lundi 13 novembre 2017

Le sexfie, l’autoportrait d’une génération




Le sexfie, l’autoportrait d’une génération

Par Juliana Bruno | Le 26 mai 2014
Le selfie, cet autoportrait photographique que l’on a vu se décliner à l’infini sur les réseaux sociaux n’a pas dit son dernier mot. Avec le sexfie, c’est la mise en scène de l’intimité de la génération Z qui se joue.
C’est à l’aide des hashtags sexfie, sexselfie ou encore aftersexselfie que des centaines d’adolescents et jeunes adultes référencent leurs clichés postcoïtaux sur la Toile. Ils prennent la pose pour un autoportrait au sortir d’une partie de jambes de l’air, histoire de se vanter de leurs performances sexuelles. Ces photos, un brin voyeuristes, sont principalement destinées à leur communauté sur les réseaux sociaux et représentent un bon moyen pour faire grimper en flèche leur popularité en ligne. Cette tendance Web est devenue l’apanage de la génération Z, biberonnée au digital et à tous ses dérivés. Mais elle reflète aussi une mise en scène de l’intime qui n’est pas nouvelle. Peut-on alors parler d’exhibitionnisme ?
Souvenez-vous de Tavi Gevinson, cette jeune blogueuse mode de 12 ans qui squattait les premiers rangs des défilés, coupe au bol et grosses lunettes vissées sur le nez. Aujourd’hui, à 17 ans, Tavi est toujours aussi hype. Elle est rédactrice en chef de Rookie, un site qui mêle habilement mode et pop-culture et partage ses conseils avec ses milliers de followers sur les réseaux. La jeune femme représente en réalité la génération Z, comme le note Les Inrocks dans un article consacré à la thématique, pour désigner ces 15-25 ans surinformés qui ont grandi avec un IPad mini greffé à la main. Difficile alors pour ces jeunes nés entre 1990 et 2000 de faire la différence entre la vie réelle et le virtuel puisque ce dernier a joué un rôle primordial dans leur construction. Avec la multiplication des applications et des réseaux communautaires comme Instagram ou Snapchat qui se prêtent voire qui invitent à la mise en scène de soi, il n'est pas étonnant que cette génération Z se laisse aller à la médiatisation d’une sexualité ordinaire. « J’ose prendre des poses sexys voire me dénuder sur Snapchat », confie Alice, 16 ans. « Je peux choisir à qui je vais envoyer mes selfies et ils disparaissent au bout de six secondes » (c’est le principe de l’appli, NDLR). « Il m’arrive de poster des photos de moi au lit avec une fille. Il n’y a rien de porno, c’est plutôt dans la suggestion mais ça créé une forme de compétition avec les potes », se targue Quentin, 19 ans. Pour se vanter auprès des membres de leur communauté ou pour copier leurs aînés, cette tendance questionne le concept d’intimité.


Exposer son intimité, pour mieux la ressentir

Dans tout ce qu’elle peut avoir de choquante, cette pratique fait pourtant les « beaux jours » du XXIe siècle médiatique. Dans Loft Storyet dès sa première édition en 2001, Loana s’adonnait aux plaisirs charnels face caméra dans une piscine. Cet épisode a révélé comment la mise en scène de l’intimité a pris une valeur considérable, devenant une sorte de monnaie qui paie via la télévision et, maintenant, via le Web. Pour se faire connaître comme ces anonymes de la téléréalité érigés en stars ou pour booster sa cote de popularité.

Des starlettes aux acteurs, en passant par les hommes et femmes politiques, beaucoup n’hésitent plus à s’affranchir des codes de la bienséance pour faire parler d’eux au risque de se faire taxer d’exhibitionnistes. Lindsay Lohan révèle la liste de ses amants sur la Toile pendant que James Franco s’adonne à des sexfies très hot qui n’ont rien à envier à ceux de la génération Z. Ici, l’intimité est érigée en valeur financière, en faire-valoir, ce qui n’est pas le cas de celle prônée par les adolescents et les jeunes adultes.
Dans la logique qui anime le sexfie, il y a la perte d’une frontière entre intimités réelle et numérique. Souvent, la place des réseaux sociaux et celle de la vie tangible, réelle, se trouvent interverties. Confusion donc entre le réel et le virtuel, mais également désir d’« extimité ». DansL’intime et le privé dans la famille (Éd. In Press), le sociologue Serge Tisseron interroge cette dynamique. En effet, il définit«  l’extimité » comme le « désir de montrer une partie de sa vie intime, autant physique que psychique, afin de mieux se l’approprier grâce aux échanges suscités avec les proches ». 

Un cliché parmi d'autres

Et c’est bien ce qui se joue dans la pratique du sexfie : le jeune vient demander la reconnaissance de ses pairs, une identification, en postant une preuve de son activité sexuelle. C’est bien ce que semble dire Quentin lorsqu’il parle de « compétition avec les potes ». Dans la comparaison, se trouve aussi l’identification. C’est donc aussi une manière de se rassurer et d’affirmer : « Je suis normal, je suis capable d’avoir des relations sexuelles ».



Enfin, puisque virtuel et réel sont tellement imbriqués, partager son intimité devient une façon de la ressentir. « Quand je vois le nombre de likes sur une photo que j’ai partagée d’un moment tendre avec mon copain sur mon compte Instagram, j’ai l’impression que c’était encore mieux, j’ai l’impression de le revivre », s’amuse Alice. C’est un exhibitionnisme qui s’ignore. Pas maîtrisé comme celui de James Franco, Lindsay Lohan ou Miley Cyrus. Mais bien intrinsèque à cette génération qui partage sur les réseaux pour exister. Sans les autres – ce public aux contours flous, les amis bien sûr, mais la planète entière aussi –, point de plaisir.
Et même si c’est l’ordinaire, la normalité, qui est revendiquée parce que le jeune s’adresse à un autre jeune avec lequel il partage un même système de valeurs. C’est du moins ce que veulent croire ces jeunes adultes qui banalisent l’exposition de la chambre à coucher. Comme si le sexfie était venu remplacer le fameux cours d’éducation sexuelle. Comme si le sexe, dans une vie de selfie, n’était qu’un cliché parmi d’autres.






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