Abel Ferrara
Welcome to New-York
(2014)
Publié le mai 26, 2014DES FILMS PAR ALEXANDRE CARDINALE
Voici un énième film à buzz! Pour ne pas changer… Fruit de la rencontre entre Abel Ferrara, légende trash du cinéma des années 80, autant connue pour ses frasques et ses addictions diverses que pour la damnation parfois mêlée à la rédemption caractérisant ses (bons) films, et Vincent Maraval, producteur français entreprenant et couillu, l’un des rares à jeter un pavé dans la mare concernant le mode de fonctionnement d’un certain cinéma français, celui que l’on aurait appelé le « cinéma de papa » si nous avions été au temps de la nouvelle vague.
De cette rencontre entre deux entités peu anodines voire sulfureuses de la galaxie du cinéma nait un métrage dont le sujet lui-même est plus que polémique et sulfureux au possible, dans la mesure où il narre la mise au jour des turpitudes sexuelles, voire génitales, d’un des (anciens) princes de ce monde, en la personne de Dominique Strauss Kahn, ancien boss du F.M.I et plausible candidat à la dernière élection présidentielle française.
Affirmons le d’emblée, la force première de ce métrage, c’est Gérard Depardieu, tant l’acteur déploie à nouveau un pouvoir d’incarnation saisissant, confirmant s’il en était besoin que notre exilé moscovite préféré est un des meilleurs acteurs du monde.
L’acteur fait en effet don de son corps afin que les pulsions dangereusement obsessionnelles de son personne offrent un spectacle étrange d’orgies inscrivant le dernier film de Ferrara dans le registre du sexe bizarre au cinéma, là où croupissent les corps martyrisés de Salo ou les 120 journées de Sodome, d’Irréversible ou bien encore de certains films de Catherine Breillat.
Le corps de Depardieu est ici celui d’un immense bébé joufflu et porcin, dont les étranges bruits de fornication rappellent la bande son d’un documentaire animalier sur les copulations frénétiques de phacochères excessivement libidineux défoncés au captagon et au viagra thaïlandais. On savait que Depardieu savait utiliser son corps comme personne d’autre au cinéma, tant la manière qu’il a de l’offrir est un cadeau à la caméra, un don total donc, dont très peu d’acteurs et d’actrices sont capables, et de rayonner de façon solaire à travers ce don, tant son corps occupe le cadre, l’espace et l’histoire.
On peut repenser ici au cinéma de Marco Ferreri, surtout La dernière femme. Depardieu incarne ici une obsession boulimique et malsaine qui force son personnage à consommerles corps le plus rapidement possible comme si sa vie en dépendait, au lieu de les savourer et de prendre véritablement le temps de l’érotisme et du sexe…
L’ensemble donne parfois une dimension comique, surtout lorsqu’il nous est donné de contempler le visage ébahi de l’acteur en plein head-fucking, nous gratifiant de couinements de goret psychotique, transformant cette séquence en celle de head fuck la plus désopilante de l’histoire du cinéma.
Le rôle est difficile, car incarner un personnage de la stature de DSK n’est pas une mince affaire, et endosser l’histoire qui fut sienne encore moins. La longue séquence de déshabillage une fois en prison en est le parfait exemple: éprouvante, longue et minutieuse, l’acteur s’y soumet pourtant sans broncher. Le bide énorme de Gérard le fait ressembler à un gros bébé maladroit qui se cogne aux corps frêles des jeunes filles qu’il dévore inlassablement. Objet cinématographique unique et légendaire, il faut interdire à monsieur Depardieu de perdre du poids, tant son physique est grandiose et unique.
Ah ! Etrange et unique acteur qu’est Depardieu, dont le bout du nez me fait irrémédiablement penser, et depuis toujours, à des fesses de femme… Gargantua insassiable dans la chambre duquel défilent de nouvelles escorts alors que les autres repartent, abonné aux corps devenant flasques, fatigués de sexe, de teuf et de coke. Devereaux est l’écrin parfait pour Depardieu et tout ses excès.
On a reproché à la forme du film d’être soporifique, ou de ressembler un téléfilm. La photo offre pourtant parfois une lumière verticale du plus bel effet. Le découpage sobre et classique, offre par moments de beaux travellings ou de beaux zooms. Ferrara filme même très bien les couloirs (!), utilisant à chaque fois la bonne focale, et nous propose un découpage satisfaisant, sans être pour autant à la hauteur de ce dont il était capable lorsqu’il était à même de côtoyer les sommets de son art. Nous sommes en tout cas loin de cet épouvantable navet empreint de spiritualité bobo-New Age que fut le pathétique 4:44 Last day on Earth, le seul film de l’histoire du cinéma coupable de proposer des mouvements branlants et saccagés alors qu’ils sont tournés à la dolly sur un sol plat et en intérieur.
Si le film dérange grandement, c’est peut-être parce qu’il dépeint la vie et la nature de celui qui fut un des hommes les plus puissants de ce monde, mais également le spectacle de la caste sociale la plus dominante du monde contemporain, offrant au spectateur la vision d’une élite puissante et riche, à même de se payer défonce, putes et hédonisme à volonté. Gageons que le film ne devrait pas encourager les prolos smicard qui ne peuvent même pas payer une sortie à la fille qui leur plait d’aimer davantage les élites de ce monde.
La première demi-heure est peu longue, on s’enlise dans d’interminables scènes de sexe, les courtisanes s’enchainant dans la suite de notre homme et, plus ennuyeux, on sent chez Ferrara la volonté d’aller plus loin dans la représentation du sexe l’écran, comme s’il fantasmait sur le porno, sans oser toutefois s’y glisser et s’y essayer. Comme au fond bien d’autres auteurs contemporains: Lars von Trier en tête, qui déploie des trésors de trucages numériques et autres maquillages pour une restitution visuelle quasi parfaite de ce qui reste un simulacre de fornication mise en scène. On veut flirter avec le X, mais on a peur d’entrer dans cette catégorie, tout cela est au fond bien prude et ironique de la part de ces réalisateurs. Surtout à une époque où le sexe, à force d’exposition médiatique, change de stature sociale et peine de plus en plus à choquer.
N’est donc pas Nagisa Oshima ou Catherine Breillat qui veut…
Une certaine presse et les protagonistes principaux de l’histoire ont accusé le film d’être anti-banquier (ce qui à notre époque relève davantage de la vertu cardinale qu’autre chose) mais, fait beaucoup plus ennuyeux, d’être antisémite…
Qu’en est-il vraiment ? Il est vrai que la séquence d’introduction de la femme de Devereaux dépeint une soirée où l’attachement de cette dernière à Israël est mentionné. Le fait de mentionner ce pays apporte-t-il quelque chose à l’histoire ici narrée ? Nous en doutons fortement… La très grosse ambiguïté autour de l’argent et des juifs qui achève de transformer ce film « provocateur » en film « très sulfureux », n’est pas aidée par les piteuses explications du réalisateur à ce propos, Ferrara déclarant à l’AFP le Dimanche 22 Mai « qu’il a été « élevé par des femmes juives » (peut-être que cela rend antisémite ?), et « qu’il n’espère pas être antisémite ». Etrange, en général on arrive à savoir assez précisément qui sont les gens que l’on aime, et ceux que l’on n’aime pas… A l’heure où l’on tue à côté du musée juif de Bruxelles (semble-t-il pour des motifs antisémites, l’enquête de police n’étant pas encore bouclée à l’heure où nous écrivons ces lignes), où l’on « ratonne » deux hommes juifs à Créteil, Welcome to New-York, film « sulfureux » donc, jette de l’huile sur le feuj entretient un climat délétère et nauséabond dont personne à la direction de ce film ne sort grandit.
Tout provocateur et sulfureux qu’il est, le dernier métrage de Ferrara reste tout de même juridiquement très prudent si l’on se réfère au (long, très long) texte du début, qui semble être là pour préparer une éventuelle défense juridique, au cas où… Y aurait-il de la fausse subversion dans l’air?
Avons-nous donc là uniquement un film à charge contre DSK ? Apparemment non, si l’on se réfère au générique définitivement orienté contre le système financier. Pour ceux et celles qui ignorerait tout des protagonistes de l’histoire et des tribulations auxquelles ils ont été confrontés, le film de Ferrara ne serait rien d’autre qu’un film sur un obsédé psycho-pathologique. L’impact du film serait-il le même s’il prenait pour personnage principal un inconnu du grand public ou un pur personnage de fiction? Peut-être pas.
Quelle est la symbolique du plan sur l’homme noir à la fin de la première audience ? Renvoie-t-elle à la souffrance du peuple noir dans l’histoire des USA? A l‘oppression subie par une femme de chambre noire prolétaire agressée sexuellement par un banquier blanc juif et sioniste ? Les longs silences de confrontation entre Devereaux et ses codétenus lors de la première incarcération résonnent dans le même sens: celui d’une revanche d’un prolétariat américain promu à la misère et à la vindicte d’une justice américaine connue pour haïr les pauvres. Le film de Ferrara est-il conçu comme une revanche contre l’élite mondialisée ? Si tel est le cas, pourquoi teinter son film d’antisémitisme en l’affublant d’âneries aussi navrantes à propos du père du personnage de Catherine Bisset ? Un tel discours de fond de chiottes est indigne du grand réalisateur qu’est (fut ?) Abel Ferrara…
Pauvre Nafissatou, si elle avait su qu’enserrer une paire de testicules avec toute la force d’une main est en général suffisant pour stopper toutes les velléités d’un fâcheux mal intentionné à la libido mal placée, surtout lorsque ledit broiement de pources est ensuite accompagné d’une frappe dans la pomme d’Adam, d’un coup de coude dans la tempe ou d’un coup de genou porté sur la pointe du menton. Rien de tout cela, ou presque, ne serait arrivé.
Et la vérité dans tout ça ? Dialo est-elle une opportuniste qui a flairé un bon coup pour se faire du bif sur le dos d’un gros bourge ? Comme semblent confirmer les enregistrements téléphoniques qui discréditèrent sa réputation de témoin-victime face à la justice américaine ? Qui est vraiment DSK ? La victime d’un coup monté ? Repensons au sketch de Stéphane Guillon, le dépeignant en gros libidineux qui ferait passer Rocco Siffredi pour un moine franciscain dépressif atteint de paralysie faciale (faciale, sans mauvais jeu de mot, bien sur). Repensons à la réaction de DSK lors de ce sketch: l’homme est apparemment très vexé et profondément irrité par les racontars de l’ancien histrion de France Inter, comme si ce dernier touchait quelque chose de sensible, de très sensible, et ne relevait pas forcément de l’ironie fictionnelle… La morale, vaseuse et obscure, de cette histoire correspond bien à notre époque, où bien et mal disparaissent derrière l’hypocrisie et les inénarrables discours de ceux à qui cela déplait. N’oublions pas non plus que le « troussage de domestique » est un viol, n’en déplaise à Monsieur Kahn et à ses amis…
Quelle solution pour DSK s’il voulait vraiment s’en sortir ? Se mettre au porno tout simplement. Il y assumerait pleinement ses penchants pour la chair et la consommation excessive qu’il fait de cette dernière. Un ancien patron du FMI devenue star du X, après tout pourquoi pas. Ca aussi, ça ferait le « buzz ».
L’unique avantage proposé au fond par la dernière production de Maraval est d’utiliser le brouhaha médiatique pour faire la promotion de la VOD, moyen de diffusion qui, s’il est utilisé avec intelligence et honnêteté, permettra peut-être à certains films, et certains réalisateurs, de pouvoir diffuser leurs travail en échappant à la censure du système de production et de diffusion traditionnels, trop souvent synonymes de restriction. C’est en cela le seul espoir véritable qui se dégage de Welcome to New-York.
Au delà du choc de la polémique, de l’originalité du sujet (la chute teintée d’autodestruction de celui qui fut l’un des hommes les plus puissants de la planète),Welcome to New-York est un film qui correspond bien à notre époque où plaisir, argent et pouvoir semblent être des facteurs d’immunité et d’acceptation sociale absolue, si l’on observe le parcours de DSK, qui semble timidement, ou sournoisement, effectuer un retour à la vie publique. Le dernier Ferrara n’est au fond rien d’autre qu’une histoire profondément immorale, correspondant bien à un monde, lui, de plus en plus amoral…
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