque, s'amuse-t-elle. Moi, j'aurais dû vivre dans les années 40 ! » Un sentiment de décalage accentué par les contraintes d'une vie moderne où tout va trop vite, où la promo vous transforme en homme-­orchestre (« on vous utilise comme chroniqueur dans les émissions, on vous demande de faire tout et n'importe quoi »),où l'effet amplificateur d'Internet « vous pousse à vous prendre les pieds dans le tapis ».
Aujourd'hui encore, elle regrette d'avoir raconté – dans Téléramad'ailleurs – sa participation au film de Woody Allen Minuit à Paris, où elle a finalement été coupée au montage. « J'avais évoqué cette expérience sans en faire toute une histoire, mais ensuite, ça a été monté en épingle sur Internet, sur le mode "elle règle ses comptes avec Woody Allen". Et depuis, à chaque interview, il faut que je me justifie ! »
Lorsqu'elle ne joue pas, cette hyperactive continue à « faire tourner la machine » : « Je dois avoir un fond de culpabilité judéo-chrétienne, parce que je n'arrive jamais à me poser. » Très manuelle, elle adore passer son après-midi au rayon bricolage du BHV ou refaire le carrelage de la cuisine, et se passionne pour des activités inattendues : « A 16 ans, j'ai fait de la maçonnerie lors d'un stage de reconstruction de patrimoine, et j'ai adoré ! »
Quant à ses vacances, « c'est Koh-Lanta ! » rigole Camille Chamoux. Audrey Fleurot confirme : « Je pars faire de la rando en montagne. Et je dois être la seule crétine à m'être lancée dans le surf à plus de 35 ans. Ce qui est très ingrat, parce que je passe mon temps à me prendre de l'eau dans la figure ! Mais comme je suis hyper volontaire, je vais y retourner jusqu'à attraper la vague. » On ne doute pas qu'elle finira par l'attraper.



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