Rainer Werner Fassbinder
Le mariage de Maria Braun
Avec Hanna Schygulla , George Eagles , Claus Holm ...
SYNOPSIS
Le Mariage de Maria Braun, réalisé en 1978, suit le destin d’une femme pendant les années de reconstruction que les références diégétiques situent entre 1943 et 1954. Le film se déroule pendant les derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale. Maria Braun (Hanna Schygulla) épouse un soldat, Hermann (Klaus Löwitsch), qui doit repartir sur le front juste après leur mariage. La cérémonie se passe pendant que la ville est bombardée par les avions alliés.
- Hermann disparait puis réapparait
Après la guerre, Maria apprend qu'Hermann est mort sur le front Est ; elle devient entraîneuse et s'éprend d'un soldat noir-américain, Bill (George Byrd). L'amour de Maria pour Bill augmente chaque jour un peu plus, jusqu'à ce qu'un jour Hermann apparaisse sur le pas de la porte de la chambre de Maria. Il espionne quelque temps les deux amants et est finalement découvert. Bill et lui en viennent aux mains. Dans le feu de l'action, Maria assomme Bill en lui cassant une bouteille sur la tête et par là-même le tue.
Maria est accusée de meurtre devant un tribunal américain. Mais, à la surprise générale, Hermann se déclare coupable. La scène suivante montre Hermann, prisonnier et condamné à une longue peine de prison.
- La rencontre avec Oswald
Lors d'un voyage en train, Maria rencontre Karl Oswald (Ivan Desny), un industriel français, et lui fait les yeux doux. Peu après cette rencontre, Maria devient la secrétaire personnelle d'Oswald. À ce poste elle apparaît comme quelqu'un de très ambitieux. Avec Karl Oswald et son comptable (Hark Bohm), Maria forme le trio dirigeant de la firme.
Mais Maria a l'intention de séduire son patron et réussit son entreprise. L'aventure de Maria et Karl s'intensifie et accède au statut de relation longue. Pourtant Maria reste fidèle à l'amour qu'elle éprouve pour son mari. Et pendant cette période elle prend l'habitude de rendre visite en prison à Hermann. Plus tard Karl prend la décision d'aller lui aussi voir Hermann en prison, le bilan de cette visite reste assez flou, le spectateur ne comprend pas bien la raison qui pousse Karl à voir l'ex-mari de son amie.
- Hermann part, Maria se meurt
Hermann sort enfin de prison, et Maria, qui était venue le chercher, apprend qu'il est déjà parti depuis peu. Elle reçoit peu de temps après une lettre dans laquelle Hermann lui dit qu'il a pris la décision de partir à l'étranger pour quelques mois afin de "redevenir un homme". Et comme symbole de sa confiance et de son amour il lui enverra chaque mois une rose.
Comme prévu elle reçoit chaque mois une rose de sa part. Aussi dans sa vie professionnelle est-elle chanceuse, pourtant elle ne se sent pas heureuse. Ce sentiment est tout à fait bien montré dans la scène où elle se montre à l'égard de la secrétaire d'Oswald à la fois sarcastique et imbue d'elle-même. Par ailleurs, sa mère lui expose l'idée que bien qu'elle réussisse tout ce qu'elle entreprend, elle n'extériorise aucune soif de vie, elle ne donne pas l'impression d'être en vie.
- Oswald meurt, Hermann revient
Elle s'achète une maison dans laquelle elle vit seule. Pendant de nombreuses années elle s'imagine qu'Hermann va revenir et qu'ils vivront heureux ensemble. Nous avions en effet déjà appris que Karl était très malade et qu'il lui restait peu de temps à vivre. C'est à son travail que Maria apprend la mort de Karl.
Peu après Hermann est de nouveau là. Maria lui tombe dans les bras comme quelqu'un qui est à bout de force depuis longtemps déjà. Le notaire arrive chez eux pour ouvrir le testament de Karl, et leur apprend que toute la fortune de Karl leur est attribuée. Mais ils n'en profiteront pas longtemps car Maria meurt dans un accident.
A CRITIQUE TV DE TELERAMA DU
16/06/2012
| Genre : mélo ironique.
Après la Seconde Guerre mondiale, dans l'Allemagne en ruines, Maria Braun attend le retour de son mari, Hermann. On le croit mort. Quand il surgit à l'improviste, Maria vit avec Bill. Elle tue son amant. Hermann s'accuse du crime et fait de la prison. Pendant ce temps, Maria devient la maîtresse de son patron.
Le film rencontra un grand succès, joué avec conviction par Hanna Schygulla — sa prestation constitue le sommet d'une collaboration de plus de dix ans avec Fassbinder. Sous le couvert d'une intrigue romanesque et mélodramatique, Fassbinder décrit avec une profonde ironie l'Allemagne d'Adenauer et de la reconstruction. Symboliquement, le film s'achève sur la victoire de l'équipe nationale de football à la Coupe du monde 1954, moment décisif pour le peuple allemand, qui, de vaincu, redevient vainqueur.
La critique est violente. Ne voit-on pas Fassbinder lui-même, dans une courte apparition, sacrifier la poésie — les oeuvres complètes de Kleist — sur l'autel du marché noir ? Un film admirable de maîtrise, mais sacrément dérangeant. — Aurélien Ferenczi
Aurélien Ferenczi
LIBERTÉ SANS CONSCIENCE N’EST QUE RUINE DE L’ÂME par Ariane Beauvillard Le Mariage de Maria Braun DIE EHE DER MARIA BRAUN |
Le Mariage de Maria Braun est une sorte de Tristana berlinois mettant en scène la femme-métaphore d’un pays en reconstruction qui menace de sombrer dans la folie. Entre réalisme pointilleux et questionnement intemporel sur le devenir d’une société qui n’aspire qu’au bien-être matériel, Fassbinder, comme toujours, va bien au-delà de la chronique historique. Ce film est l’aveu le plus parfait de l’intérêt obsessionnel du réalisateur pour la déliquescence morale, et reflète ce que le cinéma contemporain a du mal à mettre en scène aujourd’hui : une société en crise.
C’était mieux avant ? Mais l’événement destructeur a tout rasé, emporté sur son passage. Et cet avant même n’existe plus, épuisé de servir de repère fallacieux dont il est impossible d’oublier qu’il aurait pu être l’annonciateur de la catastrophe. Le seul événement qui intéresse Fassbinder, c’est ce mariage : rapidement filmée, évacuée, la cérémonie est à l’image de la guerre, brutale et insensée, extraordinaire aussi. Maria et Hermann signent leur contrat de mariage en une minute et entre deux bombes, sans un regard, sans un chichi. La portée de l’événement est faible, car le strict factuel n’intéresse que très peu Fassbinder : son centre et son pivot est l’absence de temporalité des sociétés en crise, la soumission des personnages aux événements. Il n’y aura pas de date, mais une ambiance, un étirement du temps de l’oubli, de la cicatrisation de la blessure en cours d’infection.
En l’occurrence, il s’agit de la société allemande d’après-guerre, du Berlin quadripartite -Maria vit visiblement du côté américain, de ses aspirations au confort moderne et au bonheur matériel. Maria fait partie de ces femmes, amantes d’un soir, élégantes d’un jour, qui cherchent à joindre les deux bouts sans jamais interroger sa conscience, mais ne désespérant jamais de l’avenir. Et pourquoi l’interrogerait-elle ? La première partie du film montre une femme obsédée par le retour éventuel d’un mari que tout le monde croit mort : des bras d’un Noir américain à ceux d’un industriel français, son cœur balance pourtant. A tel point qu’après le retour miraculeux, presque irréel, d’Hermann, la belle Maria hésite entre l’amour et le confort. Les temps changent, s’intervertissent lors du jeu de piste filmique : Hermann rentre mais laisse Maria au riche Oswald, revient après la mort de celui-ci pour conquérir un amour condamné dès la première scène. Tout s’enchevêtre, tout se mélange, parce que, dans les sociétés post-diluviennes, ce n’est pas la reconstruction qui compte, mais son mode d’élaboration.
Fassbinder a toujours eu la dent dure avec son propre pays : dans Le Mariage de Maria Braun, il présente un pays ruiné, troué physiquement, disloqué par le temps long et étiré d’un récit aussi métaphorique que pointilliste dont le décor est sans cesse parasité par de nombreux détails. Un visage clair peine à cacher le fond gris, la parole humaine est toujours remise en question par une radio, un cri, un son discordant. L’Allemagne est devenue une parodie, un déséquilibre, un pays d’attente. Et la souffrance est souvent mauvaise conseillère : le personnage d’Hermann intervient comme un rappel permanent de celle-là : prisonnier de guerre, relâché, trompé, puis écroué pour un meurtre qu’il n’a pas commis, il est la mauvaise conscience de Maria qui, peu à peu, sombre dans la folie. Folie consumériste tout d’abord, puis folie meurtrière.
Elle naît dans un pays qui ne réussit pas, pour Fassbinder, à inverser le cours des choses : le médecin se drogue, le libérateur est assassiné, et l’érotisme des corps nus est figé, à peine stimulé par le souffle d’êtres encore vivants, mais presque morts. L’un des jeux les plus flagrants de Fassbinder est celui du cache-cache entre l’avant-plan et l’arrière-plan, la représentation et sa contradiction : toute ouverture est annihilée par un entrelacs de portes, toute manifestation de joie est atténuée par un détail funèbre, toute sensualité est rendue caduque, fausse, vide ; La Mariage de Maria Braun est presque en cela un film de nature morte. Le décor est encombré, profusionnel, mais terriblement figé. Le réalisme de la reconstitution des années d’après-guerre, leur système D, leur surveillance permanente et leurs champs de ruines, ne crée pas seulement une forme de mélancolie suprême, mais également un burlesque, un ridicule, louchant sur l’hystérie d’une Maria peu encline à la mesure.
Et la mort revient, toujours. Hermann est amputé de son bras, l’Allemagne de sa conscience. Maria rit, éclate, se donne, mais reste incapable d’établir un contact avec l’autre, à l’image d’un pays qui écoute la radio, regarde la télévision... et gratifie sa reconstruction de nouveaux objets, de nouveaux joujoux qui mettent de côté l’humain et annihilent toute possibilité de renaissance. Tout se mélange, du rock au 23e concerto de Mozart en fond musical : on sait que le film commence dans l’immédiat après-guerre et qu’il se termine le jour de la finale de la Coupe du Monde 1954. Mais que s’est-il passé entre les deux ? Des atermoiements, des tentatives éperdues d’oubli et de retour à la normale – à une norme matérielle, mais pas de guérison humaine. Il reste un cortège d’ombres qui réussit à retrouver une quotidienneté rassurante sans parvenir à survivre.
La nouvelle histoire de l’Allemagne de l’Ouest, commencée avec ce film, s’achèvera plus avec Le Secret de Veronika Voss et Lola, une femme allemande. Fassbinder, peu religieux mais mystique du combat entre un idéal et un contexte, regrette l’absence d’entreprise sotériologique allemande. Qu’en est-il d’un monde où l’on sacrifie Kleist sur l’autel du marché noir ? Un monde de fuite, un monde dans lequel la croissance miraculeuse d’Adenauer n’a pas tout vaincu, et n’a pas réussi à inverser l’inversion morale : à cette image, Maria est à la fois la sainte, l’éperdue, la pute, la matérialiste, l’espoir et la mort. Elle est multiple et trouble. Après avoir accepté un pacte méphistophélien, Maria est tuée par la réalité immanente, celle d’un contexte générationnel qui hante le réalisateur. Le film date de 1979, au moment où une autre crise apparaissait. Mais Fassbinder n’aura pas eu le temps d’en faire la peinture acerbe.
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