A l'occasion de la sortie de “Crimson Peak”, rencontre avec la jeune actrice australienne Mia Wasikowska, phénomène de curiosité, de timidité. Et d'audace.
« - C'est qui qui joue Madame Bovary ? - C'est Mia Wachi... Wazi... Koche... - Ah oui, j'arrive jamais à dire son nom ». Si cet échange entre deux spectatrices, pendant le dernier festival de Deauville, est resté dans notre oreille, c'est qu'on en est tous passé par là, avec la Wasikowska. Posées sur cette jeune actrice gracile née en Australie il y a vingt-six ans, ces quatre syllabes faisant un bruit d'arme soviétique ont toujours semblé un peu difficiles à mettre dans le bon ordre. Même pour elle, ce ne fut pas si évident. « J'ai grandi en entretenant une relation d'amour-haine avec ce nom. A l'école, les gens bloquaient dessus. C'était gênant et, en même temps, ça faisait de moi une sorte de personnage. Je n'ai jamais pensé que ça pourrait un jour me compliquer la vie si j'essayais de faire carrière dans le cinéma. Et maintenant, je crois qu'on a dépassé ce stade. En tout cas, si on refusait de me confier un rôle à cause de mon nom, ça ne me ferait rien ».
Mais qui envisagerait de se passer de Mia Wasikowska ? En quelques années, elle est devenue l'indispensable partenaire des auteurs qui tournent en langue anglaise, baptisée par Tim Burton (Alice au pays des merveilles, 2010), adoubée par Gus van Sant (Restless, 2011), vampirisée par Jim Jarmusch (Only lovers left alive, 2013) et rêvée comme dans un cauchemar par Cronenberg (Maps to the stars, 2014). Capable d'être romantique (Jane Eyre, sous la direction de Fukunaga en 2011) ou sanguinolente (dans Stoker, 2013, de Park Chan-wook) et maintenant les deux à fois dans Crimson Peak de Guillermo del Toro. Une filmographie qui, comme son patronyme, la distingue radicalement. Pourtant, elle semble surtout ne pas vouloir se faire remarquer, assise bien sagement dans la chambre d'hôtel où on la rencontre, le temps des vingt minutes de promo réglementaires. Grande et menue, elle arrive à se faire toute petite et parle avec une voix d'enfant craintive, soulagée quand elle peut rire un peu.
De son image, de ce qui la distingue et fait d'elle une actrice différente, elle assure n'avoir aucune idée. Peut-être est-ce simplement le fait de continuer à vivre en Australie, de rester une visiteuse à Hollywood, comme son personnage dans Maps to the stars ? « Je sais quand même que j'ai eu la chance de travailler avec des gens très bien, car avant de faire des films, j'en ai vu énormément. J'étais une grande cinéphile », avance-t-elle en rosissant presque. Sa mère, une photographe polonaise féministe qui lui donna son nom et pas celui de son père, fit son éducation cinématographique. Et elle poursuit donc ses études avec les meilleurs maîtres du septième art, devenue actrice après avoir voulu être danseuse, sans avoir jamais cessé d'être spectatrice.
Goût pour l'imprévisible
Inspirés par son physique atypique, d'une neutralité qu'on peut sans peine mener à la beauté ou malmener vers la laideur, les cinéastes ont su mettre à profit sa fragilité et en faire une force. Elle en a tiré un goût pour les personnages imprévisibles. « J'aime beaucoup Edith, la jeune femme que je joue dans Crimson Peak, car elle est très ambitieuse mais aussi assez naïve. Et j'ai aimé aussi le personnage que m'a confié David Cronenberg, une fille brisée et pourtant très joyeuse ». Cette note tragique et douce, elle en fit sa marque dès son premier rôle aux Etats-Unis : Sophie, la gymnaste suicidaire, patiente du psy Gabriel Byrne dans la série En analyse. « Ça reste une des mes plus grandes expériences d'actrice. J'ai pu jouer ce personnage pendant neuf épisodes de 30 minutes, bien plus que ce qu'un film permet. Je me suis beaucoup attachée à Sophie, elle est devenue un peu comme une amie ».
Timide mais pas intimidée, Mia Wasikowska parle de ses rôles sans complication, comme si elle avait l'habitude de basculer dans la fiction, aussi facilement qu'Alice au pays des merveilles (qu'elle vient de retrouver, toujours en compagnie de Johnny Depp mais cette fois sous la direction du réalisateur d'Opération Muppets...). Et quand son personnage s'appelle Emma Bovary, dans le film de la franco-américaine Sophie Barthes, qui était présenté à Deauville et sortira le 4 novembre, elle garde la même spontanéité pour l'évoquer, avec un enthousiasme juvénile. « Emma est une femme formidable qui divise beaucoup les gens : certains l'aiment et se projettent en elle, d'autres la critiquent et la haïssent même. C'est assez drôle. Pour ma part, je l'aime beaucoup. J'aurais pu me retrouver dans sa situation, coincée dans une vie que je n'aurais pas aimée, je me serais sentie prisonnière comme elle, mais je n'aurais sans doute pas réagi de la même façon. En tout cas, j'adore cette histoire et l'équipe de ce film était vraiment parfaite. On nous servait du vin au déjeuner, ce qui n'arrive jamais aux Etats-Unis ! ».
On voudrait entrer dans le mystère de ses compositions, toujours si émouvantes et qui montrent, lui dit-on alors, le talent d'une grande actrice. Elle baisse les yeux en murmurant seulement « Merci ». Et là, on la trouve plus charmante que jamais d'être à ce point effacée, heureuse d'être actrice pour disparaître... L'intérêt qu'elle exprime pour l'apparence des personnages et les costumes éclaire, sans qu'elle le confesse, le même désir : se cacher, trouver la robe qui l'habillera et, tout en l'exposant, la dérobera aux regards. Pour Crimson Peak, où elle joue une jeune femme en tenues victoriennes à qui des fantômes veulent parler, elle a pu s'en donner à cœur joie dans le travestissement gothique. « Guillermo a créé un univers grandiose, il voulait des cheveux longs et des costumes extraordinaires dans lesquels il mettait plein d'idées. Moi, j'étais le papillon de jour et Jessica [Chastain, la rousse teinte en noir] était le papillon de nuit, j'étais le soleil et elle était la lune. C'était très dramatique, presque comme à l'opéra ! ». Ne dirait-on pas, alors, que Mia Wasikowska aime encore jouer à la poupée ? Mais quand on lui demande quelles actrices l'ont inspirée, elle cite sans hésiter un trio de choc : « Gena Rowlands dansUne femme sous influence, Holy Hunter dansLa Leçon de Pianoet Emily Watson dansBreaking the Waves». Trois compositions d'une force exceptionnelle, trois personnages de femmes passionnées, au bord de la folie. Voilà de quel bois se chauffe l'Australienne. Une discrète taillée pour l'extrême.
“'Carol‘ est un film qui fera évoluer le cinéma américain”, selon sa scénariste Phyllis Nagy
Frédéric Strauss Publié le 14/01/2016. Mis à jour le 14/01/2016 à 18h22.
A partir d'un roman de Patricia Highsmith, Phyllis Nagy a écrit le scénario de “Carol”, le film de Todd Haynes, à l'affiche cette semaine. Une histoire d'amour entre deux femmes qui ne disserte pas de l'homosexualité, mais met juste en scène deux êtres qui s'aiment. Subversif pour le cinéma américain. Phyllis Nagy est nommée pour l'Oscar 2016 du meilleur scénario adapté.
En signant le scénario de Carol, Phyllis Nagy a directement contribué à la réussite du film de Todd Haynes. Seulement connue jusqu'ici pour la réalisation d'un téléfilm, cette quinquagénaire nous parle de son travail sur cette adaptation d'un roman de Patricia Highsmith. Et de la grande singularité de Carol, un film américain qui a l'audace de donner le premier rôle aux femmes, et de parler d'homosexualité d'une façon nouvelle.
Vous êtes à l'origine de Carol puisque c'est vous qui avait écrit l'adaptation de ce roman de Patricia Highsmith, bien avant que le film soit réalisé par Todd Haynes. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'adapter ce livre au cinéma ?
J'ai connu Patricia Highsmith, nous étions proches pendant les dix dernières années de sa vie. J'avais envie d'écrire un film que Patricia apprécierait enfin, car elle n'a aimé aucune des adaptations de ses livres au cinéma. Elle aimait Alain Delon dans Plein soleil(1960) mais elle n'aimait pas le film ! C'était une grande responsabilité pour moi d'écrire le scénario de Carol. Ça a pris beaucoup de temps car des films menés par des personnages féminins ne sont pas faciles à produire. Le cinéma américain a une tradition de comédies jouées par les femmes. Mais deux femmes dans un drame, c'est très rare, c'est presque impossible. Carol montre heureusement qu'on peut faire ça aux Etats-Unis, comme cela se fait en France et en Europe. Finalement, le film a pu être lancé grâce à la productrice Elizabeth Carlson et à Todd Haynes, qui a accepté de travailler pour la première fois sur un scénario qui n'était pas de lui. J'avais fini par connaître l'histoire de fond en comble et je pouvais répondre à toutes ses questions. Je crois que nous avons fait quelque chose de bon. Je ne sais pas ce qu'en pense Patricia là où elle est, mais j'espère qu'elle est contente !
Vous avez été fidèle à son livre ?
Mon scénario est fidèle aux thèmes et à l'esprit du roman. Carol est une histoire d'amour obsessionnelle, proche de la folie. Le niveau d'intensité que cette histoire prend à l'écran est tout à fait dans l'esprit de Patricia Highsmith. J'ai fait des changements dans la structure du récit, qui était écrit comme un monologue. C'est Thérèse qui racontait, qui nous faisait entrer dans l'histoire, mais elle n'avait pas vraiment de personnage dans le livre. Et Carol n'avait de vie qu'à travers ce que Thérèse disait d'elle. Il fallait transformer cela en une histoire avec des personnages de cinéma, donner vie indépendamment à chacune des deux femmes. J'ai changé le métier de Thérèse, qui est une décoratrice de théâtre dans le livre. Je trouve que la représentation du théâtre au cinéma ne fonctionne pas facilement. Je me suis dit qu'il devait y avoir un autre moyen de mettre en scène une situation d'observation, de regard, et la photographie s'est imposée comme une solution parfaite. J'ai coupé la fin du roman, où Thérèse restait seule après le voyage avec Carol, ne rentrait pas à New York et vivait de petits boulots. Il fallait éviter cette rupture, continuer l'histoire pour la conduire à sa fin, et ça a été fait d'une façon magnifique par Todd Haynes, qui a su mettre en scène le passage du temps et arrêter le film au bon moment. Les histoires d'amour sont souvent trop longues au cinéma. A la fin de Carol, on sait que l'amour est là mais on ne peut dire s'il va durer des jours, des mois ou des années. J'ai aussi voulu faire évoluer les personnages masculins. Dans le livre, les hommes sont simplement des types sans intérêt. Je savais que Patricia ne parlait pas des hommes comme ça dans la vie, il m'a donc semblé que je ne la trahirais pas en modifiant un peu les portraits. Dans le film, on peut rejeter le mari mais on peut aussi comprendre sa position, se dire qu'il est le produit de son époque.
Patricia Highsmith voulait-elle parler de la société de son temps et du regard qui y était posé sur l'homosexualité ?
C'est certain. Mais elle voulait le faire d'une manière positive, Carol est un livre où il y a un indice de happy end. D'habitude, les homosexuels et les lesbiennes finissent par se pendre ou se jeter du haut d'une falaise, tant ils sont hantés par leur orientation sexuelle. Ce n'est pas du tout comme ça dans le livre de Patricia Highsmith et c'est pourquoi je voulais travailler à cette adaptation. Personne ne questionne les choix que font Carol et Thérèse dans leur sexualité. Les gens leur rendent la vie difficile, mais il n'y a pas un moment où on les force à se dire : est-ce que je devrais vraiment aller dans cette direction, être lesbienne ? Il n'y a pas un moment où elles se posent cette question elles-mêmes. Thérèse doit découvrir son homosexualité, Carol voudrait réprimer la sienne et son amie Abby, elle, vit pleinement cette part d'elle-même. On a donc trois images différentes du rapport que chacun peut avoir avec sa sexualité. Mais aucune de ces images ne montre une femme qui pleure dans son coin en disant : Je ne veux pas être lesbienne, c'est affreux ! Ça aussi, c'est vraiment l'esprit de Patricia Highsmith : on n'entre pas dans la psychologie banale, les personnages sont autorisés à agir. C'est très moderne. En écrivant Carol, elle était en avance sur son temps.
Mais, pour signer ce livre, elle prit le pseudonyme de Claire Morgan, c'était un matériau trop audacieux ?
Elle m'avait dit qu'elle était tout à fait prête à signer ce roman de son nom, mais elle avait eu beaucoup de succès avec L'Inconnu du Nord-Express et préparait un autre thriller, Monsieur Ripley. Son éditeur trouvait que, entre ces deux romans, Carolavait l'air d'un petit livre étrange et insituable. Patricia avait accepté ses arguments, elle les comprenait sur le plan commercial. Mais pour le reste, elle se moquait complètement de ce que les gens pourraient penser d'elle si elle avait signé Carol, qui portait alors un autre titre [The Prince of salt, en France Les Eaux dérobées, NDRL]. Elle a d'ailleurs fini par republier ce roman sous son nom et sous le titre de Carol.
Sait-on pourquoi, entre deux intrigues policières, l'histoire de Carol lui était venue ?
Comme Thérèse dans le livre, Patricia Highsmith avait travaillé, quand elle était jeune, dans un grand magasin pendant la période des fêtes et c'est là qu'elle se retrouva en contact avec une cliente à laquelle elle ne cessa de penser tout le reste de la journée, une femme blonde. En rentrant chez elle, elle commença à écrireCarol et en deux semaines, le livre était fini. Le livre était donc inspiré par une totale inconnue, mais Patricia Highsmith avait eu dans sa vie des femmes blondes et elle utilisa ses souvenirs pour nourrir le personnage de Carol. Et même si elle ne revit jamais cette femme du magasin, elle se renseigna sur elle, trouva l'endroit où elle habitait. Le livre est très proche de la réalité de sa vie.
Le divorce de Carol est une scène très forte dans le film, c'est le moment où tombe la condamnation de la société mais c'est aussi le moment où Carol revendique à voix haute qui elle est. Vous parliez d'un point de vue positif de Patricia Highsmith, cette scène en est un exemple ?
D'abord, il faut dire que les choses peuvent encore se présenter de la même façon aujourd'hui dans une affaire de divorce. En tout cas dès que la garde des enfants est en jeu, il y a beaucoup d'Etats américains où il se passera pour une femme la même chose que pour Carol dans le film. Peut-être qu'on n'emploie plus les mêmes mots, on ne parle plus de « clause morale », mais le résultat est le même. C'est là qu'on voit toute l'audace de Patricia Highsmith, quand elle fait dire à Carol : « Je ne peux pas être une bonne mère si je ne suis pas moi-même », et abandonne la garde ses enfants. C'est à la fois un sacrifice énorme et la décision la plus juste, la plus positive en ce sens. Todd Haynes a réussi, avec une maîtrise accomplie, à nous faire comprendre cette situation. Personne ne dit, après avoir vu son film, quelle horrible femme que cette Carol ! C'est un film subversif.
C'est donc l'homosexualité qui reste subversive aujourd'hui ?
Ce qui l'est vraiment, pour moi, c'est qu'il s'agit d'une histoire d'amour qui n'est pas racontée pour livrer un discours sur l'homosexualité : dans Carol, l'identité sexuelle des deux femmes est intégrée à tout ce qui fait leur identité par ailleurs. Mais parce qu'on parle vraiment de ces deux femmes, on parle tout le temps d'homosexualité. Voilà la grande subversion ! La situation n'est certainement pas la même en France, mais, dans le cinéma américain, chaque fois qu'on parle d'un film où un personnage est homosexuel, les producteurs, les financiers vous disent : comment ce personnage ressent-il le fait d'être gay ? C'est inévitable, il faut traiter le sujet. Non ! Un film, c'est placer des personnages dans des circonstances particulières et regarder comment ils se comportent. C'est ça qui donne un bon matériau dramatique, ce n'est pas traiter leur sexualité comme un sujet. Est-ce qu'on s'attend à ce qu'un personnage se dise : pourquoi suis-je hétérosexuel ? Est-ce que la sexualité est un sujet qu'il faut traiter quand les personnages sont hétérosexuels ? Non ! Raconter une histoire d'amour entre deux femmes, ça doit être la même chose. C'est ce que nous montre Carol. C'est un film qui fera évoluer le cinéma américain.
MORT DU ROMANCIER ET NOUVELLISTE IRLANDAIS WILLIAM TREVOR
Par Claire Devarrieux— 22 novembre 2016 à 15:20
L'écrivain muliprimé, auteur des «Splendeurs de l’Alexandra» et de «Cet été-là», est décédé. Il avait 88 ans.
Il fut un temps, pas si lointain, où William Trevor figurait parmi les favoris pour le Nobel de littérature, les parieurs le plaçaient juste devant Mo Yan, Alice Munro, et Bob Dylan. Tous trois ont été récompensés par Stockholm, pas le vieil Irlandais émigré en Grande-Bretagne dans les années 50 : il est mort dans son sommeil, dans la nuit du 20 au 21 novembre, à 88 ans, bardé de prix mais sans la récompense suprême.
Nouvelliste hors pair, d’une délicatesse mélancolique qui lui a valu, fatalement, d’être qualifié de tchékhovien, Trevor a publié une vingtaine de recueils (six ont été traduits). Et autant de romans ou novellas. Ce dernier format lui convenait à merveille. Les Splendeurs de l’Alexandra, traduit en 1989 aux regrettées éditions Alinéa (repris dix ans plus tard par Joëlle Losfeld), condense par exemple les principaux aspects de son art d’écrivain : l’attention portée aux détails des vêtements, des intérieurs, si vivement imprimés dans les souvenirs des personnages qu’ils peuvent migrer d’une mémoire à l’autre. L’Alexandra est un cinéma désaffecté, naguère construit pour une femme, une Allemande. Morte, elle survit dans le cœur du narrateur qui l’a aimée quand il était adolescent, et ne s’en est jamais remis. Dernière page : «Je suis un vieux propriétaire de cinéma de 58 ans sans cinéma, pourtant lorsque je m’assois au milieu des sièges vides, mes souvenirs me comblent.»
Rôle choral essentiel
Le poids du malheur passé et la grâce du moment présent, ou bien la trace d’un bonheur enfui qui vient alléger la pesanteur des jours : la prose de Trevor joue sur cette tension. Dernièrement, on a pu lire deux romans, traduits chez Phébus comme tous ses livres depuis 1995. Une jeune orpheline, mariée à un brave homme de fermier, s’éprend d’un jeune photographe inconséquent : Cet été-là. Un adolescent livré à lui-même s’introduit chez les villageois de manière à se faire adopter, une manœuvre qui lui permet de colporter des secrets de son cru : les Enfants de Dynmouth. La communauté joue un rôle choral essentiel dans les intrigues de Trevor, né en 1928 de parents employés de banque, et protestants, du côté de Cork.
«Je veux simplement raconter des histoires»
En 1994, Gérard Meudal, de Libération, s’était rendu en Angleterre dans le Devon afin de rencontrer l’auteur de Ma maison en Ombrie et En lisant Tourgueniev.«Certains écrivent pour changer le monde, ou pour imposer un point de vue. Moi, je ne sais pas pourquoi j’écris. Si je connaissais la réponse, je n’écrirais pas. Je veux simplement raconter des histoires. C’est un travail très compliqué.» William Trevor avait à l’origine entamé une carrière de sculpteur. «Un jour, j’ai constaté que ma sculpture était en train de devenir abstraite. J’ai tout arrêté et me suis mis à écrire des nouvelles pour donner vie à tous les personnages qui s’étaient accumulés dans mon imagination.»
Frédéric Strauss Publié le 25/02/2016. Mis à jour le 26/02/2016 à 15h40.
Treize ans après sa pépite “Noi Albinoi” et une traversée du désert américaine, le trop rare cinéaste islandais signe “L'Histoire du géant timide”. Cette fable douce-amère sur l'éveil amoureux d'un colosse aux pieds d'argile consacre son retour à l'écran. Un petit chef-d'œuvre d'humour et d'onirisme dont lui seul a le secret.
Depuis Noi Albinoi (2003), cet Islandais est un espoir du cinéma comique et poétique. Espoir jamais déçu mais jamais totalement confirmé non plus, tant ses films sont rares. Arrivé aujourd'hui au quatrième en ayant gardé une fraîcheur de débutant, Dagur Kári livre avec L'Histoire du géant timide un chef-d'œuvre à sa façon, tout en modestie et en délicatesse. Le portrait d'un homme qui, dans un corps trop lourd, va renouer avec la légèreté de la vie. Comme, avec ce film, Dagur Kári a renoué avec le cinéma, après avoir pensé l'abandonner…
L'Histoire du géant timide mêle l'humour et l'émotion, comme vos précédents films. C'est votre vision du cinéma, il doit être émouvant et drôle ?
Je pense, oui. J'aime beaucoup faire rire les gens mais voir un film dans une salle où l'émotion passe parmi le public, c'est très beau aussi. En tant que spectateur, j'apprécie beaucoup les comédies mais, après en avoir vu une au cinéma, je quitte la salle avec le sentiment d'un vide et l'impression que toutes les nuances de la vie n'ont pas été représentées. Quand je vais voir un film sérieux, je n'y trouve pas ma place s'il n'y a pas un peu d'humour. Je vois bien que Tarkovski est un génie mais je n'arrive pas à entrer dans ses films. S'il avait fait ne serait-ce qu'une seule blague, tout son univers aurait pu s'ouvrir à moi ! L'humour ne doit jamais être oublié car il ne prend jamais de vacances. Même quand nous traversons des périodes difficiles, l'humour est là, incontrôlable. C'est la vie.
Dans L'Histoire du géant timide, le contraste est parfois assez radical, vous allez jusque dans la douleur, sans perdre la légèreté…
L'équilibre était très délicat, beaucoup plus que mes autres films. Un an après la fin du tournage, j'ai tourné une nouvelle scène et j'ai passé deux ans sur le montage. C'était toujours une question de millimètres. La performance de mon acteur principal, Gunnar Jónsson, est si subtile et si honnête que tout le reste devait être à ce niveau.
Filmer ce corps de géant avec délicatesse, c'était votre pari ?
Mon pari, avant de tourner, c'était que la relation d'amour serait crédible, qu'on n'aurait pas de doute sur le fait que la fille puisse tomber amoureuse de ce géant. Mais une fois qu'on a commencé à tourner, ça n'avait plus rien d'un pari car la présence de Gunnar inspire vraiment l'amour. C'est quelqu'un qu'on aime. Quand on le rencontre pour la première fois, on le trouve évidemment énorme. Mais quand on commence à le connaître, on le voit différemment, il change d'échelle ! Dans le film, c'est pareil. Après une demi-heure, on oublie sa condition physique. Gunnar est le meilleur acteur avec qui j'ai travaillé, peut-être justement parce qu'il n'a pas été formé comme un comédien. Il a un talent naturel.
Le marché des salles est-il devenu plus difficile pour les comédies subtiles que vous réalisez ?
Mon expérience avec L'Histoire du géant timide, c'est que les gens adorent le film, une fois qu'ils sont dans la salle. Le problème, c'est d'arriver à les faire entrer dans le cinéma ! Le marché s'est développé dans une direction qui laisse de moins en moins de place aux zones grises, celles que j'affectionne. Vous avez les films tout blancs, les films tout noirs, que ce soit dans la comédie ou le drame, et il y a très peu de choses au milieu parce que c'est plus compliqué en termes de marketing. Dans le monde du cinéma, comme dans le monde au sens large, il y a un nombre toujours plus réduit de gens qui ont un pouvoir de plus en plus grand et c'est très mauvais pour la diversité des films.
Vous avez presque abandonné le cinéma ?
Oui, après mon précédent film, The Good Heart, qui était une production américaine, j'ai perdu toute envie, je ne ressentais plus la passion. The Good Heartavait été un film très difficile à faire. Quand j'ai eu la certitude que le film allait pouvoir être tourné, ma femme était sur le point d'accoucher de notre premier enfant au Danemark et je risquais donc de me retrouver aux Etats-Unis en plein tournage le jour de la naissance de ma fille, ce qui était un peu compliqué pour moi. Mais quand j'ai fini par tourner le film pour de bon, ma fille avait quatre ans ! Ces quatre ans, je les avais passés à attendre de pouvoir tourner. Si j'avais su que ça prendrait tout ce temps, j'aurais fait un autre film en attendant, mais on gardait toujours le sentiment que ça allait se faire, le tournage n'était repoussé que de quelques semaines, puis de quelques semaines et de quelques semaines… C'est en chemin que j'ai perdu l'envie, c'était vraiment trop dur. Après The Good Heart, je me suis occupé de mes enfants et j'ai même essayé de me former comme compositeur car j'ai toujours écrit la musique de mes films. Mais après deux mois à l'école de musique, j'ai retrouvé l'envie de cinéma et je me suis attelé à L'Histoire du géant timide.
Ce film dont le héros est un homme qui se sent rejeté serait un autoportrait de vous en cinéaste en crise ?
Je ne peux pas dire que j'ai vu les choses comme ça quand j'ai tourné le film mais il me semble juste de les regarder sous cet angle. Le film raconte une histoire toute simple qui a aussi des significations plus complexes. Ce qui aide le personnage, c'est finalement d'être sincère, honnête avec lui-même, et ça, je l'ai ressenti moi-même pendant le tournage. Je me suis dit que je devais revenir à ce que j'aimais sincèrement, que ça ne marche ou pas. L'important était de faire ce film comme je le ressentais.
C'est également un film qui parle de la nécessité de grandir, même tardivement : ça aussi, ça parle de vous ?
C'est une question qui est présente dans tous mes films, je crois : quand est-ce que tu grandis ? Quand l'enfance se terminera-t-elle ? Je pense beaucoup à ça. J'ai 42 ans, j'ai une femme, trois enfants, un vrai travail, mais je ne me sens toujours pas adulte ! A mon âge, mes parents étaient adultes depuis longtemps. Je m'attends toujours à me lever un matin en sentant que ça y est, je suis adulte ! Mais je ne me réveille jamais avec cette impression-là.
Vous faites partie de l'équipe qui dirige l'école nationale de cinéma au Danemark. Comment envisagez-vous l'apprentissage du métier de cinéaste ?
Je dirige le département cinéma dans l'école où je l'ai appris. C'était très agréable d'y revenir, un peu comme si je retournais à ma vie d'étudiant. Mais j'apprends beaucoup plus maintenant. Une année en tant que professeur vaut quatre années en tant qu'élève. La chose la plus importante, c'est de comprendre qu'on ne peut pas vraiment enseigner le cinéma. Il n'y a pas une méthode générale pour ça. La seule chose à faire, c'est de construire un cadre pour cet apprentissage, un cadre où les étudiants vont pouvoir trouver une direction dans laquelle s'engager. On ne peut pas assigner une seule voie à la création dans le cinéma, chacun doit trouver celle qui correspond à son talent.
Est-il important pour vous de montrer des films, de transmettre la culture du cinéma ?
C'est important de traverser l'histoire du cinéma, mais c'est de plus en plus difficile car cette histoire est de plus en plus longue et l'attention des étudiants a tendance à diminuer. Je me souviens que lorsque j'étais étudiant, nous avions chaque mois une grande journée consacrée à l'histoire du cinéma. Nous passions plus de huit heures à voir des films. J'ai tendance à dormir facilement au cinéma et je passais donc mon temps à m'assoupir, à me réveiller, à regarder le film et à m'assoupir à nouveau. Quand je me mettais à dormir, je commençais à rêver du film que j'étais en train de regarder, je le continuais moi-même. Ce qui fait que j'ai toutes sortes de souvenirs des grands classiques du cinéma, mais je ne sais jamais si c'est ce que j'ai vu ou si ce sont mes rêves. A l'époque, notre professeur, qui était génial, m'a montré en exemple en disant à tout le monde : voilà la bonne façon de faire, vous n'êtes pas censés regarder tout jusqu'à la moindre image, vous pouvez relâcher votre attention et même fermer les yeux, l'important est l'expérience que vous faites avec le film. Je crois qu'il y voyait clair !